La feuille de route de sortie de crise proposé par les facilitateurs et la CEDEAO se heurte à la résistance de l’opposition togolaise.

Le Togo patauge dans une crise politique profonde depuis 2017. L’opposition, regroupée dans la Coalition de 14 formations politiques (C-14), laisse le palais de la république au président Faure Gnassigbé, au pouvoir depuis 2005, pour aller occuper la rue publique.

Ainsi, le sommet, Israël-Afrique, qui devait se tenir à Lomé, du 23 au 27 octobre 2017 sous la bannière de la CEDEAO, n’a pas finalement eu lieu, le pays était secoué par des zones de turbulences, difficilement contrôlables.

Le 31 juillet 2018, le 53ème sommet de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) tenu à Lomé a statué sur la crise politique au Togo. Il en est ressorti une feuille de route ayant pour vocation de baliser la voie pour une sortie de crise. Cependant, le maintient de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) pose problème et continue à constituer le principal point de divergence entre Pouvoir et Opposition.

Pour l’opposition, la CENI devra être complètement reconstituée, alors que les hommes du pouvoir, soutiennent que la feuille de route de la CEDEAO parle de renforcement de la CENI et la reconstitution de l’Assemblée nationale.

Le 53ème sommet de juillet dernier avait émis plusieurs recommandations ainsi formulées :

« La Conférence a examiné le rapport présenté par les deux facilitateurs, leurs Excellences Monsieur Nana Addo Dankwa AKUFO-ADDO, Président de la République du Ghana et Professeur Alpha CONDE, Président de la République de Guinée, dans le cadre du mandat qui leur a été confié par la Conférence en date du 14 avril 2018. Le Sommet a félicité les deux facilitateurs et noté avec satisfaction les progrès et les acquis qui ont été enregistrés. La Conférence se félicite de l’engagement des parties prenantes à maintenir l’esprit de concertation et de dialogue en vue de favoriser une résolution durable de la crise.

À l’issue des échanges, la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement a convenu de ce qui suit :

* Elle encourage le Gouvernement togolais à poursuivre les mesures de confiance et d’apaisement en accélérant les procédures judiciaires relatives aux personnes arrêtées lors des manifestations politiques et d’étudier la possibilité de mesures additionnelles en faveur de ces personnes.

* La conférence des Chefs d’État condamne tout recours à la violence notamment l’usage d’armes réservées aux forces publiques et appelle les citoyens les ayant dérobé au cours des manifestations à les restituer aux autorités compétentes.

* Elle appelle, par la même occasion, les acteurs politiques et la société civile de s’abstenir, en toute circonstance, des actes et propos susceptibles d’alimenter de nouvelles tensions et de compromettre les efforts en cours. Elle exhorte les forces de sécurité à faire preuve de professionnalisme dans leur mission de maintien d’ordre, de préservation de la sécurité des biens et des personnes.

* La conférence des Chefs d’État exhorte le Gouvernement à procéder à la révision intégrale du fichier électoral en vue de l’organisation, le 20 décembre 2018, des élections législatives.

* La Conférence invite le Gouvernement et les acteurs politiques à œuvrer en vue de l’adoption des réformes constitutionnelles en prenant en compte, entre autres, les points suivants :

* Le mode de scrutin à deux tours pour l’élection du Président de la République ;

* La limitation à deux, du nombre de mandats présidentiels ;

* La recomposition de la Cour Constitutionnelle pour notamment revoir sa composition et limiter le nombre de mandat de ses membres ;

* Le renforcement du processus électoral.

* La conférence des Chefs d’État recommande l’adoption de ces réformes par la voie parlementaire en vue d’accélérer le processus de leur mise en œuvre.
Le cas échéant, ces reformes seront soumises aux consultations électorales.

* La Conférence renouvelle son soutien aux deux facilitateurs du dialogue inter-togolais et leur demande de poursuivre leurs efforts en vue d’une résolution rapide et durable de la situation socio-politique au Togo et de lui rendre compte lors de sa prochaine session.

* La Conférence des Chefs d’État décide d’instituer un comité de suivi composé des représentants des facilitateurs, de la majorité au pouvoir, de la coalition des 14 partis de l’opposition et de la Commission de la CEDEAO pour assurer le suivi de la mise en œuvre des présentes décisions.

* Elle instruit la Commission de la CEDEAO de poursuivre son soutien aux facilitateurs ».

En dépit de ces recommandations, la désignation de deux facilitateurs et la mise en place d’un Comité de suivi, rien n’est encore joué. L’éventuelle possibilité pour le président sortant Faure Gnassigbé de se représenter en 2020 pour un troisième mandat, n’a pas été évoquée par la feuille de route de l’Organisation sous-régionale, de même, la dissolution de la CENI et sa reconstitution reste aussi un sujet de discorde entre les protagonistes.

Pire, certains membres de l’opposition notamment le Réseau de coordination de la Diaspora togolaise indépendante (RCDTI) et le Collectif pour la Vérité des Urnes-Diaspora Togo (CVU/DT) dénoncent carrément la partialité de la CEDEAO, qu’ils considèrent comme un syndicat de chefs d’État, préoccupé, plus par les intérêts de leur collègue Faure Gnassigbé que par les intérêts du peuple togolais. « Sinon, comment pourrait-on comprendre que la feuille de route de la CEDEAO puisse omettre d’évoquer explicitement, l’impossibilité pour Faure Gnassigbé de se présenter pour un troisième mandat ? », se demandent-ils.

L’autre grief que partagent beaucoup d’analystes, réside dans le fait que l’un des facilitateurs notamment le président ghanéen Nana Akufo-Addo est un voisin proche du Togo, ce qui fait qu’il ne voudrait pas créer un mauvais climat qui aurait des conséquences néfastes sur leurs rapports. Quant au professeur Alpha Condé de Guinée, ces derniers trouvent « qu’il est mal placé pour s’acquitter d’une telle mission. Il est lui-même confronté, dans son propre pays, à des contestations dénonçant les velléités d’un troisième mandat. Comment un tel facilitateur pourrait-il regarder son homologue Faure, les yeux dans les yeux, et lui demander de respecter la constitution consensuelle de 1992 ? », analysent-ils.

Attendue depuis belles lurettes, la première mission du Comité de suivi de la CEDEAO vient d’être effectuée les 10 et 11 septembre 2018. Elle a pu regrouper dans une même réunion à Lomé, majorité présidentielle et Coalition des 14 formations de l’opposition (C-14). Ils ont convenu de procéder au recrutement d’experts de diverses compétences dont les missions seraient de surveiller le processus électoral et les réformes constitutionnelles. « Une avancée à pas de caméléon », disent, les observateurs.

Là aussi, le débat sémantique fait rage et les termes utilisés restent flous, aux yeux de l’opinion. Pendant que l’opposition réclame une Constituante de transition, du côté du pouvoir, on se réjouit d’aller aux législatives, prévues le 20 décembre prochain, pour mettre sur pied une nouvelle Assemblée nationale, chargée de conduire les réformes préconisées !

Déjà, l’on signale, l’arrivée à Lomé d’un expert recruté pour la mission ci-dessus évoquée. Il s’agit d’Alioune Badara Fall, expert en droit constitutionnel et professeur d’université. Mais, le chemin qui mène vers la paix est encore long, si l’on sait que les principaux points de blocage sont encore des sujets tabous au sein de la CEDEAO, appelée, de plus en plus, à prendre ses responsabilités.

En attendant, les deux facilitateurs (Akufo-Addo et Condé) devraient arriver depuis hier mardi au Togo, et devraient avoir dès mercredi 19 septembre, des entretiens, aussi bien avec le président Faure qu’avec la coalition de l’Opposition. Réussiront-ils à concilier les positions opposées des uns et des autres, ou se contenteront-ils de caresser leur collègue Faure dans le sens du poil, comme le soutiennent déjà certains esprits pessimistes ?

That is the question !