Après la visite de Bassirou Diomaye Faye en Côte d’Ivoire, Ousmane Sonko à Ouagadougou : une stratégie risquée entre CEDEAO et AES

En l’espace de quatre jours, le Sénégal a envoyé des signaux diplomatiques contradictoires qui pourraient bien ébranler sa crédibilité sur la scène régionale. Alors que le président Bassirou Diomaye Faye effectuait une visite à Abidjan, renforçant les liens avec la Côte d’Ivoire – un pilier de la CEDEAO – son Premier ministre, Ousmane Sonko, s’est rendu à Ouagadougou pour afficher son soutien à l’Alliance des États du Sahel (AES), un groupe en rupture avec la CEDEAO. Cette apparente ambivalence s’apparente à un double jeu diplomatique dangereux, susceptible d’isoler le Sénégal et d’attiser les tensions régionales.

Le Sénégal, membre influent de la CEDEAO, a toujours joué un rôle modérateur dans les crises ouest-africaines. Cependant, depuis l’arrivée au pouvoir de Bassirou Diomaye Faye et d’Ousmane Sonko, Dakar semble osciller entre allégeances contradictoires.

– Avec Abidjan : La visite du président sénégalais en Côte d’Ivoire avait pour but de consolider les relations économiques et sécuritaires entre les deux pays, dans un contexte où la Côte d’Ivoire est un rempart contre l’expansion de l’influence russe et des juntes militaires en Afrique de l’Ouest.
– Avec Ouagadougou : La promesse de soutien à l’AES par Sonko, alors que le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont tourné le dos à la CEDEAO, envoie un signal trouble. Dakar semble vouloir ménager à la fois les institutions régionales et les régimes putschistes, une position intenable à moyen terme.

En jouant sur les deux tableaux, le Sénégal s’expose à plusieurs dangers :

– Érosion de sa crédibilité : Les partenaires traditionnels (CEDEAO, UEMOA, Occident) pourraient voir d’un mauvais œil ces flirtations avec l’AES, perçue comme une alliance anti-occidentale et anti-CEDEAO.

– Tensions avec la Côte d’Ivoire : Alassane Ouattara, bien que courtois avec Faye, ne peut ignorer que le Sénégal tend la main à un régime (Traoré) qui a expulsé les troupes ivoiriennes du Burkina Faso en 2023.

– Fragilisation de l’intégration ouest-africaine : Si un pays comme le Sénégal, historiquement pro-CEDEAO, commence à légitimer l’AES, cela pourrait accélérer la dislocation de la communauté régionale.

Le gouvernement Sonko-Faye semble croire qu’il peut concilier réalpolitik et loyauté à la CEDEAO. Mais cette approche comporte des pièges :

– Isolement diplomatique : En cas de durcissement des positions, le Sénégal pourrait se retrouver marginalisé, à la fois par les pays de la CEDEAO (qui le jugeront déloyal) et par l’AES (qui le considérera comme un allié peu fiable).

– Conséquences économiques : La CEDEAO et l’UEMOA restent des cadres essentiels pour la stabilité monétaire (franc CFA) et les échanges commerciaux. Une rupture, même partielle, pourrait affecter l’économie sénégalaise.

– Instabilité sécuritaire : En se rapprochant de l’AES, le Sénégal risque d’être perçu comme un facilitateur des régimes militaro-russes, ce qui pourrait attirer des représailles (sanctions, réductions d’aides).

Le Sénégal ne peut pas indéfiniment naviguer entre deux eaux. En cherchant à plaire à la fois à la CEDEAO et à l’AES, Dakar prend le risque de mécontenter tout le monde. La diplomatie sénégalaise doit clarifier ses priorités : soit elle assume son rôle de médiateur loyal au sein de la CEDEAO, soit elle bascule dans le camp des États contestataires, avec tous les risques que cela implique.

Dans un contexte géopolitique déjà volatile, le double jeu n’est pas une stratégie, mais un piège. Le Sénégal parviendra-t-il à en sortir avant qu’il ne se referme ?