Les chefs d’État africains se réunissent ce week-end à Addis-Abeba, en session annuelle de l’Union africaine (UA), pour choisir le successeur de Moussa Faki Mahamat, président de la Commission, qui termine son deuxième et dernier mandat.
Trois candidats sont en lice : Raila Odinga du Kenya, Mahamadou Ali Youssouf de Djibouti et Richard Randriamandrata de Madagascar. Ils sont tous d’Afrique de l’Est, zone dont c’est le tour d’occuper ce poste prestigieux.
Sur la ligne de départ, Odinga, qui a mené une campagne solide et qui est activement parrainé par son président, Ruto, a trusté la pôle position, avec de nombreux déplacements et la moisson de déclarations de soutien. Il est vrai que le candidat kényan a de nombreux atouts : une expérience politique sans égale par rapport à ses adversaires (il a été candidat à la présidentielle au Kenya à cinq reprises), un carnet d’adresses étoffé, un charisme qui en impose et une longévité politique qui ne peut être le fait du hasard.
Dans cette zone particulièrement troublée de l’Afrique de l’Est, il est un médiateur tout désigné et, en tant que senior, il le sera partout sur le continent africain, où le respect de l’aîné est une valeur culturelle unanimement partagée et respectée. Il a donc pour lui la connaissance du terrain, l’expérience et la pratique de l’art politique au plus haut niveau.
Il s’y ajoute que, s’il était élu, ce serait le couronnement d’une carrière qui se terminerait par un happy end, après un parcours semé d’embûches qui en aurait découragé plus d’un.
Ses adversaires n’ont pas l’air de s’avouer vaincus avant de combattre. C’est le cas de Mahamadou Ali Youssouf, ministre des Affaires étrangères de Djibouti depuis vingt ans. Il a aussi de l’expérience à revendre et, venant d’un « petit pays », il pourrait profiter des tensions et autres frictions qui existent toujours entre les « grands ». Il semble déterminé à défendre ses chances jusqu’au bout.
Quant au dernier candidat, le Malgache Richard Randriamandrata, il s’est présenté sur le tard, soit parce qu’il hésitait, soit parce qu’il a été poussé. Par qui ? Des États qui voulaient éviter un duel entre deux ? Ou qui n’étaient pas satisfaits des choix proposés ?
La candidature, au dernier moment, de Randriamandrata suscite des interrogations, mais elle est bien enregistrée. Il est aussi, comme son collègue djiboutien, un diplomate, ancien ministre des Affaires étrangères. Il a un bon background, et son pays n’est pas « petit », même s’il est peu audible sur la scène continentale.
Quoi qu’il en soit, la prise en compte de la complexité de l’échiquier politico-diplomatique du continent africain n’autorise pas à écarter d’emblée aucune candidature.
Toutefois, Odinga est bien le favori, et sa pratique et sa connaissance du terrain devraient lui permettre de faire la différence, en pesant sur le choix des chefs d’État qui ne peuvent pas ne pas considérer le contexte de guerre qui s’impose en RDC et aussi les conflits multiples, ouverts ou qui couvent, du Nord (Libye) au Centre (RDC, Mozambique, par exemple).
Mais encore les guérillas terroristes dans le Sahel, au Nigeria, au Tchad, où un climat de terreur est toujours instauré par Boko Haram, Al-Qaida, l’État islamique et d’autres groupuscules radicalisés.
La question sécuritaire va prendre une grande partie des débats. Sans sécurité, rien n’est possible, et surtout pas un développement harmonieux avec la prise en charge des besoins vitaux des populations africaines, en proie aux violences terrifiantes nées de ces conflits entre États et terroristes, entre prédateurs miniers et gouvernants affaiblis par la corruption, la mal-gouvernance et l’incompétence.
Pourtant, le thème choisi, les « réparations » nécessaires pour les victimes des crimes contre l’humanité perpétrés par les colonialistes, va souder tous les participants. Tous les États africains ont souffert des pillages coloniaux, des crimes de sang et du découpage scandaleux des frontières (conférence de Berlin : 1884-1885), qui expliquent aujourd’hui de nombreux conflits entre États voisins.
D’ailleurs, l’OUA (ancêtre de l’UA, si l’on ose dire) avait consacré « l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation », avant de rétropédaler dans le cas de l’Érythrée, séparée de l’Éthiopie, et du Soudan, divisé en deux avec l’avènement du Soudan du Sud.
Le débat est de savoir quelle stratégie adopter pour acculer les anciennes puissances coloniales à rendre les biens spoliés et à payer de l’argent aux États pressurisés. Ce combat doit être continental, comme celui de l’effectivité de la zone de libre-échange continentale.
Plus que jamais, l’UA demeure utile aux Africains : elle est la voix de tout le continent, de tous ses peuples.
La réunion annuelle de l’UA à Addis-Abeba, en Éthiopie (seul pays africain, avec le Liberia, à ne jamais avoir été colonisé, même s’il a eu à lutter et à vaincre l’Italie fasciste), est plus que symbolique. Elle est un moment capital pour l’Afrique et ses peuples, qui doivent lui donner l’envergure qu’elle mérite.