Afrique confidentielle a pris connaissance et analysé le document « Jubbanti Koom » qui se veut la feuille de route qui sauvera le Sénégal mais qui risque au contraire d’en précipiter la faillite. Nous allons revenir sur plusieurs point majeurs du plan, dans une série d’articles au cours des prochains jours : aujourd’hui le volet financier et les hypothèses macroéconomiques qui le soustendent : Nous verrons que ce plan repose sur un château de cartes construit à partir d’illusions comptables et d’un optimisme béat quant à la croissance future du pays.
Une promesse « zéro dette » qui cache un emballement budgétaire
Dès la diapositive 8, le gouvernement jure qu’il n’augmentera pas la dette publique. Pourtant, l’encart jaune de la page 12 reconnaît que le coût global du programme sera 33 % plus élevé que le scénario budgétaire officiel 20262028. Comment carrément dépenser un tiers de plus tout en promettant simultanément un retour au déficit de seulement 3 % du PIB dès 2027 ? La quadrature du cercle n’est même pas démontrée ; elle est simplement assénée.
Une analyse en détails est plus inquiétante encore : 4 605 milliards FCFA de nouvelles dépenses ne génèrent, selon les propres chiffres du plan, que 1 062 milliards FCFA de recettes fiscales additionnelles (slide 19). Autrement dit, chaque franc dépensé rapporterait moins de 23 centimes d’impôt direct. Aucun manuel de finances publiques ne valide une telle élasticité (surtout dans une économie où l’informel pèse encore près de 40 % du PIB. Le pari revient donc à creuser le déficit, puis à espérer que des “ressources endogènes” viendront miraculeusement combler le trou.
“Ressources endogènes” : le mirage d’une manne introuvable
Sur les 5 667 milliards FCFA de ressources annoncées, 2 111 milliards sont supposés surgir d’une meilleure “mobilisation domestique”, 1 352 milliards d’un financement “hors endettement”, et 1 091 milliards d’un mystérieux “recyclage d’actifs” (slide 18). Cette dernière ligne, soit près d’un quart de la cagnotte, mérite examen.
Le recyclage consiste, apprendon aux pages 2728, à céder temporairement la moitié de plusieurs exbases militaires françaises ou d’une zone économique spéciale, tout en « conservant la propriété ». Nulle part ne sont précisées les valorisations indépendantes, la durée des baux ni, surtout, le cadre juridique encadrant de telles cessions. L’État affiche par exemple 62 milliards FCFA pour la moitié de la base de Rufisque ; un chiffre posé sur une diapositive comme un vœu pieux. Sans études de marché, sans due diligence, c’est l’enfant malade du “wishful thinking” : un actif est réputé valoir ce que Sonko souhaite qu’il vaille.
Pire : la trésorerie escomptée est présentée en stock et non en flux. Un bail de longue durée payé en plusieurs tranches pourrait n’injecter que quelques milliards par an – très loin des besoins immédiats du budget. En d’autres termes, on gonfle artificiellement les ressources projetées sans prendre en compte le calendrier d’encaissement.
Les nouvelles taxes que personne n’ose nommer
Le plan promet qu’il n’y aura « pas de taxes supplémentaires aux investisseurs » (slide 8). À la lecture des tableaux fiscaux pages 2223 & 29, on découvre toutefois une inflation d’accises sur le transport, les véhicules importés, les téléphones portables ou encore l’arachide. Ces prélèvements, présentés comme “optimisation des ressources”, frapperont de plein fouet ménages et PME, c’estàdire la base électorale même que le gouvernement prétend protéger.
L’hypocrisie est double : d’abord, ces taxes renchériront les coûts de production et la consommation courante, amputant mécaniquement la croissance. Ensuite, elles sont incompatibles avec l’objectif affiché de « maîtrise des prix des denrées » (slide 30). On ne peut simultanément encaisser un droit de sortie sur l’huile d’arachide et prétendre défendre le pouvoir d’achat urbain ; l’effet domino sur l’inflation alimentaire est inéluctable.
Un conte de fées macroéconomique
Le plan affirme que le Sénégal figure déjà « dans le top 5 africain de la croissance depuis 2024 » et occupera la 1re place en 2025 (slide 6). Cette projection ne s’appuie sur aucune modélisation : pas de trajectoire du prix du pétrole, pas de scénario sur les intempéries agricoles, pas de stress test en cas de ralentissement chinois.
Or, les données de la Banque mondiale et du FMI montrent qu’entre 2019 et 2023 la croissance réelle sénégalaise a oscillé entre 1,3 % (année Covid) et 4,8 %, loin derrière des voisins comme la Côte d’Ivoire ou le Bénin. Les estimations officielles pour 2024 tablaient certes sur un rebond autour de 6 %, porté par les premiers barils de Sangomar ; elles n’ont rien d’un record continental. En clamant un leadership imaginaire, le gouvernement construit un récit qui masque les risques : choc pétrolier, hausse des taux mondiaux, instabilité au Sahel… Ignorer ces facteurs, c’est gouverner les yeux fermés.
La même cécité se retrouve dans l’objectif de déficit : passer de 12 % à 3 % du PIB en trois ans exigerait soit un tour de vis fiscal brutal, soit une croissance nominale à deux chiffres. Le premier scénario est incompatible avec les promesses sociales pléthoriques du plan ; le second relève de l’utopie pure et simple.
Amateurs aux commandes, irresponsabilité au sommet
En définitive, le financement irrationnel et la croissance fantasmée du plan Sonko ne sont pas de simples zones d’ombre ; ils constituent le cœur même du projet. Un cœur bâti sur le sable. Au lieu de redresser la nation, la stratégie risque d’alourdir la dette cachée, d’étouffer le secteur productif par des taxes déguisées et de plonger les Sénégalais dans une désillusion profonde.
Face à ces incohérences, la conclusion s’impose : Ousmane Sonko, formé ni à la macroéconomie ni aux arcanes des marchés financiers, pilote un véhicule budgétaire sans permis. Son discours nationalpopulaire séduit, mais ses équations ne tiennent pas la route. Pis, le président Bassirou Diomaye Faye, en cautionnant ce projet, endosse la coresponsabilité d’un naufrage annoncé. Lorsque les agences de notation dégraderont Dakar, lorsqu’il faudra solder des fallacieuses “ressources endogènes” par de vraies coupes budgétaires, ce duo devra répondre devant l’histoire.
Le prochaine article de cette série examinera la cohérence sociale du plan Sonko.