La France vient d’annoncer l’augmentation de ses forces militaires en Côte d’Ivoire. Le contingent français sur place va ainsi passer de cinq cents à neuf cents soldats. Ce choix est mûrement réfléchi. Il s’agit de renforcer la défense de la Côte d’Ivoire que vont quitter les soldats de la paix de l’ONU l’année prochaine.

Intérêts économiques et stratégiques

Pour Paris, la sécurité du pays de feu Félix Houphouët-Boigny participe de la défense de ses propres intérêts économiques et stratégiques en Afrique. Ce pays faisant partie naguère du fameux « pré carré » avec le Sénégal, le Gabon et le Cameroun.
La terminologie est certes désuète mais la réalité demeure. Encore aujourd’hui les intérêts hexagonaux en Afrique francophone sont énormes et valent bien des efforts politiques, économiques et militaires.

L’amitié et la fraternité enrobent bien des discours pour faire passer des décisions stratégiques difficiles à mettre en exergue et à jeter en pâture au débat public.

Protéger l’investissement français en Afrique

Il y a objectivement l’impératif de mener une lutte féroce contre les terroristes islamistes qui sévissent sur le continent et notamment dans sa partie occidentale. Ils ont recemment attaqué Grand Bassam en Côte d’Ivoire. Mais en plus de cela, ou concomitamment il y a nécessité de protéger les investissements et les entreprises françaises, nombreux en Afrique, et particulièrement en Afrique francophone.
Des liens solides sur le plan économique et financier – avec le franc CFA garanti par la France – obligent à une coopération dont le volet militaire est partie intégrante.

Le problème est que les petits Etats africains concernés n’ont pas les ressources nécessaires pour assumer leur propre défense, faute de moyens matériels et d’hommes bien formés en nombre suffisant.

Il y a aussi des faiblesses structurelles liées à la corruption, à des progrès démocratiques encore fragiles et à un leadership politique peu assuré, ceci expliquant cela.

Une faiblesse militaire à l’échelle continentale

Le cas malien est révélateur sur ce plan avec les défaillances du régime de Amadou Toumani Touré qui ont favorisé l’effondrement militaire et l’occupation par les islamistes du Nord du pays. Sans une intervention rapide et décisive des militaires français, Bamako, la capitale, aurait été menacée.

Plus de cinquante ans après les indépendances, la faiblesse militaire des Etats africains laisse pantois, mais n’en reste pas moins le reflet de l’échec global de l’action de développement continental. D’où l’urgence, à chaque fois, de faire appel à l’ancienne puissance coloniale qui ne se fait pas prier. Car elle aussi a des monopoles à préserver, des parts de marché à renforcer, des concurrents – comme les Chinois, par exemple – à contenir.

Par-delà les grands discours sur l’aide au développement, le partenariat économique, la francophonie en partage, etc. le jeu reste le même : défendre des intérêts économiques encore conséquents en Afrique.

Le colonialisme en héritage

L’engagement militaire de la France n’est compréhensible que dans ce contexte global de relations spécifiques héritées du colonialisme et reconfigurées, si on peut dire, par les réalités de l’heure dans des Etats indépendants mais encore très fragiles.

Les groupement régionaux comme l’UMOA et surtout la CEDEAO n’arrivent pas encore à assurer une défense réelle des pays concernés.
L’Accord de Non-Agression et de Défense (ANAD) pour les Etats de l’Afrique de l’Ouest et de nombreuses autres structures de défense et de prévention des conflits témoignent bien de la prise de conscience des leaders politiques de l’impératif de s’unir pour garantir la sécurité de leurs Etats respectifs. Mais l’héritage colonial de frontières artificielles et de conflits frontaliers subséquents – même si certains remontent à beaucoup plus loin dans l’histoire – demeure un obstacle difficile à franchir. S’y ajoute un nationalisme à courte vue et des contentieux de toute nature entre ethnies et tribus qui empoisonnent les relations interétatiques.

Un coût financier à supporter

Cette situation continue de favoriser le maintien des liens post-coloniaux et avec des accords militaires bilatéraux.

La France stationne ainsi environ une dizaine de milliers de soldats en Afrique : du Sénégal à Djibouti, en passant par le Mali, le Niger, le Tchad, la Côte d’Ivoire, la Centrafrique et jusqu’au Gabon.

Ce choix politique a un coût financier important. Si le gouvernement français, qui a actuellement affaire à une crise économique, accepte de le supporter, c’est bien parce qu’il y a des raisons objectives qui le justifient : la défense des intérêts bien compris de la France.

 

 

Image : Soldats en ligne. Le contingent français en Côte d’Ivoire va être renforcé. La France a des intérêts en Afrique toujours prégnants plus de cinquante ans après les indépendances.