Le Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, a fait sa déclaration de politique générale (DPG), fait voter une loi de finances rectificative et installé une Haute Cour de justice dans un marathon législatif mené tambour battant hier et aujourd’hui samedi.
Ce face-à-face avec les députés, qu’il a tant retardé et/ou redouté, a tiré en longueur, distillé des buzz et suscité des interrogations que les Sénégalais auront comme « devoir de vacances » pendant ces fêtes de fin d’année qui commencent.
L’annonce d’un choix d’imposer « une réciprocité des visas » avec les pays qui en imposent aux Sénégalais soulève l’inquiétude des acteurs du secteur touristique, qui ont exprimé publiquement leur désaccord.
Leur argumentation est frappée au coin du bon sens : le Sénégal, en concurrence dans ce secteur très concurrentiel, va subir un choc terrible avec une désaffection des touristes, notamment européens, qui tourneront le dos à la destination du « Pays de la Téranga ».
Les visas sont sources de tracasseries, de paiements de taxes et de perte de temps. L’ex-président Macky Sall avait tenté l’expérience, qui s’est révélée catastrophique. Il avait rétropédalé, causant au Sénégal des pertes de clientèle durables.
Le Sénégal, sur le plan touristique, souffre, par rapport aux pays d’Afrique du Nord, de l’éloignement (avec des prix de transport plus chers), d’un déficit d’infrastructures hôtelières, entre autres. Les touristes européens qui y viennent ne sont pas riches et, donc, font des économies de budget.
L’avantage pour Dakar demeure la sécurité et la stabilité du pays, une oasis de paix en Afrique de l’Ouest.
Sur le principe, on peut comprendre la « volonté de réciprocité », mais l’intérêt supérieur du Sénégal, en termes d’emplois et de recettes financières, est beaucoup plus important.
La question des bases militaires françaises
Un autre débat est posé à nouveau concernant les bases militaires françaises que Sonko veut fermer de « manière progressive », en arguant de l’impératif de la souveraineté.
Sur ce plan aussi, sa démonstration ne tient pas la route : des États souverains comme Djibouti ou les Émirats arabes unis abritent des bases françaises dans le respect de leur souveraineté. Djibouti loue des bases, à la fois aux États-Unis, à la Chine et à la France. Les recettes appréciables de ces loyers sont des revenus qui abondent le budget de l’État.
La souveraineté n’est pas un sujet, ici. La vérité est que Sonko et Diomaye avaient mené campagne sur une position radicale qui ne sert pas les intérêts du Sénégal.
Souveraineté pour souveraineté, pourquoi ne pas pousser la logique jusqu’au bout et remettre en cause la monnaie CFA ? Soit dit en passant, les États putschistes de l’AES (Mali, Burkina et Niger), qui ont rompu leurs relations avec la France, se gardent, aujourd’hui encore, de sortir du CFA. Leur choix est illogique et incompréhensible.
Mise en place de la Haute Cour de justice
À ce marathon budgétaire a succédé, ce jour, la mise en place de la Haute Cour de justice, qui permettra de juger les ministres accusés d’actes délictuels ou de crimes dans l’exercice de leurs fonctions. En cas de haute trahison, le chef de l’État lui-même serait jugé par cette juridiction spéciale composée de députés (au nombre de huit) et présidée par le Premier président de la Cour suprême.
La précipitation de l’installation de la Haute Cour de justice, après des « menaces » brandies pendant et après la campagne électorale contre les membres de l’ancien gouvernement, fait craindre une chasse aux sorcières. Bien que Sonko s’en défende !
Personne ne peut accepter que des crimes et délits prouvés ne soient sanctionnés par une justice impartiale rendue au nom du peuple sénégalais. Pour ce faire, maintenant que la Haute Cour de justice est mise sur pied, il faut laisser la machine judiciaire faire son travail et que cessent les fuites qui favorisent des lynchages médiatiques, aux antipodes d’une bonne administration de la justice.
Les politiques doivent respecter les magistrats et les juges et les laisser travailler sereinement. Même si la Haute Cour de justice, composée de députés, est souvent critiquée en France et au Sénégal, pour ne citer que ces deux pays, elle devra être jugée à ses actes. Les citoyens seront vigilants, tout comme les observateurs locaux et étrangers.
La vengeance et les règlements de comptes ne sont pas la justice. S’ils sont flagrants, ils accoucheront d’un effet boomerang.
Les défis du pouvoir Pastef
Dorénavant, le pouvoir Pastef est en roue libre, contrôlant les pouvoirs exécutif et législatif. Il a fait voter son budget et n’a plus qu’à se mettre au travail pour relever les défis de l’emploi des jeunes, de la crise migratoire, de la cherté des produits de consommation courante, électricité comprise, entre autres.
Ces défis sont redoutables, dans un contexte international imprévisible. On en revient à la théorie de Machiavel sur la Virtu et la Fortuna (la force et les hasards de la vie et/ou les évolutions déroutantes des situations socio-économiques et politiques).
Difficiles, voire impossibles à prévoir avec justesse, ces évolutions nécessitent une adaptation constante. L’homme politique qui a le plus de chances de tirer son épingle du jeu, dans ce contexte, n’est pas celui bardé de certitudes ou engagé dans l’impasse des dogmes et des passions qui obscurcissent la capacité de discernement.
Il doit rester lucide et cultiver sa capacité de discernement pour agir, toujours, avec efficacité, au service du peuple.