Le Premier ministre Ousmane Sonko s’apprête à présenter son plan national de redressement, un document censé guider le Sénégal vers une relance économique stable et équitable. Pourtant, ce projet soulève de sérieuses interrogations quant à la cohérence et à la crédibilité de son auteur. En effet, Sonko, qui s’est longtemps positionné comme un farouche opposant à l’impérialisme occidental et aux institutions financières internationales, a choisi de s’entourer de Dominique Strauss-Kahn (DSK), ancien directeur du Fonds monétaire international (FMI). Cette alliance apparaît comme une incohérence profonde, qui met en lumière une forme de compromis voire de compromission incompatible avec les principes affichés.

Sonko a bâti sa réputation sur une critique virulente des systèmes hérités de Bretton Woods, accusés d’avoir imposé des politiques d’ajustement structurel dévastatrices pour l’Afrique. Ces mesures, promues par le FMI sous la direction de figures comme DSK, ont contraint les États africains à des privatisations massives, à des coupes dans les dépenses sociales et à une libéralisation économique qui a souvent aggravé les inégalités. Au Sénégal, ces réformes ont contribué à affaiblir l’agriculture locale, à démanteler les services publics et à alourdir une dette déjà insoutenable, laissant des séquelles durables sur l’économie et la société. Inviter DSK à conseiller le gouvernement actuel revient à légitimer ces approches, alors même que Sonko les a dénoncées comme des instruments de domination. Cette décision ne peut être vue que comme un renoncement à une vision souveraine et africaine, révélant une dépendance persistante aux modèles occidentaux obsolètes.

Au-delà des divergences idéologiques, cette collaboration soulève des questions éthiques troublantes. Tant Sonko que DSK ont été impliqués dans des affaires judiciaires graves liées à des allégations d’agressions sexuelles. DSK a vu sa carrière s’effondrer en 2011 suite à l’affaire Nafissatou Diallo, une employée d’hôtel guinéenne qui l’a accusé d’agression dans une suite new-yorkaise, un scandale qui l’a écarté de la course présidentielle française. De son côté, Sonko a été confronté à des accusations similaires portées par Adji Sarr, aboutissant à une condamnation pour corruption de la jeunesse qui a entravé ses ambitions présidentielles. Pour un leader qui se présente comme un défenseur intransigeant de la moralité publique, s’associer à un individu au passé aussi controversé érode sérieusement sa légitimité et interroge la sincérité de son engagement éthique. Le président Bassirou Diomaye Faye, étroitement lié à Sonko, semble tolérer cette situation sans intervention, ce qui affaiblit davantage l’image d’un exécutif uni et guidé par une éthique.

DSK, pour sa part, représente une expertise datée, ancrée dans des paradigmes économiques qui ont prouvé leurs limites. Ses recommandations, centrées sur l’austérité et les ajustements structurels, ont souvent exacerbé les crises plutôt que de les résoudre, particulièrement en Afrique. Face aux défis actuels du Sénégal (inflation persistante, chômage endémique chez les jeunes et tensions internes au sein du pouvoir), recourir à de telles figures semble anachronique. Au lieu d’explorer des solutions innovantes et adaptées au contexte africain, comme le renforcement de la souveraineté alimentaire ou l’investissement dans des secteurs verts et locaux, le gouvernement opte pour des conseils qui perpétuent une dépendance idéologique. Ce plan de redressement, annoncé à la veille d’une mission du FMI fin août, vise à mobiliser 5 000 milliards de FCFA sur le marché intérieur et à rationaliser les dépenses publiques, mais sans une rupture réelle avec les modèles passés, il risque de n’être qu’une reformulation superficielle d’échecs antérieurs.

Cette approche contredit les aspirations à une souveraineté authentique, telles que celles esquissées dans des visions comme le « Sénégal 2050 ». Elle traduit une incapacité à formuler des alternatives concrètes, préférant recycler des idées usées plutôt que d’innover.

En comparaison, la gestion du Sénégal, il y quelques années, offrait une continuité dans le développement des infrastructures et une croissance relative, malgré ses imperfections. Sous l’actuel tandem Sonko-Faye, le pays semble s’enliser dans des contradictions qui minent la confiance publique. Ce n’est pas un redressement véritable, mais une illusion qui exploite les attentes d’un peuple en quête de changements profonds, sans en offrir les fondations solides. Il est temps que les responsables sénégalais examinent ces incohérences avec lucidité, avant que ces choix ne compromettent irrémédiablement l’avenir du pays.