
La déroute cuisante d’Amadou Hott lors de l’élection à la présidence de la Banque Africaine de Développement (BAD) ce 29 mai 2025, où il n’a recueilli que 3,55% des voix face au Mauritanien Sidi Ould Tah (76,18%), ne se limite pas à un simple revers électoral . Ce fiasco diplomatique révèle au grand jour la déliquescence accélérée de la diplomatie sénégalaise depuis l’accession au pouvoir du couple Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko en avril 2024. Autrefois considéré comme un acteur majeur des relations internationales africaines, le Sénégal peine désormais à faire entendre sa voix, même pour soutenir ses propres candidats les plus qualifiés.
Amadou Hott n’était pourtant pas un candidat quelconque. Ancien vice-président de la BAD lui-même, ancien ministre sénégalais de l’Économie et architecte de projets ambitieux comme « Desert to Power » visant à faire du Sahel un hub de l’énergie solaire, son profil hybride mêlant expertise technique et expérience politique semblait taillé pour la présidence de l’institution . Lors de sa campagne, Hott avait présenté une vision ambitieuse visant à « sortir l’Afrique de la dépendance aux financements publics » et à repositionner la BAD comme catalyseur des investissements privés .
Pourtant, contrairement à son rival mauritanien qui a bénéficié du soutien actif de réseaux diplomatiques étendus (notamment l’Arabie Saoudite et plusieurs pays africains clés comme la Côte d’Ivoire et le Congo-Brazzaville ), Hott n’a reçu qu’un soutien symbolique du Gabon et une rencontre sans engagement ferme avec les autorités marocaines . Le contraste est frappant avec la période Macky Sall, où le Sénégal parvenait à mobiliser des coalitions régionales pour ses candidats.
Le Sénégal a longtemps incarné l’excellence diplomatique en Afrique. Sous Léopold Sédar Senghor, le pays s’était imposé comme « un modèle de stabilité et de dialogue », portant « la voix de l’Afrique dans les cercles de l’Organisation de l’Unité Africaine, l’UNESCO, de la Francophonie et des Nations unies » . Abdou Diouf avait poursuivi cette tradition en faisant de la médiation et du multilatéralisme les piliers de la diplomatie sénégalaise, renforçant l’image du pays comme acteur de paix en Afrique .
Même Abdoulaye Wade, malgré son style plus controversé, avait réussi à diversifier les partenariats du Sénégal en se rapprochant de la Chine et du monde arabe, tout en maintenant une influence certaine dans les instances régionales . Macky Sall, quant à lui, avait consolidé cette position en présidant l’Union Africaine en 2022 et en jouant un rôle de médiateur dans plusieurs crises régionales .
Mais depuis l’arrivée au pouvoir de Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko en avril 2024, le Sénégal semble avoir perdu toute influence. Les échecs s’accumulent : incapacité à empêcher le départ du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la CEDEAO malgré le rôle de médiateur confié à Faye , absence de leadership dans les instances francophones, et maintenant cette humiliation cinglante à la BAD.
Plusieurs facteurs expliquent cet effondrement rapide. D’abord, l’inexpérience patente du nouveau pouvoir en matière internationale. Bassirou Diomaye Faye, avant son élection, n’avait « qu’une expérience limitée sur la scène internationale » . Son premier ministre Ousmane Sonko, bien que charismatique sur le plan intérieur, s’est surtout illustré par des positions radicales anti-françaises et une rhétorique conflictuelle peu propice au consensus diplomatique .
Ensuite, la priorité donnée aux questions domestiques et à la « chasse aux sorcières » contre l’ancien régime a détourné l’attention des enjeux diplomatiques. Comme le note Sonko lui-même en septembre 2024, le gouvernement a consacré l’essentiel de son énergie à enquêter sur les « manipulations des chiffres dans les affaires financières » sous Macky Sall plutôt qu’à construire des alliances stratégiques .
Enfin, le style provocateur du nouveau régime a isolé le Sénégal. Les critiques acerbes de Sonko contre la présence militaire française et ses prises de position contre « les valeurs occidentales incompatibles avec les mœurs africaines » ont refroidi les partenaires traditionnels du Sénégal sans pour autant lui ouvrir des portes alternatives . Même la médiation en Casamance, présentée comme un succès en février 2025, s’est révélée partielle puisqu’une faction du MFDC a refusé l’accord .
L’échec d’Hott à la BAD n’est que la partie émergée de l’iceberg. Comme le note amèrement Sud Quotidien, « de l’ONU au CIO, en passant par le FAO, la BAD, la Francophonie, notre pays peine désormais à se faire une place au soleil » . Les défaites successives de candidats sénégalais (Abdoulaye Bathily à la Commission de l’UA, Me Augustin Senghor au Conseil de la FIFA, Seydina Oumar Diagne à l’ACNOA) dessinent un inquiétant trend .
Comme le montre l’élection à la BAD, les concurrents régionaux comme la Mauritanie ont su construire des réseaux efficaces et s’imposer sur l’échiquier continental. Sidi Ould Tah a bénéficié à la fois des « réseaux diplomatiques de son pays » et des « puissants réseaux de l’Arabie saoudite » , tandis que le Sénégal, autrefois leader, assiste impuissant à son propre déclin.