En octobre 2024, le Sénégal s’est vu promettre un avenir radieux avec le lancement en fanfare du Plan Sénégal Horizon 2050, une stratégie nationale de développement censée propulser le pays vers une souveraineté économique incontestable d’ici un quart de siècle. Présenté par le président Bassirou Diomaye Faye comme un « agenda national de transformation » articulé autour de quatre axes stratégiques (gouvernance panafricaine, aménagement territorial durable, renforcement du capital humain et justice sociale, ainsi qu’une économie compétitive et résiliente), ce plan ambitionnait de tripler le revenu par habitant, passant de 1 500 à 4 500 dollars, et d’ajouter 10 000 mégawatts à la capacité énergétique nationale. Articulé en phases, avec un premier cycle de 2025 à 2029 doté de 30,1 milliards de dollars d’investissements, il se voulait le symbole d’une « rupture systémique » promise par le duo Faye-Sonko lors de leur accession au pouvoir en mars 2024. Pourtant, moins d’un an plus tard, cette vision grandiose cède la place à un plan de redressement économique austère, adopté le 30 juillet 2025 en conseil des ministres et présenté publiquement le 1er août par le Premier ministre Ousmane Sonko. Ce revirement brutal n’est pas seulement une admission d’échec ; il révèle une incompétence flagrante et une soumission humiliante aux diktats du Fonds monétaire international (FMI), contredisant les discours souverainistes qui ont porté ces leaders au pouvoir.
Le lancement du Plan Horizon 2050, le 14 octobre 2024 au Centre international de conférences Abdou Diouf, fut un exercice de pure propagande. Faye y dépeignait un Sénégal « souverain, juste et prospère », ancré dans des valeurs panafricaines, avec des projections macroéconomiques reposant sur des données statistiques exhaustives pour guider les politiques sur 25 ans. Des experts comme Victor Ndiaye, impliqué dans sa conception, vantaient des moteurs de croissance : une capacité énergétique de 12 000 mégawatts d’ici 2050, une industrialisation accélérée et une diversification agricole pour rompre avec la dépendance aux importations. Mais ces promesses, élaborées au prix fort (des rumeurs persistantes évoquent un cabinet externe rémunéré à hauteur de 2 milliards de francs CFA), ignoraient manifestement les réalités. Comment expliquer autrement que, neuf mois à peine après cette célébration, le gouvernement bascule dans un « plan de redressement » axé sur la rationalisation des dépenses publiques, la stimulation de la production locale et une gouvernance améliorée, pour corriger des « déséquilibres structurels » ? Cette volte-face démontre une lecture superficielle des réalités économiques, ou pire, une négligence criminelle des projections initiales.
Le pivot vers l’austérité s’est cristallisé autour du budget 2025, adopté sans débat le 28 décembre 2024 par l’Assemblée nationale, sous la pression de l’article 86 de la Constitution (un mécanisme autoritaire évoquant le 49.3 français). Sonko, engageant sa responsabilité personnelle, avait certifié la « sincérité » de ce budget de 6,4 billions de francs CFA, présenté comme un outil de rupture avec les pratiques passées. Pourtant, ce vote expéditif, sans examen parlementaire, masquait déjà les fissures : un déficit budgétaire explosant à 11,7 % du PIB en 2024, des subventions énergétiques gonflées à 3,3 % du PIB. Sonko, disposant de tout l’appareil étatique (budgétaire, statistique et économique), ne pouvait ignorer ces anomalies. Sa certification « sincère » n’était qu’un leurre, induisant l’Assemblée en erreur et sapant la démocratie naissante qu’il prétendait incarner.
Derrière ce fiasco se profile l’ombre omniprésente du FMI. Dès mars et avril 2025 des missions FMI en ont exigé des « mesures correctives » : suppression progressive des subventions énergétiques, rationalisation des exonérations fiscales et réduction drastique des déficits pour respecter la cible UEMOA de 3 % du PIB. Faye et Sonko, malgré leur rhétorique anti-impérialiste, ont capitulé. Le plan de redressement, promis par Sonko le 2 juillet 2025 comme une « feuille de route stratégique », n’est qu’un ajustement structurel déguisé, imposé par les institutions de Bretton Woods pour débloquer un nouveau programme d’aide. Il prévoit une « rigueur budgétaire » qui frappera les ménages vulnérables, avec des coupes dans les dépenses sociales et une hausse des coûts énergétiques, perpétuant le cycle de pauvreté que le duo jurait briser.
Cette trajectoire disqualifie Faye et Sonko. Leur inaptitude à anticiper les contraintes, malgré des données macro et micro-économiques à disposition, ou leur duplicité en certifiant un budget insincère, les rend inaptes à piloter l’économie. Sonko, en particulier, qui engageait sa « signature » sur la sincérité budgétaire il y a sept mois, admet implicitement son erreur ou sa malhonnêteté par ce redressement hâtif. Dans les deux cas, il devrait démissionner, ou faire l’objet d’une motion de censure parlementaire. Faye, en tant que président, porte une responsabilité accrue : sa tolérance envers ces errements trahit une continuité avec les pratiques clientélistes du passé, loin de la « jubanti » (la vraie rupture) promise. L’État devrait même envisager des poursuites contre les concepteurs du Plan 2050 pour projections fallacieuses, réclamant remboursement et dommages.
En somme, le passage d’une vision à long terme à un ajustement FMI en moins de dix mois expose la vacuité du projet Faye-Sonko. Au lieu d’une souveraineté affirmée, le Sénégal subit une cure d’austérité qui hypothèque les générations futures. Une vraie rupture exigerait non des discours enflés, mais une gouvernance rigoureuse et transparente. Sans cela, le pays risque de sombrer dans une instabilité chronique, victime de leaders plus habiles à promettre qu’à gouverner.