C’est en 2013, que quelque 450 chercheurs, répartis en 9 commissions, chapeautées par un Comité de pilotage, présidé par le professeur Iba Der Thiam ont soumis au Président Macky Sall, le projet ambitieux de l’écriture d’une collection qui porte sur 25 volumes de 500 à 800 pages, intitulé : « Projet de réécriture de l’Histoire générale du Sénégal, des origines à nos jours ». Le président Sall salue l’idée et promet de l’appuyer financièrement. Mardi 16 juillet 2019, le Président de la république Macky Sall reçoit les premiers volumes des mains du comité de pilotage, présidé par le Pr Iba Der Thiam, agrégé et Docteur d’état en Histoire.
Dès la mise en circulation des premiers ouvrages, les critiques fusent de partout. D’abord, les Niassènes (Une des grandes familles religieuses du Sénégal) s’insurgent contre un passage qui présente El Hadj Abdallah Niasse, père fondateur, comme appartenant à l’école d’El Hadj Malick Sy, un autre grand érudit du Sénégal. La famille Ndiéguène de Thiès a également protesté pour des raisons similaires. Des intellectuels du Sine (région traditionnelle du pays) ont fustigé le parti-pris peu objectif des rédacteurs, qui n’ont pas suffisamment mis en exergue, la contribution du Sine dans la résistance contre la pénétration coloniale.
La communauté Lébou (les premiers habitants de Dakar et environnants) n’a pas caché ses inquiétudes et a mis en garde “contre toute falsification de leur histoire”. La famille de Khali Madiakhaté Kala, un des plus célèbres cadis du Sénégal, (juge coutumier) n’a pas bien apprécié, la description faite de leur illustre ancêtre.
Un quotidien sénégalais a titré la semaine dernière : “Après les familles Niassène, Ndiéguène et Layène, c’est autour de Touba de brûler l’Histoire générale du Sénégal (Hgs)“. Une manière de relever la protestation véhémente des mourides dont le porte-parole du Khalife général Serigne Bachirou Abdou Khadre, a exigé la rectification de toutes les erreurs concernant Serigne Touba Khadimou Rassoul. Il a regretté que “les rédacteurs ne se soient pas adossés sur des versions sûres et crédibles”, avant lui, le Daïra Rawdou Rayahine (un cercle d’intellectuels mourides) par la voix de son coordonnateur Serigne Ahmadou Badaoui Mbacké “a exigé le retrait de l’Histoire générale du Sénégal et annonce l’édition prochaine d’une Histoire générale du mouridisme”.
Plusieurs émissions de radios et de télévisions ont été consacrées à cette polémique qui pollue l’atmosphère des milieux intellectuels et religieux au Sénégal.
Les racines du mal
Les difficultés des porteurs de cet immense projet sont de plusieurs ordres. L’intitulé du projet apparaît scientifiquement prétentieux. Réécrire “l’Histoire générale du Sénégal, des origines à nos jours”, est une œuvre qui ne peut être réalisée en un laps de temps. Situer les “origines de l’Histoire du Sénégal” est en soit une tâche ardue, d’autant qu’il s’agit essentiellement d’une histoire orale dont l’infime partie écrite ne l’est qu’en français ou en arabe.
Or, tous ceux qui dirigeaient les 9 commissions sont des francophones, formés par l’école coloniale ou postcoloniale. Les rares arabophones et communicateurs traditionnels qui figuraient dans le comité scientifique ne jouaient qu’un rôle de simples figurants. Pourtant, les écrits en arabes de Cheikh Moussa Camara et d’autres anciens historiens, le sont évidemment en arabe ou en langues locales, transcrites en alphabet arabe.
La méthodologie adoptée par les rédacteurs souffrait d’un manque d’approche inclusive, permettant de diversifier les versions. Or, une histoire générale aussi complexe ne pourrait être unilatérale. La non implication des familles détentrices de certains documents, relatifs à l’histoire des grandes figures du Sénégal, serait à l’origine de certaines erreurs grossières avouées par les rédacteurs : « Ce sont des erreurs manifestes qui ont été constatées et que nous regrettons sincèrement, et nous présentons nos excuses à toutes les communautés qui se sont senties offensées à travers ces écrits de “L’Histoire générale du Sénégal” », admet El Hadj Ibrahima Ndao, codirecteur du volume concerné.
Que faire maintenant ?
Certains ont voulu mettre la pression sur le président de la république pour retirer les volumes déjà publiés du circuit. D’autres extrémistes préconisent de les brûler. Il importe de préciser qu’il ne s’agissait pas d’un projet de l’État sénégalais, mais d’un groupe de chercheurs, dont le Pr Iba Der Thiam. L’État n’y a joué qu’un rôle de facilitateur en appuyant financièrement le projet.
D’où, la solution ne pourrait venir que des chercheurs eux-mêmes. Au regard du tollé que les premiers volumes ont suscité, il paraît plus sage de procéder au retrait immédiat des volumes déjà publiés et de revoir fondamentalement la méthodologie de travail, la composition des 9 commissions et d’inclure les différentes versions présentées par des sources sûres, même si elles sont quelques fois contradictoires.
Aucune histoire n’échappe à l’existence de versions contradictoires. Le Pr Iba Der et son groupe ont intérêt à agir vite pour arrêter une polémique malsaine qui s’amplifie de jour en jour.