Le 27 décembre 2024, lors de son discours de politique générale, le Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, a présenté une série de réformes fiscales ambitieuses. Ces réformes visent à élargir l’assiette fiscale, à lutter contre l’évasion fiscale et à moderniser le système fiscal national. Si ces annonces témoignent d’une volonté politique forte, elles ne peuvent masquer une réalité préoccupante : le Sénégal peine à mobiliser efficacement les ressources fiscales provenant de secteurs stratégiques comme les télécommunications.
L’ARTP (Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes), en charge de la supervision du secteur, n’a toujours pas mis en place d’outils technologiques performants pour suivre et contrôler les revenus des grandes entreprises étrangères qui dominent ce marché. Chaque mois qui passe représente des milliards de FCFA de manque à gagner pour l’État, une situation difficilement justifiable dans un contexte de déficit budgétaire élevé et de besoins croissants pour financer les Objectifs de Développement Durable (ODD).
La Mobilisation des Ressources Fiscales : Un Impératif Stratégique
Le secteur des télécommunications est l’un des piliers économiques du Sénégal. En 2024, il représentait environ 9 % du PIB national, une contribution significative portée par des acteurs majeurs comme Orange, Free et Expresso. Pourtant, le contrôle des recettes fiscales issues de ce secteur reste insuffisant.
La mobilisation des ressources fiscales dans ce domaine ne se résume pas à une simple collecte d’impôts. Elle constitue un levier stratégique pour financer les infrastructures, l’éducation, la santé, et l’accès à l’énergie. En outre, en ciblant les grandes entreprises étrangères, le gouvernement peut augmenter ses revenus sans accroître la pression fiscale sur les citoyens, préservant ainsi le pouvoir d’achat des ménages.
Des Exemples Inspirants en Afrique
Plusieurs pays africains ont mis en œuvre des initiatives innovantes pour renforcer le contrôle fiscal des activités des entreprises de télécommunications, augmentant ainsi leurs recettes publiques sans alourdir la pression fiscale sur les citoyens. Voici quelques exemples notables :
En République Démocratique du Congo (RDC), un pays souvent associé à des défis structurels, une initiative marquante a vu le jour en 2016. Le gouvernement a introduit un système de contrôle du trafic téléphonique – couvrant les appels, les SMS et les données. Ce dispositif permet de mesurer avec précision le volume d’activités des opérateurs, révélant des chiffres d’affaires souvent sous-déclarés. Les résultats ne se sont pas fait attendre : une transparence accrue et des recettes fiscales renforcées.
Le Mozambique, quant à lui, a pris une autre direction mais avec des résultats tout aussi probants. Le suivi numérique des transactions des opérateurs télécoms a permis de combler des lacunes dans la collecte des impôts, évitant les détournements et optimisant les contributions fiscales. L’approche, simple en apparence, repose sur des outils technologiques qui assurent un suivi automatisé et précis des flux financiers dans ce secteur stratégique.
Dans un autre registre, le Cameroun a misé sur un renforcement de la régulation. L’Agence de Régulation des Télécommunications (ART) a modernisé ses mécanismes de contrôle pour mieux surveiller les activités des entreprises opérant sur son territoire. Résultat : une transparence des transactions et une optimisation des recettes fiscales, sans accroître la pression fiscale générale.
De son côté, la Guinée-Bissau a également montré la voie. En introduisant des systèmes électroniques de suivi des transactions, elle a non seulement réduit les fraudes mais aussi instauré une meilleure conformité fiscale parmi les opérateurs télécoms.
Même au Tchad, où les défis économiques et politiques sont nombreux, des solutions numériques ont vu le jour pour surveiller les activités des télécoms. Ces outils, loin d’être sophistiqués, ont permis une augmentation notable des recettes fiscales, comblant un vide fiscal important.
Des pays important comme le Ghana, L’Ouganda, le Rwanda, la Côte d’Ivoire, le Mali et la Sierra Leone, ont également adopté des stratégies basées sur la technologie. Ces initiatives ont démontré que la modernisation des mécanismes fiscaux dans le secteur des télécommunications peut générer des résultats tangibles : plus de transparence, moins de fraude, et des finances publiques renforcées.
Même des États en crise comme le Soudan du Sud ou le Burundi ont pris des mesures pour numériser leur collecte d’impôts dans ce secteur clé. Ces exemples illustrent que, même dans des contextes difficiles, il est possible d’agir de manière proactive pour tirer parti des recettes fiscales issues des télécommunications.
Ces initiatives montrent, s’il était besoin, que l’adoption de technologies modernes pour le contrôle des activités des entreprises de télécommunications peut conduire à une augmentation significative des recettes fiscales. Elles offrent des modèles inspirants que le Sénégal pourrait envisager pour optimiser sa propre collecte fiscale dans le secteur des télécommunications.
L’ARTP et l’État Sénégalais à la Croisée des Chemins
Malgré ces modèles inspirants, l’immobilisme de l’ARTP et des autorités sénégalaises est frappant. Les outils nécessaires pour un contrôle fiscal efficace des opérateurs télécoms existent, mais ils restent largement inexploités. Ce retard coûte cher : selon les estimations, chaque mois sans mesures concrètes équivaut à une perte de plusieurs milliards de FCFA en recettes fiscales potentielles.
Le Sénégal gagnerait à s’inspirer des stratégies adoptées par ses voisins. Une collaboration entre l’ARTP, le ministère des Finances, et les opérateurs télécoms pourrait permettre la mise en place d’un outil technologique avancé et souverain, permettant une supervision complète et indépendante des données d’activité des opérateurs. Cet outil aurait pour fonction principale de calculer automatiquement le chiffre d’affaires des opérateurs de téléphonie mobile, des fournisseurs d’accès à Internet, ainsi que des plateformes de Mobile Money. En déduisant directement les taxes afférentes, il réduirait la dépendance aux déclarations parfois imprécises ou biaisées des opérateurs.
Par ailleurs, une attention particulière doit être accordée aux importations de téléphones mobiles. En surveillant ces flux, l’ARTP garantirait que les terminaux utilisés sur le territoire respectent les droits de douane en vigueur, fermant ainsi une source potentielle de fuite de revenus pour l’État.
En intégrant ces solutions, l’ARTP non seulement moderniserait son rôle de régulateur, mais contribuerait activement à la souveraineté numérique et à la solidité fiscale du Sénégal.
Un Appel à l’Action
La Banque mondiale et le FMI ont déjà exprimé leur soutien à de telles initiatives, y voyant un moyen de renforcer l’autonomie financière des pays en développement. Une réforme ciblant les grandes entreprises du secteur des télécommunications ne bénéficierait pas seulement aux finances publiques : elle aurait un effet d’entraînement sur l’ensemble de l’économie sénégalaise, en stimulant l’investissement public et en réduisant les inégalités.
Le temps presse. Le gouvernement sénégalais doit montrer qu’il est capable de transformer ses ambitions en actions concrètes. Le potentiel est là, les exemples abondent, mais l’immobilisme persiste. Il est temps que le Sénégal rejoigne les pays africains qui ont compris que la technologie est une alliée indispensable pour construire une économie résiliente et inclusive.
Chaque jour sans action est une opportunité manquée. Il revient au Premier ministre Sonko de transformer ces opportunités en réussites, pour que le Sénégal devienne un modèle en matière de mobilisation fiscale en Afrique.