Un séminaire intergouvernemental Sénégal–France réunira les Premiers ministres Ousmane Sonko et François Bayrou
« La France n’a ni la capacité ni la légitimité pour assurer à l’Afrique sa sécurité et sa souveraineté », cinglait Ousmane Sonko, triomphant, le verbe haut et la morale au garde‑à‑vous. Hier encore, il foudroyait le franc CFA et l’« entregent » des élites sénégalaises avec Paris, attisant ce slogan chic pour réseaux en manque d’âme : « France, dégage ! » Bref, le héraut de la souveraineté musclée. Et voici maintenant le même Don Quichotte de la décolonisation qui polit ses souliers pour un séminaire intergouvernemental avec… François Bayrou. L’ironie, ici, ne se compte plus en degrés : elle se mesure en kilomètres de vol Dakar–Paris.
Car le 12 août, pendant que la rhétorique anti‑française reprenait sa sieste, une délégation sénégalaise emmenée par Boubacar Camara, ministre et Secrétaire général du Gouvernement, flanquée de son adjoint Cheikh Dieng, s’installait à Paris pour préparer les grandes lignes du prochain séminaire intergouvernemental. Menu du jour : « gouvernance », « pilotage stratégique », « innovation publique ». En français dans le texte, et au pas cadencé. Le tout estampillé Vision Sénégal 2050, ce référentiel devenu mantra, dont la majesté de papier recouvre tant bien que mal la nudité budgétaire. On vient donc « partager des meilleures pratiques » : manière élégante de dire qu’on veut apprendre à tenir les comptes et à éviter les gouffres. Dans ces circonstances, l’ennemi colonial se transforme commodément en professeur d’orthographe administrative.
Le grand écart n’est pas que sémantique, il est géopolitique. De « France, dehors ! » on glisse à « France, montre-nous comment faire », avec la componction d’un stagiaire tardif. On te l’accorde : la politique, c’est l’art du virage serré. Mais encore faut-il éviter d’écraser ce qu’on proclamait sacré. Quand on promettait de renégocier les contrats pétro‑gaziers à la lame froide et de rompre avec l’« ordre moral » venu d’ailleurs, on ne s’imaginait sans doute pas qu’on devrait, sitôt la porte franchie, discuter à Paris de feuilles de route, de performance publique et d’agences d’exécution. Il est vrai que la souveraineté, sans trésor, n’est qu’un drapeau accroché à un mât fendu.
Et que dire du partenaire du moment ? François Bayrou, Premier ministre d’une France prise à la gorge budgétaire. Son gouvernement taille dans la dépense comme on scalpe une forêt ancienne : au nom de l’orthodoxie, du sérieux, du « retour à l’équilibre ». Paris n’a donc plus tout à fait les moyens de sa grandeur africaine. Le chèque facile s’est évaporé ; restent la norme, la procédure, l’outil financier « ciblé » et les admonestations polies. Deux austérités se font face : l’une, française, rêche et comptable ; l’autre, sénégalaise, brutale, rattrapée par la vérité des chiffres et la chute des illusions.
Le séminaire intergouvernemental, pourtant, n’est pas une fumisterie. C’est une vieille mécanique bilatérale, unique en Afrique subsaharienne : un cadre qui, dans ses bonnes années, a aligné ministres, promesses et protocoles. On y a déjà scellé des accords sur l’éducation, la jeunesse, la mobilité, l’investissement. Et l’on nous jure que cette édition « redéfinira les contours » du partenariat. Si l’on veut bien traduire : il s’agira de rafraîchir la façade, de repeindre les corniches et, surtout, de consolider les fondations techniques, celles qui permettent à un État d’émettre, de taxer, de payer, bref d’exister autrement qu’en slogans.
Reste l’essentiel : ce rendez‑vous consacre la conversion d’un tribun en praticien. Le procureur de la « Françafrique » vient chercher de la méthode, de la crédibilité, peut‑être même des débouchés industriels. Il parle désormais d’assainissement, de « ciblage » des dépenses, de rationalisation des agences. Il jure que tout cela servira la « souveraineté ». Soit. Mais la souveraineté n’est pas une bannière, c’est un budget. Elle se démontre en solde primaire, pas à la tribune. Et elle commence par cesser d’accuser l’Autre de ce qu’on n’a pas su faire soi‑même : mesurer, auditer, planifier, exécuter.
Le prochain séminaire intergouvernemental sera donc une scène. D’un côté, Sonko, obligé d’apprendre la prose budgétaire et d’avaler ses apostrophes. De l’autre, Bayrou, obligé de dire non plus souvent que oui. Entre eux, des administrations qui, elles, font le travail : elles écrivent, chiffrent, trient, calibrent. La véritable relation franco‑sénégalaise se joue là, dans ces dossiers où la souveraineté cesse d’être un cri pour devenir une colonne de chiffres. Le reste, les anathèmes d’hier, les poignées de main de demain, ne sont que théâtre.
Si ce séminaire réussit, on le saura : non pas à la longueur du communiqué final, mais à la sobriété de ses phrases. Moins d’emphase, plus de calendrier ; moins de mémoire blessée, plus de procédures solides. Et si Sonko veut encore crier « Dégage », qu’il commence par dégager les promesses creuses, les budgets maquillés et l’illusion souverainiste. La France, elle, n’a pas besoin d’être « dégagée » : ses moyens l’ont déjà fait. À Dakar comme à Paris, il est temps de passer de la joute à la gestion. La souveraineté, ici, ne s’éructe pas : elle se prouve.