L’intelligence artificielle (IA) n’est plus un horizon lointain : elle irrigue déjà nos vies, des moteurs de recommandation aux algorithmes médicaux. L’Afrique n’est pas en marge de cette révolution ; elle en façonne des usages originaux, adaptés à ses réalités démographiques, sanitaires et économiques. Porté par l’explosion de la donnée mobile, l’ingéniosité des innovateurs, le continent déploie des solutions qui répondent à des besoins pressants : soigner mieux et plus vite, former et équiper à grande échelle, sécuriser des systèmes financiers en expansion, nourrir des populations urbaines et rurales en pleine croissance.

« Afrique confidentielle » ouvre donc un dossier en quatre volets pour éclairer, avec rigueur et nuance, cette transformation :

Médecine & Santé ; 

Agriculture & Sécurité alimentaire ; 

Enseignement & Éducation ;

Finance & Inclusion financière ;

Notre promesse : démêler le possible du mirage, donner la parole aux acteurs, et examiner les conditions — techniques, éthiques et politiques — d’un déploiement souverain et utile à tous.

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L’Afrique fait face à des défis sanitaires structurels lourds. D’abord, la pénurie de médecins, particulièrement aiguë en zones rurales, impose un rationnement du soin et une charge accrue pour les quelques praticiens disponibles. Ensuite, l’accessibilité aux soins est inégale : les populations éloignées des centres urbains se retrouvent souvent privées de diagnostics précoces ou de traitements adaptés. Enfin, le coût des soins demeure un obstacle considérable ; une large part des dépenses de santé reste à la charge des patients, freinant l’accès aux services les plus essentiels.

Sur ce continent où le paludisme tue chaque année presque 600 000 personnes, soit 95 % de la mortalité mondiale pour cette maladie, dont 78 % chez les enfants de moins de cinq ans, les impacts sont tragiquement visibles. La tuberculose demeure aussi une menace notable : en 2022, 424 000 décès en Afrique, soit un tiers des décès mondiaux, et 2,5 millions de cas recensés sur le continent. S’appuyer sur l’intelligence artificielle (IA) n’est donc pas un luxe, mais une urgence stratégique.

Dans les lignes qui suivent, nous explorerons comment l’IA se décline concrètement en solutions en santé en Afrique — des diagnostics à distance à la lutte contre les faux médicaments, en passant par l’imagerie prénatale guidée, la néonatalogie, le suivi des maladies chroniques, la surveillance épidémique ou l’intégration des savoirs traditionnels.

Diagnostiquer plus tôt, plus loin

a) Dépistage de la tuberculose par imagerie assistée

Dans un continent où les radiologues sont rares, les outils d’analyse automatique des radiographies thoraciques (CAD) redéfinissent la détection. Ces logiciels permettent de trier rapidement des milliers d’images, d’alerter sur les cas suspects et de prioriser les confirmations par test moléculaire. Cela représente un gain vital lorsqu’un radiologue peut être à des centaines de kilomètres. Certaines startups africaines, notamment sud-africaines, développent des outils de suivi de qualité — véritable assurance IA — pour fiabiliser la chaîne diagnostique en contexte contraint.

b) Tester le paludisme grâce à l’IA

Si la tuberculose est un cas d’usage majeur, l’IA offre aussi des opportunités pour lutter contre le paludisme. Elle peut notamment améliorer la lecture des tests rapides (RDT) ou analyser des modèles environnementaux pour anticiper les zones à risque. Même si la mortalité liée au paludisme est supérieure à celle de la tuberculose, les efforts technologiques sont moins médiatisés ; l’IA pourrait renforcer ces stratégies préventives à grande échelle.

Rapprocher l’imagerie des femmes enceintes

L’échographie de poche guidée par IA révolutionne l’obstétrique périphérique. Grâce à des algorithmes intégrés dans des sondes portables, des sages-femmes en milieu rural peuvent dater une grossesse, détecter une présentation non idéale ou identifier une anomalie — tout cela sans radiologue. En Afrique de l’Est et australe, des déploiements pilotes montrent une amélioration nette de l’adhésion au suivi prénatal, avec des orientations plus précoces vers les plateaux techniques, réduisant les risques obstétricaux.

 

Néonatologie et maladies chroniques

a) L’analyse des pleurs de nouveau-nés

Une jeune startup nigériane, Ubenwa, utilise l’IA pour analyser les pleurs et détecter les signes de détresse respiratoire ou d’anomalie, souvent invisibles à l’oreille humaine. L’objectif ? Offrir un outil précoce pour adapter le suivi, surtout là où les moyens diagnostics sont limités.

b) Suivi des maladies chroniques

Des plateformes mobiles intégrant l’apprentissage automatique, comme AfyaPap au Kenya, combinent rappels de traitement, conseils personnalisés, télésuivi et remontée de données cliniques. Elles ont déjà montré qu’un coaching intelligent peut améliorer l’observance et le suivi des patients diabétiques ou hypertendus, réduisant complications et ré-hospitalisations.

Sécuriser les médicaments

Les médicaments falsifiés sont un fléau en Afrique. Aujourd’hui, on utilise des spectromètres portables couplés à l’IA pour analyser, en temps réel, la composition réelle des médicaments. Ces outils permettent aux pharmacies et régulateurs de vérifier les lots, exclure les faux médicaments et renforcer la confiance dans le système pharmaceutique.

Anticiper les crises épidémiques

L’Africa CDC s’appuie sur des plateformes intelligentes de veille sanitaire, qui intègrent traduction automatique, assistants conversationnels pour l’aide à la décision et fouille de données épidémiologiques. L’IA y catalyse l’accès aux preuves et accélère la réaction sanitaire — cruciale face aux flambées de mpox, rougeole ou choléra. L’intégration de la génomique renforce cette anticipation, permettant d’identifier rapidement de nouveaux variants.

Savoirs traditionnels et médecine moderne

Un mouvement naissant vise à numériser et analyser, via l’IA, les pharmacopées africaines. L’objectif est de repérer, parmi des milliers de molécules issues de plantes médicinales, des candidats thérapeutiques contre des maladies négligées, tout en préservant les droits de propriété intellectuelle et les équilibres éthiques autour du partage des bénéfices.

Éthique, souveraineté et gouvernance

Un développement massif de l’IA en santé soulève des questions lourdes : collecte et protection des données, biais algorithmiques, cybersécurité, dépendance technologique. Pour que l’IA soit utile et durable en Afrique, les déploiements doivent s’accompagner de surveillance post-déploiement, de cadres réglementaires robustes, et d’un contrôle local des données. L’objectif est clair : que l’IA soit non seulement efficace, mais aussi respectueuse des normes éthiques, ancrée dans les réalités africaines, et pilotée localement.

 

L’IA n’est pas une promesse abstraite pour l’Afrique : c’est un outil concret pour compenser les manques structurels, rapprocher le soin des populations, et renforcer les chaînes médicales. À condition d’inscrire cette révolution technologique dans des cadres éthiques solides, maîtrisés localement, l’IA peut effectivement transformer la santé sur le continent.

Mais cette transformation ne se fera pas sans volonté politique forte. Les dirigeants africains portent la responsabilité de soutenir ces innovations, de créer les cadres réglementaires, d’investir dans l’infrastructure numérique et de bâtir les partenariats — publics, privés et internationaux — nécessaires pour que l’IA devienne un bien commun réaliste, sûr et accessible à tous.