Les disparitions de John Le Carré et George Blake et le départ pour Israel de Jonathan Pollard mettent en lumière une activité de l’ombre qui fascine et choque, tout à la fois et, qui, convoquée au tribunal de l’éthique, laisse perplexe. Précisons tout de suite : tous les États espionnent pour garantir leur sécurité, préparer des attaques, voler des secrets divers et variés, noyauter les services d’un autre État etc.

Le travail des espions n’est, peut-être pas le plus vieux métier du monde, mais il est sur le podium, si on ose dire. Il a connu une sorte d’apogée pendant la Guerre froide -qui a été tout sauf froide-pendant laquelle des célébrités ont défrayé la chronique dont les trois individus dont « l’actualité » sert de prétexte à cette réflexion. John Le Carré a été espion d’abord, puis célèbre écrivain qui a donné ses lettres de noblesse à la littérature abondante, où se mêlent fiction et réalité, consacrée à l’activité des « taupes » « barbouzes » et autres transfuges. Il est resté un espion « fidèle » à son pays et c’est pourquoi, il a pu, sortir du bois nébuleux pour devenir un auteur à succès. Il parlait, ou plutôt écrivait en connaissance de cause. Il est passé de la pratique à la narration, enjolivée car tout ne peut jamais être dit d’un passé sulfureux, d’une guerre acharnée qui a fait des centaines de victimes d’un côté et de l’autre du « Rideau de fer ».

George Blake, qui vient de tirer sa révérence, à Moscou, à l’âge de 98 ans, avait choisi de tourner le dos à son pays et de travailler pour l’ « ennemi soviétique ». Il a justifié son revirement parce qu’il était « horrifié par le massacre de civils par les Américains en Corée ». Démasqué et condamné à 42 ans de prison en Angleterre, il réussira à s’échapper pour franchir la frontière de l’URSS et n’en a jamais pu sortir. Jonathan Pollard n’a pas eu cette chance. Il a espionné contre son propre pays en faveur d’Israël. Le cocasse est que les deux pays, à savoir les Etats-Unis d’Amérique et Israël sont des « partenaires » et, entre eux, il ne devrait pas y avoir de telles « pratiques ».

Cette conception idéaliste des relations politiques, a volé en éclats dans cette affaire.
Pollard a donné des informations classées « secret défense » à Israël et a fait beaucoup de torts à la politique étrangère des USA. Notamment celle concernant les Palestiniens ! La « trahison » de Pollard a été condamné par tous les présidents américains de tous bords et, c’est pourquoi il est resté 30 ans en prison, sans être gracié. Même après 30 ans, il a été obligé de rester sur le territoire américain pendant 5 ans encore, avant d’être autorisé à rejoindre Israël, « son pays de cœur ». Il y a été accueilli en héros et cela fait débat.

Comment faire un triomphe à un « traitre », un homme qui a trahi son pays ? Ou, alors la notion de « traitre » serait à géométrie variable ? George Blake qui a trahi l’Angleterre est considéré comme un héros en URSS et, encore aujourd’hui en Russie. L’évident est que la morale en politique  va au-delà du Bien et du Mal. L’éthique de conviction ne peut gouverner l’action politique. L’impératif de l’espionnage écarte toute soumission absolue à la Morale du « Sermon sur la montagne ». Glorifier un espion-traître, quelle idée dans un pays dont le fondement même est la religion ? Ou alors la raison d’Etat prime sur tout, et, effectivement, elle prime sur tout.

Dans le domaine politique qui est celui du choc des puissances, des ambitions et des volontés de conquêtes, l’efficacité commende tout. La réussite est au bout du fusil, de la ruse et/ou de la communication-manipulation. La « République des valeurs » est introuvable, car, enfin de quelles valeurs parle-t-on ? Qui en a le monopole ? Croire avoir raison sur tout le monde, c’est une croyance, pas une démonstration logique et rationnelle. Que celui qui n’a jamais pêché jette la pierre aux autres. Ceux qui se réclament de telles fictions théoriques sont des dangers pour toute démocratie.

La politique n’est pas la religion. Elle ne se fait pas à coups de sermons. Sa pratique impose de braconner sur les terres des « interdits » pour espionner, subvertir, vaincre et pire encore. Il en a été toujours ainsi depuis l’aube des temps. Et il en sera toujours ainsi tant que les hommes seront des hommes et non des anges. L’espionnage est consubstantielle à l’action politique. Il n’est pas interdit d’espionner. Il est interdit de se faire attraper. Etre espion peut -être un choix ou une contrainte, par exemple pour quelqu’un qui est victime de chantage. George Blake et Jonathan Pollard ont fait un choix et en ont subi les conséquences. Une vie d’exil pour Blake et une détention de 30 ans pour Pollard.

John Le Carré a su tirer de « meilleures cartes » pour avoir croqué le fruit défendu et, ensuite en semer les pépins pour vivre de fiction littéraire. On peut sortir d’une vie de l’ombre sans être brûlé par la lumière de la notoriété. Nous allions oublier celui qui a incarné le premier « l’agent 007 », Sean Connery qui a précédé  John Le Carré dans le territoire des ombres éternelles.