Le 17 juillet 2025, après 16 mois d’attente, le Sénégal a signé un nouveau contrat avec ACWA Power pour un projet de dessalement d’eau dans le triangle Dakar–Thiès–Mbour. Ce délai prolonge un précédent accord du 27 mars 2024, suspendu sans explication rationnelle, malgré l’urgence d’un approvisionnement fiable pour des millions d’habitants. Le discours martial invoqué à l’annonce de l’annulation en avril 2024 a rapidement cédé le pas à un ton diplomatique, signe d’une nouvelle administration plus prudente… ou plus patiente.
Les données publiées indiquent une baisse tarifaire de 427 à 389,8 F CFA/m³, soit – 8,7 %, tandis que la subvention de l’État diminue de 20 à 17,5 milliards F CFA entre 2027 et 2029, puis de 40 à 35 milliards à partir de 2030. Globalement, le coût de production chute de 715,4 à 642,1 F CFA/m³ (- 10,2 %). ACWA Power ajoute une dimension écologique et rentable avec 300 MW d’énergie solaire, plus du double de ce qui était initialement prévu, permettant de vendre à Senelec de l’électricité à 18 F CFA/kWh.
Tout cela semble souverain : PPP intelligent, mix hydrique, maîtrise budgétaire, initiative vertueuse digne du PSE (Plan Sénégal Émergent) de Macky Sall. Et pourtant, le bilan réel est nettement moins enthousiasmant. D’abord, pourquoi avoir attendu 16 mois pour conclure l’évidence ? Ces mois de retard, en pleine période de surchauffe urbaine, se traduisent par des pénuries ponctuelles et des coûts d’urgence assumés par les usagers. Notre investigation révèle que ce retard de 16 mois n’est pas un simple contretemps, mais le signe d’une incapacité à piloter un partenariat complexe. En effet, le Ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement parlait d’annulation du contrat en avril 2024 à leur arrivée au pouvoir et maintenant de suspension du contrat après avoir renégocié avec la partie saoudienne. Le discours guerrier, à leur arrivée, a cédé la place au discours diplomatique à l’épreuve de la gestion des affaires et des relations avec un pays partenaire comme l’Arabie Saoudite.
Ensuite, malgré une chute de 30 % attendue dans les coûts énergétiques (composant 30 % du prix de l’eau), selon des documents internes consultés, la baisse finale n’atteint que 10 %, bien en-deçà des attentes générées par les économies d’énergie. Cette réduction globale du tarif si modeste interroge. L’effet de levier du solaire et des prêts concessionnels (passés de 33 % à 50 %) aurait dû engendrer une baisse plus soutenue, surtout sur le long terme. La subvention diminuant également, on aurait pu espérer un tarif au consommateur plus allégé ; ça n’est pas le cas.
Troisième dissonance : le contrat d’achat d’énergie (CAE) de 150 MW sur 30 ans avec Senelec à 18 F CFA/kWh, est le plus massif jamais conclu. Nous avons décortiqué le texte du contrat pour vérifier sa conformité au Code de l’électricité et aussi surprenant que cela paraisse, cette structure apparaît en contradiction avec le Code de l’électricité sénégalais – qui limite la revente d’énergie privée aux excédents, plafonnés à 5–10 % . Alors que Macky Sall martelait la rigueur juridique, sa partie adverse semble avoir laissé le code au vestiaire… Ce contrat constitue le triple de la puissance précédente (50 MW sur 20 ans), et s’étire sur 1,5 fois la durée – un record décoré d’une légèreté réglementaire troublante.
Pourtant, le contrat initial prévoyait déjà plusieurs mécanismes de renégociation, indexés sur la part de financement concessionnel, l’évolution du coût de l’énergie solaire et d’autres facteurs bien précis – la clause de révision tarifaire restait ouverte si les prêts bonifiés ou les économies d’énergie évoluaient. Or, la renégociation actuelle semble avoir été contournée : le nouveau CAE de 150 MW pour 30 ans, inédite et scandaleusement longue, a été signée en gré à gré, en violation flagrante du Code de l’électricité qui limite les ventes d’excédent à 5–10 %. Interrogé à ce sujet, un haut fonctionnaire a reconnu que la procédure « gré à gré » n’avait jamais été prévue initialement…
L’usage des prêts concessionnels, initialement justifié pour alléger les coûts, n’a visiblement pas servi pleinement les consommateurs. Le nouveau pacte ménage les marges d’ACWA Power, comme en témoignent les chiffres de la renégociation : baisse modeste des tarifs, maintien d’une forte subvention publique, et CAE de 150 MW aux conditions avantageuses. L’entreprise saoudienne repart avec un scénario aux retombées économiques lisibles pour ses investisseurs, tandis que la population sénégalaise doit se satisfaire d’une baisse timide.
Par contraste, le contrat de Macky Sall apparaissait structuré : mix hydrique comme solution au choc de la dépendance au lac de Guiers, PPP maîtrisé, PPP dans l’électricité avec parts locales pour SONES/Senelec, mix énergétique cohérent, et référencement budgétaire clair grâce au PSE. Ici, malgré le discours « Alhamdoulillah » du Président Diomaye Faye, nous sommes face à une gestion au ralenti, marquée par une communication triomphante plus que par un impact palpable pour les Sénégalais.
La régulation interne pose aussi question. Le MHA Cheikh Tidiane Dieye a rappelé que « notre action s’inspirait de l’État de droit, qui doit s’interdire de transgresser des lois qu’il a lui-même édictées ». De belles paroles, mais quand on constate l’absence d’appel d’offres pour ce CAE de 150 MW et l’absence de clarification par le CRSE – pourtant désigné meilleur régulateur selon l’Indice ERI 2024 de la BAD –, on hésite entre déni et préférence bureaucratique. Comment une autorité si réputée tolère-t-elle un tel contournement réglementaire ?
En creux, cette renégociation illustre le risque d’un alignement bâclé entre Vision Sénégal 2050 et PSE. Le nouveau contrat aurait pu poursuivre les innovations de Macky Sall : usage des clauses de révision dans le contrat initial, négociations ciblées, ajustements tarifaires rapides, sans repasser complètement par la case accords bilatéraux lourds. Un simple rappel à l’ordre par le ministre Serigne Mbaye Thiam aurait pu suffire pour obtenir de meilleures conditions, en actionnant le calibrage juridique déjà disponible.
À l’inverse, les nouveaux dirigeants auront choisi d’aligner la signature d’un gigantesque 800 M$ avec une performance publicitaire éclatante, mais au prix d’un rendement sociétal limité. Le consommateur, longuement privé, n’obtient qu’une baisse modeste ; la bureaucratie économique se contente d’un pacte complexe, peu transparent ; et ACWA Power engrange une victoire financière à long terme.
Paradoxalement, ce contrat est à la fois une réussite diplomatique – le Sénégal attire toujours de gros investisseurs – et un échec opérationnel dans la traduction concrète de cette alliance pour le citoyen. Le vrai défi reste celui de la continuité stratégique dictée par l’approche PSE : planification rigoureuse, anticipation de la demande, financement optimisé, et priorisation de la population sur la com’.
Dans le jeu des contrastes, Macky Sall ressort grandi : son PSE avait déjà fait usage du mix hydrique, du PPP bien réglé, et d’une vision budgétaire précise – là où ses successeurs semblent naviguer à vue. Les promesses vertueuses laissent place à un compromis équilibré, certes, mais clairement plus favorable à la partie saoudienne qu’aux Sénégalais.
En conclusion, même si ce nouveau contrat annonce une baisse de 30 % des coûts de production de l’eau grâce à la signature du CAE de 150 MW avec Senelec, et une augmentation de 52 % de la part des prêts concessionnels, on ne peut ignorer le retard de 16 mois déjà accumulé dans la mise en œuvre d’un projet stratégique. De surcroît, l’accord signé en gré à gré pour 30 ans, totalement inédit, viole clairement le code de l’électricité, ne répond à aucun besoin réel du réseau en termes de taille (150 MW) ni de durée (30 ans), et ce, pour obtenir en fin de compte une baisse tarifaire étriquée de seulement 10 % sur le prix de l’eau.
Macky Sall mérite de vifs applaudissements pour avoir su, avec la rigueur d’un maître d’œuvre, poser les jalons solides du contrat ACWA. En revanche, Diomaye Faye et Sonko, dans leur version artisanale du deal, ne parviennent qu’à souffler un souffle creux, un feu de paille aux promesses fugaces, incapable d’embraser les espoirs réels du Sénégal.