Le gouvernement ougandais a officialisé jeudi un accord avec les États-Unis portant sur l’accueil temporaire de migrants déboutés de l’asile outre-Atlantique. L’annonce, qui intervient dans un contexte politique tendu à l’approche de la présidentielle de 2026, illustre l’ampleur de la nouvelle offensive migratoire de Donald Trump, revenu à la Maison Blanche en janvier. Si Kampala revendique une tradition d’ouverture vis-à-vis des réfugiés, cette coopération suscite des critiques sur ses implications diplomatiques et humanitaires.
Un arrangement bilatéral au contour encore flou
C’est par un communiqué du ministère ougandais des Affaires étrangères que l’accord a été officialisé. Selon Vincent Bagiire, secrétaire permanent du ministère, « un cadre de coopération pour l’examen des demandes de protection a été conclu », sans que les modalités précises ne soient encore détaillées. Les migrants concernés sont des ressortissants de pays tiers qui, recalés par les autorités américaines, refuseraient ou craindraient de retourner dans leur pays d’origine.
Le dispositif, présenté comme « temporaire », s’accompagnerait de restrictions strictes. Ne pourront bénéficier de ce transfert ni les personnes disposant d’un casier judiciaire, ni les mineurs non accompagnés. Kampala a également fait savoir qu’il privilégierait l’accueil de migrants africains, afin de limiter la présence de personnes issues d’autres continents sur son territoire.
Museveni entre ouverture humanitaire et calcul politique
L’annonce intervient dans un climat marqué par le durcissement politique interne. À la tête du pays depuis près de quarante ans, Yoweri Museveni fait face à une contestation croissante alors que se profile l’élection présidentielle de janvier 2026. Le président ougandais mise depuis longtemps sur son rôle de partenaire clé de la communauté internationale en matière de gestion des réfugiés.
Avec environ 1,7 million de réfugiés enregistrés, principalement originaires du Soudan en guerre, l’Ouganda abrite « la plus grande population réfugiée du continent », selon l’ONU. Kampala a construit cette image d’« havre humanitaire » en Afrique de l’Est, mais l’accord avec Washington pourrait fragiliser cette réputation, certains observateurs estimant qu’il transforme le pays en simple relais des politiques migratoires américaines.
L’ombre de la stratégie Trump
Pour Washington, ce nouvel accord s’inscrit dans une stratégie plus large de lutte contre l’immigration clandestine. Depuis son retour à la présidence, Donald Trump a fait de ce dossier une priorité absolue, promettant la plus vaste campagne d’expulsions de l’histoire des États-Unis.
Les chiffres confirment cette inflexion : selon des données officielles compilées par l’AFP, plus de 60.000 migrants étaient détenus en centre de rétention en juin, un niveau record. Fait notable, 71 % d’entre eux n’avaient aucun antécédent judiciaire. Cette politique suscite de vives critiques aux États-Unis comme à l’étranger, notamment en raison de son recours systématique aux accords bilatéraux pour déléguer la gestion des expulsés.
Le précédent des accords migratoires avec d’autres pays
L’Ouganda n’est pas un cas isolé. Ces derniers mois, Washington a multiplié les ententes avec des pays tiers, souvent marqués par l’instabilité ou des régimes autoritaires.
Début août, le Rwanda a accepté d’accueillir jusqu’à 250 personnes expulsées des États-Unis. En juillet, huit migrants ont été envoyés vers le Soudan du Sud, dont un seul était originaire de ce pays plongé dans la pauvreté et l’insécurité. Le même mois, cinq personnes issues d’Asie et des Caraïbes ont été redirigées vers l’Eswatini, un petit royaume d’Afrique australe. Selon l’administration Trump, leur pays d’origine avait refusé leur retour, Washington les présentant comme des « criminels ».
Un autre précédent remonte à mars dernier : 252 Vénézuéliens avaient été expulsés vers le Salvador, accusés pour certains d’appartenir au gang Tren de Aragua, classé organisation terroriste par Washington. Détenus dans des conditions particulièrement sévères, ils ont été rapatriés en juillet au Venezuela, à la faveur d’un accord entre Caracas et Washington. Le gouvernement vénézuélien a contesté les accusations américaines, affirmant qu’aucun d’entre eux n’avait de lien prouvé avec l’organisation criminelle et que seuls vingt présentaient un casier judiciaire.
Une politique à la fois diplomatique et symbolique
Derrière cette série d’accords, l’administration Trump cherche à envoyer un signal politique fort à son électorat : montrer que les États-Unis ne seront plus une terre d’accueil pour les migrants irréguliers. Le choix de partenaires comme l’Ouganda ou le Rwanda, déjà saturés en matière d’accueil, traduit aussi la volonté de Washington de trouver des pays disposés à assumer ce rôle, quitte à renforcer leur dépendance à l’aide américaine.
Pour Kampala, la décision comporte à la fois des avantages et des risques. Elle pourrait renforcer les relations bilatérales avec Washington, dans un contexte où l’Ouganda cherche à préserver ses soutiens financiers et militaires. Mais elle expose aussi le pays à des critiques internes et internationales, sur fond de répression politique accrue et de conditions de vie difficiles pour les réfugiés déjà installés.
Une équation humanitaire et politique
L’accord illustre enfin la complexité des relations entre pays du Nord et pays d’accueil du Sud en matière migratoire. Tandis que l’Ouganda revendique sa tradition d’hospitalité, il risque de devenir un simple instrument des stratégies américaines. L’ONU, de son côté, rappelle que le pays a déjà vu ses arrivées de réfugiés augmenter « de façon significative » en 2024, principalement à cause du conflit soudanais.
L’accord, encore peu détaillé, sera donc scruté dans ses mises en œuvre concrètes. Mais une chose est claire : il reflète la convergence entre les ambitions politiques de Donald Trump et la volonté de Yoweri Museveni de consolider ses appuis internationaux à la veille d’un scrutin décisif.