Depuis l’arrivée au pouvoir d’Ousmane Sonko au Sénégal, une série de décisions politiques suscite de profondes inquiétudes quant à l’avenir des institutions républicaines, notamment les Forces de Défense et de Sécurité (FDS). Parmi les mesures les plus controversées figurent le limogeage massif de 312 policiers et plus de 500 gendarmes, remplacés par des jeunes militants originaires de la Casamance, majoritairement affiliés à son parti, Pastef, voire liés au Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC). Cette restructuration radicale des forces de sécurité ne relève pas d’une simple réorganisation administrative, mais constitue une véritable purge politique.
Ces limogeages brutaux ont frappé des cadres et agents expérimentés, réputés pour leur loyauté envers les précédents régimes ou simplement jugés insuffisamment alignés sur la nouvelle ligne politique. Sous couvert de renouvellement générationnel et régional, la réalité est une politisation inquiétante des FDS, institutions jusque-là tenues à l’écart des influences partisanes directes. Des commissaires chevronnés, des commandants de brigade respectés, et d’autres officiers expérimentés se retrouvent ainsi écartés sans justification professionnelle crédible, remplacés par des recrues politiquement plus dociles et issues d’une même région géographique, alimentant les craintes d’une dérive ethno-régionale.
La gravité de ces choix réside surtout dans le profil particulier de ces nouvelles recrues. De nombreux observateurs confirment qu’une proportion significative de ces jeunes proviendrait de la Casamance, bastion électoral du Premier ministre Sonko et région longtemps marquée par le conflit séparatiste mené par le MFDC. Ce rapprochement entre les nouveaux agents et un mouvement autrefois en conflit ouvert avec l’État sénégalais pose la question de la loyauté républicaine des nouveaux membres des forces de sécurité. Cette inquiétude est renforcée par les antécédents récents de violences urbaines impliquant des jeunes militants de Pastef lors des émeutes ayant précédé l’accession au pouvoir d’Ousmane Sonko.
Cette politisation des FDS coïncide avec l’adoption d’une loi d’amnistie sélective, vivement critiquée par divers acteurs politiques et observateurs neutres. Sous couvert de réconciliation nationale, cette loi absout essentiellement les militants proches du pouvoir accusés de graves délits commis durant les récentes crises politiques. En revanche, aucun geste comparable n’a été accordé aux membres des forces de sécurité, pourtant exposés et critiqués pour leur rôle lors des mêmes événements. Ce double standard législatif est perçu comme une humiliation profonde par les policiers et gendarmes qui voient leur intégrité et leur professionnalisme ouvertement remis en cause, tandis que leurs anciens adversaires bénéficient d’une indulgence sans précédent.
Par ailleurs, la décision gouvernementale d’annuler un important projet de lotissement foncier destiné à la gendarmerie nationale exacerbe les tensions existantes. Ce projet, initié sous le précédent régime, représentait un acquis significatif pour les hauts gradés de la gendarmerie qui comptaient y développer des infrastructures essentielles. Sa suppression brutale a été interprétée comme un message politique clair, visant à affaiblir et à soumettre l’institution à la volonté du nouveau pouvoir. Au-delà du prétexte administratif ou juridique officiellement invoqué, il s’agit bien d’une démonstration de force politique destinée à rappeler aux militaires que leur autonomie peut être remise en cause à tout moment.
Ces bouleversements successifs alimentent une inquiétude croissante sur la cohésion interne et l’efficacité opérationnelle des FDS. La politique actuelle, loin de favoriser l’émergence d’une police et d’une gendarmerie modernes et professionnelles, tend plutôt à instaurer un climat de défiance généralisée. Le risque majeur est la création d’une véritable « milice » partisane intégrée dans l’appareil sécuritaire national. Ce phénomène de « milicianisation » menace gravement le principe de neutralité politique nécessaire au bon fonctionnement de toute démocratie républicaine. La présence d’éléments politiquement endoctrinés au sein même des structures chargées de la sécurité intérieure du pays pourrait déboucher sur des dérives autoritaires incontrôlées, transformant progressivement ces forces en gardes prétoriennes dévouées à un seul homme ou parti politique.
Les conséquences potentielles sur la stabilité nationale sont alarmantes. D’une part, l’efficacité des forces de sécurité face à la criminalité organisée, au terrorisme et aux violences urbaines risque de s’effondrer sous le poids de la politisation des nominations. D’autre part, le ressentiment et l’humiliation des professionnels écartés pourraient alimenter des tensions internes inédites. Des voix critiques se font entendre au sein même des cercles militaires, inquiètes de voir l’État sénégalais abandonner progressivement les principes républicains au profit d’une gouvernance clanique.
La gestion de la question casamançaise accentue ces préoccupations. Si Ousmane Sonko a pu temporairement s’appuyer sur un accord de paix fragile avec une faction du MFDC, les contreparties exigées par ce groupe rebelle inquiètent vivement les patriotes et les défenseurs de l’intégrité territoriale du Sénégal. Le retrait potentiel de l’armée sénégalaise de certaines régions du sud et la mise à l’écart d’officiers jugés trop fermes contre la rébellion constituent une menace directe à la souveraineté nationale, risquant de raviver un conflit latent sous une forme encore plus dangereuse.
En définitive, ces mesures prises par le gouvernement d’Ousmane Sonko révèlent une dérive autoritaire préoccupante. Loin d’être un simple renouvellement institutionnel, ces actions ressemblent davantage à une stratégie de contrôle total des institutions sécuritaires par le pouvoir exécutif. La neutralité, l’indépendance et la professionnalisation des FDS sont sacrifiées sur l’autel des ambitions politiques et partisanes, posant un risque majeur pour la stabilité à long terme du Sénégal. Un sursaut républicain est impératif pour préserver la démocratie et la cohésion nationale face à ces dérives institutionnelles inquiétantes.