À Snake Park, les habitants vivent dans l’ombre toxique d’un talus de résidus miniers datant de la ruée vers l’or. Maladies, malformations et colère s’accumulent.

Elle domine le quartier comme un mirage doré. Les enfants de Snake Park l’appellent la “montagne jaune”. Mais derrière cette appellation presque poétique se cache une réalité brutale : cette ancienne mine d’or, vestige de l’ère coloniale et industrielle sud-africaine, empoisonne silencieusement les quelque 50.000 habitants du quartier, selon plusieurs ONG locales.

Le sol crisse sous les pas, la poussière s’infiltre partout : dans les narines, dans la gorge, jusque dans les dents. À chaque bouffée d’air, des particules d’arsenic, de plomb ou encore d’uranium s’élèvent du talus – des résidus hautement toxiques, selon des analyses indépendantes. Ce passif toxique de la ruée vers l’or de la fin du XIXe siècle, qui a donné naissance à Johannesburg, n’a jamais été vraiment traité.

Des enfants handicapés, des familles démunies

Parmi les habitants, nombreux sont ceux qui désignent la mine comme responsable des handicaps chez leurs enfants. L’association Snake Park Cerebral Palsy Forum a recensé au moins quinze cas de paralysie cérébrale dans le quartier, sans compter d’autres troubles sévères.

Okuhle, 13 ans, fait partie de ces enfants. Abandonnée bébé, elle a été recueillie par Lilly Stebbe, 60 ans, qui l’élève aujourd’hui seule. « Elle ne peut ni marcher, ni parler, ni utiliser ses mains », raconte-t-elle. Asthme, problèmes oculaires, sinus bouchés… la liste des symptômes s’allonge. La sexagénaire tousse en permanence. « Ici, la poussière est omniprésente. »

David van Wyk, chercheur à la Bench Marks Foundation, documente depuis des années les ravages des mines abandonnées dans le pays – plus de 6.000 au total, dont 2.322 jugées “à haut risque sanitaire”. Selon lui, entre 15 et 20 millions de Sud-Africains vivraient aujourd’hui à proximité immédiate de ces bombes écologiques.

Une eau contaminée, une terre malade

Chaque mois, Van Wyk mène des prélèvements dans la décharge de la mine, en partenariat avec l’Université de Johannesburg. Ce jour-là, l’instrument affiche une concentration de 776 mg de solides dissous par litre d’eau – bien au-dessus du seuil tolérable. Le ruisseau qui traverse cette étendue poussiéreuse est rougeâtre, saturé en uranium et strontium, deux éléments radioactifs. Pourtant, cette eau irrigue les champs et abreuve les bêtes. Certaines chèvres naissent avec trois pattes.

La société Pan African Resources, propriétaire du site depuis 2022, reconnaît la dangerosité de la situation. « Donnez-nous dix ans, maximum, et nous enlèverons complètement le talus », promet Sonwabo Modimoeng, responsable des relations communautaires. Mais pour les riverains, les panneaux installés autour de la zone sont une réponse dérisoire à une crise sanitaire majeure.

Une génération sacrifiée ?

Baile Bantseke, 59 ans, vit à quelques centaines de mètres de la mine. Son petit-fils de 5 ans est autiste, et elle en rend la montagne responsable. Des études récentes, comme celle publiée en 2024 dans la revue Environmental Health, suggèrent un lien entre exposition aux métaux lourds et troubles neurodéveloppementaux.

« J’en veux au gouvernement. S’il s’occupait de nous, on n’aurait pas de tels problèmes », lâche-t-elle, amère. Les familles reçoivent une aide mensuelle de 2.310 rands (environ 113 euros) pour les enfants handicapés — trop peu pour assurer des soins réguliers à l’hôpital Baragwanath, à quinze kilomètres de là.

Un combat communautaire modeste mais tenace

Faute de moyens, les familles improvisent. Le Snake Park Cerebral Palsy Forum, fondé par Kefilwe Sebogodi, une habitante qui élève sa nièce paralysée, tente de rassembler les mères, les grands-mères, les tantes. Elles se retrouvent chaque mois dans une salle communautaire aux vitres brisées. « On veut montrer que ces enfants comptent », insiste Kefilwe.

Ce jour-là, l’une des mères, épuisée, remet en question l’utilité de ces réunions. Kefilwe répond sans hésiter : « On a déjà accompli beaucoup de choses. Parce qu’on est toujours debout. »