Nous poursuivons la dissection du plan « Jubbanti Koom » présenté par le Premier ministre Ousmane Sonko, en braquant aujourd’hui le projecteur sur la gouvernance, clef de voûte de tout redressement durable. Après avoir démonté l’illusion financière et les risque sociaux liés à ce plan, il faut montrer comment un édifice administratif dépourvu de gardefous menace de s’effondrer sur la nation. Aucun miracle économique ne survit à une mauvaise architecture institutionnelle ; or c’est précisément ce que révèle la lecture attentive du document.

Standards ignorés, amateurisme assumé 

Les référentiels PEFA et FMI exigent qu’un plan précise l’institution pilote, un calendrier pluriannuel et un cadrage macroéconomique robuste. « Jubbanti Koom », lui, juxtapose slogans et diagrammes chamarrés. Un « Tableau méthodologique » promet de « poursuivre les stratégies filières » jusqu’en 2034, sans fournir la moindre trajectoire trimestrielle des soldes publics ni la sensibilité de la dette au taux directeur ou à la parité du franc CFA. On nous annonce un déficit ramené à 3 % du PIB dès 2027 ; aucune matrice de risques n’explique l’exploit. On ne précise ni la méthode de projection ni la sensibilité aux chocs externes. Dans les meilleures pratiques, un cadre budgétaire à moyen terme est vérifié par un comité indépendant ; à Dakar, tout examen est remis à des « équipes techniques » non identifiées. Le contraste est criant.

Le mirage du suivi-évaluation 

Le document ne mentionne aucune base de référence, peu de cibles chiffrées, pas d’institution responsable. Aucun décret ne crée l’organe chargé de collecter les données, pas plus qu’il n’indique la périodicité des rapports publics. Dans ces conditions, mesurer la réussite relèvera du ressenti gouvernemental, non de la preuve ; l’expérience du Plan Sénégal Émergent, déjà critiqué pour son flou statistique, aurait pourtant dû servir de leçon. Pire : le taux de décaissement des investissements n’est pas ventilé par secteur ni corrélé aux objectifs climatiques pourtant vantés ailleurs dans le document.

 

Une porte ouverte aux dérives 

Le gouvernement se contente de belles intentions ; aucun renforcement de l’OFNAC, aucun rôle accru pour la Cour des Comptes, aucune obligation de publier les contrats en open data. L’absurdité atteint son l’organisme chargé « du recyclage d’actifs », chargé de monétiser près de 1 100 milliards FCFA de patrimoine public. Il n’est fait mention ni de la Cour des Comptes ni de l’OFNAC comme organismes de contrôle. On confond ici pilotage et surveillance ; c’est comme confier à l’artificier la certification du détonateur. Les leçons du scandale Pétrotim, où l’opacité contractuelle coûta cher à la crédibilité nationale, sont purement ignorées. Sans obligation de publication, la valorisation des actifs restera arbitraire ; c’est une brèche grande ouverte au népotisme et au détournement.

 

Promesses XXL, outils XXS 

« Jubbanti Koom » érige vingtdeux secteurs en priorités, annonce une Banque publique d’investissement, une Agence des zones franches et même un Fonds souverain. Pourtant, l’administration manque déjà d’ingénieurs, de juristes des marchés publics et de data-scientists. Le plan n’affiche ni budget de renforcement des capacités ni stratégie de formation. Pis : les collectivités territoriales, premières exécutantes des politiques d’eau, de santé ou d’éducation, découvrent le programme dans la presse, faute d’avoir été associées. Sans déconcentration ni recrutement massif, l’exécution se grippera, comme ce fut le cas des Centres de services agricoles, lancés en 2015 puis abandonnés faute de cadres.

 

Un calendrier irréaliste 

La frise « Phasage de la vision 2050 » (page 2) concentre sur 24 mois la phase « Redresser », censée instaurer toutes les réformes préalables, tandis que la diapositive « Optimisation de la dépense publique » (page 14) prévoit simultanément la rénovation des procédures budgétaires et la réduction de la taille de l’État. Une loi d’orientation budgétaire prend en pratique au moins un an ; une réforme foncière, trois. Les standards internationaux parlent de sequencing – l’art d’étaler les réformes pour ne pas casser la chaîne administrative. Sonko, néophyte en gestion publique, préfère le saut de l’ange. Le ministère des Finances reconnaît déjà officieusement n’avoir reçu aucun échéancier détaillé : signe d’une improvisation assumée. Le calendrier paraît donc irréaliste.

 

Contre-pouvoirs évincés 

Le succès du Ghana s’appuie sur une Commission d’audit adossée au Parlement ; celui du Botswana sur une Public Procurement Unit indépendante. Le Sénégal dispose théoriquement d’organes équivalents, mais « Jubbanti Koom » ne les convoque jamais. La Primature cumule désormais stratégie, exécution et vérification ; les partenaires techniques sont invités à « accompagner », jamais à contrôler. Aucune diapositive ne réserve une place aux organisations de la société civile ou aux bailleurs pour valider les données. Dégradation de la note de crédit, hausse des coûts de financement et recul dans l’Index Mo Ibrahim de la gouvernance sont les risques immédiats de ce modèle concentré.

L’opacité comme doctrine : 

En matière de gouvernance, « Jubbanti Koom » ressemble moins à un plan de salut public qu’à un chèque en blanc rédigé à l’encre populiste. Sans cadre macrobudgétaire robuste, sans architecture d’audit indépendante et sans calendrier crédible, ce plan ressemble davantage à une liste de souhaits qu’à une stratégie exécutable. Les chiffres abondent ; les gardefous, non. Tant que ces lacunes ne seront pas comblées, les promesses de redressement risquent de rester… des promesses. Les Sénégalais méritent mieux qu’un exercice d’amateurisme institutionnel.

Demain, suite et fin de notre analyse du plan « Jubbanti Koom » pensé, préparé, présenté, exécuté et contrôlé par Ousmane Sonko, avec l’approbation passive et apathique de Diomaye Faye !