Deux diplomates maliens en poste à Paris, Batné Ould Bouh Coulibaly et Ousmane Camara, ont été déclarés « persona non grata » par le Quai d’Orsay. Respectivement conseiller et attaché aux affaires consulaires, ils sont présentés par Paris comme des membres des services de renseignement maliens opérant sous couverture diplomatique. La notification officielle a été transmise, le 16 septembre, au chargé d’affaires près de l’ambassade du Mali en France. Ce geste, rare mais codifié par le droit international, s’inscrit dans une séquence de dégradation continue des relations entre la France et le Mali.

La mesure intervient dans le sillage de l’arrestation à Bamako, le 14 août, du diplomate français Yann V., identifié par les autorités maliennes comme un agent de la DGSE. Paris a dénoncé des « accusations sans fondement » et rappelé que l’intéressé bénéficiait de l’immunité prévue par la Convention de Vienne. Dans ce contexte de bras de fer, l’expulsion de Coulibaly et Camara apparaît comme une riposte calibrée : elle réaffirme le principe de réciprocité au cœur des usages diplomatiques sans franchir, à ce stade, le seuil d’une rupture formelle.

Au plan juridique, l’outil mobilisé par la diplomatie française est classique. L’article 9 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques autorise un État à déclarer à tout moment un diplomate « persona non grata », sans obligation de motiver sa décision. Le corollaire, côté consulaire, figure dans la Convention de Vienne de 1963. Dans les faits, ce mécanisme fonctionne comme une soupape : il permet de sanctionner des « activités incompatibles avec le statut diplomatique », formule qui, en langage feutré, couvre la conduite d’opérations de renseignement – tout en laissant ouvertes les voies de désescalade.

Reste que l’épisode ne fait que creuser un sillon entamé de longue date. Après l’intervention française Serval (2013) puis Barkhane, le partenariat sécuritaire s’est disloqué au rythme des coups d’État (2020 et 2021) et d’un virage assumé de Bamako vers Moscou. En janvier 2022, la junte malienne expulsait l’ambassadeur de France et, à l’été 2022, les forces françaises achevaient leur retrait du territoire malien. En 2023, la création de l’Alliance des États du Sahel (AES) avec le Burkina Faso et le Niger, devenue confédération en 2024, a consacré l’éloignement stratégique d’avec Paris et, plus largement, de l’espace CEDEAO dont Bamako s’est retiré en 2024. Le dossier Yann V. a servi de nouvel accélérateur : en l’absence de canaux politiques robustes, les contentieux glissent mécaniquement vers le registre coercitif.

Sur le terrain, les effets se mesureront d’abord dans le quotidien des communautés. L’expulsion d’un attaché consulaire a un coût opérationnel immédiat : délais allongés pour les documents administratifs, capacités amoindries d’assistance aux ressortissants. Or la relation bilatérale comporte une dimension humaine structurante : côté français, plusieurs milliers de ressortissants vivent encore au Mali ; côté malien, près de 90 000 personnes titulaires d’un titre de séjour étaient enregistrées en France en 2019, sans compter les binationaux et les non-déclarés. La fragilisation des chaînes consulaires accroît la vulnérabilité des plus dépendants de ces services.

Politiquement, la décision de Paris envoie deux signaux. À Bamako, elle signifie que l’arrestation d’un agent diplomatique, fût-il soupçonné de renseignement, constitue un franchissement de ligne rouge. À ses partenaires européens et africains, elle rappelle que la France privilégie désormais des réponses juridiques et diplomatiques ciblées plutôt que l’outil militaire, tout en préservant sa capacité de pression. Le pouvoir malien, de son côté, pourrait choisir la symétrie et prononcer de nouvelles expulsions ; mais il sait également que l’isolement diplomatique pèse sur l’attractivité économique d’un pays aux prises avec l’insécurité et la contraction des financements.

La suite dépendra de la capacité des deux capitales à reconstituer un minimum de « protocole utile » : laisser les chancelleries faire leur travail de protection et d’information, et cantonner le duel de services à des règles tacitement partagées. À défaut, le risque est celui d’une diplomatie de coups de menton et de gestes punitifs en chaîne, qui affaiblit les populations avant d’atteindre les États. Dans l’immédiat, l’expulsion de Coulibaly et Camara acte un nouvel étage dans la spirale. Elle ne ferme pas la porte au dialogue, mais elle rappelle, sèchement, que la relation franco-malienne est entrée dans l’ère du soupçon.