Les membres du Syndicat autonome de la Magistrature (SAM) et ceux du Syndicat libre de la Magistrature (SYLMA) du Mali ont déclenché une grève illimitée « générale et sans service minimum » depuis le 27 août 2018.
Les magistrats grévistes réclament notamment une hausse d’au moins 10% du budget du ministère de la Justice, des augmentations des salaires et indemnités de logement. Ils revendiquent aussi l’octroi de primes de risque et de recherche. Or, le gouvernement, qui estime le budget de ces revendications à 34 milliards de francs CFA par an, pour le seul secteur de la Justice, fait observer que « Les ressources dont dispose l’État malien ne permettent pas la prise en charge de telles revendications… ».
À ce jour, la grève se poursuit « dans l’indifférence totale des Autorités de l’État », déclarent les grévistes. D’un autre côté, l’on note que la grève ne fait pas l’unanimité. Pour preuve : M. Cheick Mohamed Chérif Koné, Président du SAM et Rapporteur de l’Union Internationale des Magistrats (UIM) monte au créneau, lors d’un entretien publié par Zénith Balé : « Cet entretien est une opportunité dont le but est de satisfaire aux nombreuses demandes des militants du SAM qui me suivent et qui ne sont, ni de près, ni de loin mêlés à ce mouvement illicite et insensé, loin de refléter la valeur d’exemple du magistrat dans un État de droit… ». En outre, les robes noires ne semblent pas cautionner le mouvement de grève déclenché par quelques magistrats maliens.
Le Barreau de Bamako est soupçonné de « rouler » pour le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga, un stratège qui sait se tirer d’affaire sans faire trop de bruit, mais l’ordre des avocats réplique sans tarder, en précisant que : « Le Barreau ne sera ni assujetti ni inféodé à quelque pouvoir ou entité que ce soit, fussent-ils des syndicats des magistrats ».
Pendant que les magistrats réclament justice en suspendant les jugements et autres actes judiciaires, le pauvre justiciable malien, voit quant à lui, ses droits suspendus. Des plaintes dorment dans les tiroirs des magistrats, des détenus préventifs attendent impatiemment, la levée du mot d’ordre de la grève du couple SAM/SYLMA, des étudiants candidats à des concours et examens sont dans le désarroi total, faute de papiers administratifs, à délivrer par la Justice.
De nombreux contentieux sont ainsi en suspense, en attendant la fin d’une grève qui risque, à la longue, de lasser le Malien lambda, qui s’estime être puni par de hauts fonctionnaires en quête de primes supplémentaires. De grands dossiers attendent d’être traités, comme le coriace dossier de la junte militaire de Kati, les nombreux litiges fonciers qui sont d’une urgence irréfutable, les suites judiciaires à donner aux exactions commises au nord, pendant et après l’occupation, etc.
Un spécialiste du droit, en l’occurrence, le professeur Dianguina Tounkara de l’université des sciences juridiques et politiques de Bamako propose d’interdire le droit de grève aux magistrats à travers une réforme législative, comme ce fut le cas au Bénin. La raison : « La liberté de la vie des gens en dépend, c’est un secteur vitale », proclame-t-il.
Les spécialistes notent que le débat mérite d’être posé, d’autant qu’une telle grève met en jeu et en opposition deux notions fondamentales de la constitution, à savoir : droit de grève et le droit à une justice équitable.
Dans un communiqué de presse, publié le lundi 17 septembre 2018, l’Association malienne des Droits de l’Homme (AMDH), présidée par Me Moctar Mariko, demande aux deux parties, syndicats de magistrature et gouvernement, de poursuivre le dialogue en vue d’aboutir à une solution durable, dans les meilleurs délais : « L’AMDH est préoccupée par cette grève aux conséquences néfastes, tant sur la paix sociale que sur les droits humains », lit-on dans le communiqué.
En dépit de quelques aspects légitimes des points de revendication, il est quand même difficile d’admettre que les magistrats puissent tenir en otage, tous les citoyens maliens, au nom de la défense de leurs seuls « intérêts matériels et moraux ».
Il y a d’autres moyens de faire passer leurs revendications, sans punir les justiciables maliens, qui ont, eux aussi, droit à une justice inclusive et diligente. L’État devra certes, consentir quelques efforts de plus, mais dans les limites de ce que permettent les ressources disponibles.