Emirates Global Aluminium (EGA), à travers sa filiale Guinea Alumina Corporation (GAC), a confirmé le 9 juillet 2025 que la République de Guinée a injustement résilié le « Basic Agreement » encadrant leurs investissements. Cette rupture, annoncée comme unilatérale par Conakry, provoquera la suppression immédiate de plus de 2 000 emplois de travailleurs et prestataires dans la région de Boké, suscitant une onde de choc économique et sociale.

Pilier de l’investissement direct étranger en Guinée depuis plus de quarante ans, GAC représente un projet d’envergure : 3 200 emplois créés, dont 96 % occupés par des Guinéens, et 244 millions de dollars injectés en 2024 seulement. Le projet comprenait la construction, en partenariat avec Chinalco, d’une raffinerie d’alumine de 2 Mt/an pour un montant estimé à 4 milliards de dollars. Pourtant, depuis l’automne 2024, Conakry s’est lancée dans une série de blocages : suspension des exportations de bauxite, entrave à l’accès au rail partagé, puis coupure des livraisons via la Compagnie des Bauxites de Guinée. Ces mesures ont rendu impossible la poursuite du projet, exposant les populations locales à une perte d’emploi dramatique et mettant un terme abrupt à un partenariat stratégique.

Une fracture brutale aux répercussions multiples

La décision de la Guinée envers EGA et GAC porte en elle une dimension politique lourde. Abu Dhabi, qui concentre depuis plusieurs années d’importants financements en Afrique (ports, infrastructures, énergie, agriculture) voit ici un allié stratégique mis de côté. En tournant le dos à un acteur financier et diplomatique puissant, Conakry s’expose à des conséquences lourdes : perte de crédibilité, fuite des investisseurs et sentiment de précarité autour de sa fiabilité contractuelle.

Sur le plan humain, la mesure est dévastatrice : plus de 2 000 travailleurs locaux risquent de se retrouver sans emploi, dans une région qui dépend largement du secteur minier. Économiquement, l’État se prive de centaines de millions de dollars d’investissements directs, ameutés par EGA, tandis que sa réputation financière se voit écornée. Dans un contexte ouest-africain concurrentiel, la confiance de nouveaux bailleurs et partenaires est un bien fragile : une rupture brutale comme celle-ci résonne bien au-delà de Boké.

La voie de la réconciliation : rétablir le dialogue et regagner la confiance

Pourtant, tout n’est pas encore irréversible. La Guinée dispose encore de moyens et de pouvoir pour apaiser la crise et positionner la décision comme un faux pas plutôt que comme une rupture définitive. Rétablir le Basic Agreement immédiatement et inviter GAC à reprendre ses activités dans un délai court enverrait un signal fort : Conakry veut garantir la sécurité juridique des investissements et être perçue comme un partenaire sérieux. Une médiation tripartite, sous l’égide d’une structure internationale, permettrait d’identifier les blocages (fiscalité, accès aux infrastructures ou prix de la bauxite) et d’ajuster le contrat en fonction des exigences des deux parties.

Les idées sont nombreuses : Transformer le projet de raffinerie en un symbole de coopération sud–sud renforcerait la dimension humaine et économique de l’investissement. Impliquer les communautés locales via des initiatives de formation, de transfert de savoir-faire et des infrastructures partagées créerait un écosystème vertueux, perçu non comme une opération extractive, mais comme un véritable moteur de développement national. Une attention soutenue aux travailleurs affectés — indemnisations généreuses, accompagnement à la reconversion, garantie de réembauche dès la reprise — permettrait de montrer que la Guinée a inscrit le social au cœur de sa stratégie économique.

De même, proposer à EGA et aux Émirats de co-financer la réhabilitation du corridor ferroviaire Boké-Kamsar donnerait une dimension logistique durable au partenariat. Ce catalyseur serait bénéfique à l’ensemble du tissu industriel guinéen, tout en facilitant les exportations de bauxite, réduisant les coûts et renforçant la compétitivité du secteur. Une telle démarche permettrait de faire de Boké un hub régional de transformation minière, suscitant l’intérêt non seulement des Émirats, mais aussi d’autres investisseurs stratégiques.

Une maturité diplomatique, point de bascule ou chance approuvée

Reconnaître une erreur n’est jamais perçu comme une faiblesse lorsqu’il s’agit de restaurer la confiance. Au contraire, l’humilité et la capacité à engager des réformes font honneur à un État en mutation. En renouant avec EGA et en engageant un processus de médiation, la Guinée consoliderait son image sur la scène internationale : un pays capable d’apprendre, de s’assumer et de se redresser pour incarner la stabilité et le sérieux. Cette posture rassure les investisseurs futurs, chinois, turcs, russes ou occidentaux, en quête de sécurité juridique et partenariats transparents.

Le piège du changement d’allié

En choisissant de rompre avec les Émirats, Conakry exprime sa volonté de diversification. Néanmoins, nul ne sait quel acteur viendra combler le vide. Un partenaire chinois, russe, indien ou turc pourrait, certes, offrir des conditions avantageuses à court terme, mais sans les mêmes garanties sociales, éthiques ou environnementales. Le risque d’une substitution opportuniste plane : une bauxite exploitée à bas coût, sans souci d’impact local ni respect des normes. Ce serait tout sauf la marque d’un partenariat durable et bénéfique pour la Guinée à long terme.

L’heure d’un rebond stratégique

La rupture entre la Guinée et EGA/GAC est bien plus qu’un conflit contractuel. Elle illustre la fragilité d’une relation stratégique, dans un monde en pleine crise où les alliances se jouent à la fois sur l’équilibre économique, la responsabilité sociale et la crédibilité internationale. Il est encore temps pour Conakry de transformer cette erreur en tournant majeur. En renouant le dialogue, en réaffirmant ses engagements sociaux et en engageant une médiation structurée, la Guinée peut montrer au monde qu’elle sait conjuguer ambition géopolitique, respect de ses partenaires et responsabilité envers son peuple. C’est là toute la force d’un État capable de rebondir dans la dignité et d’attirer des investissements durables dans la stabilité.