Karim Wade va être libéré. Le président Macky Sall l’a annoncé et il a les prérogatives constitutionnelles avec le pouvoir de grâce pour le faire.

Il s’y ajoute que « l’ex-ministre du ciel et de la terre » remplit les conditions nécessaires mais pas suffisantes d’avoir purgé plus de la moitié de sa peine. En effet condamné à six ans de prison depuis le mois d’avril 2013, il est bel et bien dans les temps, si on peut dire.

Une certaine aura depuis son incarcération

Alors pourquoi cette éventuelle libération, du reste plus que probable, suscite-t-elle autant de questions et d’appréhensions au Sénégal ?
D’abord du fait du statut politique du prisonnier, « candidat présenté » par le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) à la présidentielle de 2019. Tout puissant pendant le temps où son père était chef de l’Etat – de 2000 à 2012 -, il a acquis une certaine aura politique depuis son incarcération. Aussi curieux que cela puisse paraître, son arrestation qui était souhaitée voire exigée pour une majorité de citoyens intransigeants sur la « traque des biens mal acquis » a été perçue comme une montagne qui a accouché d’une souris.

Parce que l’Etat n’a pas été efficace dans sa communication dans cette affaire judiciaire confiée dès le début à un procureur – Alioune Ndao – manifestement dépassé par la situation. Sa première erreur fut de convoquer une conférence de presse pour annoncer une liste de personnes à poursuivre et susciter ainsi des commentaires aussi farfelus les uns que les autres avec des chiffres ahurissants, allant jusqu’à quatre mille milliards de francs CFA qui seraient détournés par les mis en cause et notamment Karim Wade.

Cette sortie spectaculaire avait fait l’effet d’une bombe et excité au maximum les populations.
Dans la foulée, l’arrestation de Karim Wade et son incarcération, précédées de convocations par les enquêteurs, avaient enflammé les esprits. Avec le concours outrancier d’une presse à sensation.
Au fil des péripéties, les avocats de Karim Wade et les partisans fidèles du PDS ont réussi, contre toute attente, à retourner l’opinion en leur faveur.

La CREI salie par les épisodes judiciaires

Les bourdes du procureur Ndao ont fini par pousser le gouvernement à le remplacer alors que l’audience du procès judiciaire était en cours.
Ensuite, tant bien que mal, le procès poursuivra son cours jusqu’à la condamnation définitive de Karim Wade assortie d’une amende de plus de cent milliards de francs CFA avec ses principaux complices et prête-noms comme Ibrahim Khalil Bourgi et Pape Mamadou Pouye.

Il y eut aussi « l’affaire Tahibou Ndiaye », ancien directeur du cadastre dont le procès, comme celui de l’ex-sénatrice Aida Ndiongue au niveau de la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (CREI) ont connu des rebondissements multiples et spectaculaires dans le cas de la dernière citée qui a été acquittée, obligeant le parquet à faire appel.

Tous ces épisodes judiciaires ont terni l’image de la CREI au niveau de l’opinion sénégalaise, qui n’en exige pas moins, et toujours la répression de l’enrichissement illicite.
Le problème est qu’il est très difficile, voire impossible de restaurer la crédibilité une fois qu’elle est écornée et les personnes concernées jetées en pâture à l’opinion à travers des médias aux mains de journalistes incompétents et partiaux.

Dans ce contexte spécifique comment réussir» la libération de Karim Wade ? Quelle communication le président Macky Sall va-t-il mettre en branle pour faire la publicité de sa magnanimité ?
S’il le gracie, quelles que soient les interprétations, le président sénégalais en tirera un crédit supérieur à la réprobation des partisans du maintien de Karim Wade en prison jusqu’à la fin de la durée de sa peine en 2019.
Macky Sall aura usé de son droit de grâce, faisant preuve de générosité humaniste au vu du sort qui s’est abattu sur Karim Wade, qui a perdu sa femme et reste séparé de ses enfants et de son père nonagénaire. Les Sénégalais dans leur immense majorité apprécieront positivement car la culture sénégalaise authentique privilégie et magnifie le pardon.

Justice n’est pas vengeance

Et puis la justice n’est pas la vengeance. Pour Karim Wade l’expérience carcérale et celle de sa chute du pouvoir en général est une grande leçon de vie qui pourrait lui être profitable dans l’avenir. C’est sur ce point que le questionnement se cristallise car si Karim Wade décide de faire une carrière politique, il a maintenant des atouts réels : la popularité, l’héritage, un parti à sa dévotion qui même diminué reste à la tête de l’opposition au Sénégal et qui a une implantation solide dans certaines régions comme celle de Diourbel.
Si la situation économique et sociale qui se stabilise actuellement tout en restant très fragile se détériorait, l’opposition capitaliserait dessus rapidement. Karim Wade ayant beaucoup plus de chance de susciter l’élan populaire qu’Idrissa Seck, toujours rejetée par l’opinion.

C’est ici qu’il faut revenir à l’analyse de Machiavel sur l’action de l’homme politique au croisement de la « virtu » et de la « fortuna », c’est-à-dire de l’action de puissance dont l’efficacité est la seule finalité dans le contexte mouvant et changeant des réalités sociales, économiques et politiques. Sa tâche est pour ainsi dire de viser juste, de ne pas se tromper sur ses choix pour ne pas avoir à les payer au prix fort.

Dans le cas qui nous préoccupe, Karim Wade une fois libéré ne peut plus être arrêté encore sans que cela ne déclenche des condamnations dans le pays et de par le monde quelles que soient les raisons invoquées.
L’argent qu’il doit payer, d’éventuels engagements écrits qu’il aurait pris, la « garantie » des médiateurs etc. n’y changeront rien.

CE SERONT LES EVENEMENTS, PAR DEFINITION IMPREVISIBLES QUI IMPOSERONT LEUR DYNAMIQUE.

Il est difficile de croire que Karim Wade va abandonner la politique. Il y a goûté et sait qu’il a un potentiel réel. Comme c’est le cas de la quasi-totalité des héritiers sur tous les continents : les Gandhi en Inde, les Bush, Clinton, Kennedy aux Etats Unis, les Trudeau au Canada, les Kenyatta au Kenya, les Bongo au Gabon, les Eyadema au Togo, les Kabila en RDC, etc.
Même si comparaison n’est pas raison, il y a chez les peuples une sorte de fascination des patronymes et un faux raisonnement analogique qui opèrent. L’évident est, dans l’état actuel des choses, à la bourse des valeurs politiques au Sénégal, Karim Wade fait partie des actions les mieux cotées.

Peser sur la scène politique ?

Cela va-t-il durer après son élargissement ? On peut le penser car ses soutiens continuent de marteler contre toute évidence « qu’il n’a rien fait », qu’on n’a « rien trouvé » et « qu’il est innocent ».

Quid de sa nationalité française ? C’est une question dont il peut se débarrasser par quelques actes symboliques et juridiques, donc ce n’est pas un obstacle. Et d’ailleurs cela ne lui ferma pas les portes de l’Assemblée nationale où il pourrait se faire élire très facilement sur la liste nationale du PDS si son casier judiciaire ne l’en empêche pas. Le ministre de la Justice avait dit publiquement – support vidéo et audio à l’appui – qu’il n’en serait rien.
Et même si c’était le cas, il pourrait se battre pour obtenir une amnistie avec une Assemblée nationale où l’opposition serait majoritaire.

Cependant l’affaire ne sera pas simple et les chances de succès sont loin d’être garanties.

Quoiqu’il en soit si Karim Wade veut peser sur la scène politique, il le peut.
Léopold Senghor – premier président du Sénégal indépendant – qui avait conscience du poids politique de Mamadou Dia n’a pas hésité à le faire incarcérer douze ans, l’écartant définitivement de la scène politique nationale.
Les temps ont changé certes, mais le sentimentalisme, l’émotion et la seule volonté de plaire sont des chemins dangereux pour l’homme politique. Ce d’autant que le Sénégal est le pays de la « transhumance » et beaucoup craignent le retour de Karim Wade pour l’avoir trainé dans la boue après l’avoir servi pour certains d’entre eux.

Les mois à venir seront décisifs

Si la justice n’est la vengeance, celle-ci est souvent le moteur des épopées politiques et autres.
Alors s’impose la question léninienne : que faire ? Réfléchir et agir, en essayant de voir aussi loin que possible.

SEULE UNE COMMUNICATION EFFICACE C’EST A DIRE BIEN PENSEE ET EXECUTEE POURRAIT AIDER A DEMINER LE TERRAIN.

Beaucoup va se jouer dans les premiers moments d’une éventuelle libération car Karim Wade lui-même va avoir besoin de repos pour se réhabituer à sa nouvelle situation d’homme libre. Qu’il soit loin de la France et du Sénégal et surtout des médias serait une bonne option pour lui et pour le régime.
Il faudrait aussi que ses principaux soutiens mettent un bémol à leurs propos victorieux car autrement, certaines figures notamment de l’APR vont réagir et alimenter une polémique qui n’a pas lieu d’être. Des suggestions fortes devraient être faites de part et d’autre pour favoriser l’apaisement. Cependant il ne faut pas faire d’illusion sur la presse qui va attiser le feu pour en vivre.

Dans l’optique de privilégier l’apaisement, même temporaire, le timing est essentiel. Libérer Karim Wade d’ici la fin de l’année, soit. Mais quand exactement ?
Pourquoi pas à l’occasion de la Korité ou de la Tabaski ?
Quoiqu’il en soit, il faudra assurer le service après-vente POUR EXPLIQUER LE CHOIX OPERE TOUT EN REAFFIRMANT LA PERTINENCE ET LA POURSUITE DE LA LUTTE CONTRE L’ENRICHISSEMENT ILLICITE.
Le défi est redoutable.

 

 

Image : Karim Wade est sur le chemin de la libération. Que va donc faire Macky Sall pour mettre en branle la communication présidentielle sur ce qui est l’une des grandes questions politiques du moment au Sénégal ?