“Ce qui est survenu le mardi 18 août dernier était pratiquement inévitable”. C’est ainsi que l’ancien premier ministre malien Soumeylou Boubèye Maïga voit le fin du régime de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keita (IBK). Dans un entretien accordé à un média malien, l’ancien responsable et l’un des hommes les plus respectés au Mali a livré sa lecture de la situation que traverse le pays aujourd’hui. Selon lui, “toutes les réponses qui ont été apportées à la crise depuis le mois de juin étaient à la fois tardives et insuffisantes”. Le pays s’acheminait donc tout droit vers une radicalisation encore plus dangereuse de part et d’autre. “Je pense que le 18 août a permis d’éviter, au moins, ce processus de radicalisation et de confrontation. Maintenant, c’est à nous de saisir l’opportunité créée pour repartir avec des bases garantissant à la fois la légitimité et la crédibilité des institutions”, a t-il affirmé.
Revenant sur l’action des militaires, l’ancien premier ministre a affirmé que “pour réussir la Transition, nous devons respecter la neutralité des militaires, avoir un esprit de raison et nous concéder des compromis de confiance”. Dans ce sens, il a appelé à accompagner les militaires dans leur effort de faire émerger un consensus et ne pas les soumettre à des tensions inutiles ou d’exiger d’eux des prises de position plus ou moins partisanes.
Comme tous les maliens, Soumeylou Boubèye Maïga insiste sur l’importance de cette période de transition. “En matière de transition politique, il faut être assez humble et se fixer des objectifs limités, mais importants pour le pays”, a-t-il souligné en affirmant que d’habitude dans les transitions, il y a toujours une sorte de tentation messianique. “Dans la situation actuelle, il faut éviter de vouloir embrasser trop de choses. Je crois que les questions fondamentales portent essentiellement sur l’architecture institutionnelle, la feuille de route et la durée de la transition”, a-t-il affirmé.
Pour l’architecture institutionnelle, le responsable politique a assuré qu’il faut effectivement un exécutif dirigé par un président et un Premier ministre civils comme le préconise la Cedeao, mais dans lequel les militaires ont une présence qui reflète le rôle qu’ils ont joué et qu’ils doivent tenir pour garantir une certaine trajectoire. Il préconise également la création d’un Conseil national de transition qui sera l’organe législatif dont la composition doit être inclusive, ayant une compétence législative pour la période de la transition. “Ce Conseil national de transition devrait être composé des représentants des partis, de la société civile, des Forces armées et de sécurité”, a-t-il souligné.
Disposant d’une vision politique claire, Soumeylou Boubèye Maïga a affirmé que certaines actions restent prioritaires pour la prochaine période. Il affirme ainsi que “la transition devrait poursuivre le renforcement des capacités opérationnelles des Forces armées et de sécurité afin qu’elles puissent accomplir, avec encore plus d’efficacité, leurs missions de sécurisation des populations et du territoire, et consolider leur capacité à s’insérer dans les dispositifs régionaux et internationaux de lutte contre le terrorisme”.
Le responsable affirme également que “la transition devra aussi poursuivre avec plus de rapidité la mise en œuvre des dispositions de l’Accord pour la paix et la réconciliation qui ne posent pas problèmes, et mettre concomitamment en place un cadre entre toutes les parties pour la relecture des dispositions controversées”. Cette feuille de route a besoin d’un large soutien international. C’est pourquoi, nous pensons qu’en plus de la Cedeao, de l’UA et des Nations unies, il faut intégrer dans le Comité de suivi des pays voisins, comme la Mauritanie et l’Algérie, avec lesquels nous avons nos plus grandes frontières. Ainsi que des partenaires comme le Tchad et le Maroc qui sont très impliqués dans notre processus de stabilisation, auxquels il faut ajouter la France, les états-Unis, la Chine et la Russie qui sont des membres permanents du Conseil de sécurité, a affirmé l’homme politique dans cet entretien.
Sur la durée, les transitions réussies sur le continent ont généralement duré de 9 à 12 mois. La Cedeao a proposé 1 an. Si nous travaillons sur une base de consensus et de confiance, il n’est pas impensable que nous puissions avoir un glissement de quelques mois en raison de contingences liées notamment à la période des travaux agricoles qui correspond au troisième trimestre de l’année, estime M. Boubèye Maïga. “Ce qui me paraît le plus important, c’est que la réussite de la transition va reposer d’abord sur la capacité à construire un consensus entre les différents acteurs, y compris avec la communauté internationale. Parce qu’en tout état de cause, plus la transition dure, plus notre situation économique et financière va se détériorer”, a t il affirmé en insistant également sur l’importance de l’élaboration d’un plan de relance économique lié aux conséquences de la Covid-19.