
Voici le quatrième et dernier article de notre série consacrée à l’impact de l’intelligence artificielle en Afrique. Celui-ci porte sur la finance et l’inclusion financière, où l’IA s’impose déjà comme moteur et garde-fou.
L’Afrique part d’un avantage décisif : elle est devenue l’épicentre mondial de la monnaie mobile. En 2023, près de 2,5 milliards de dollars ont été transigés chaque jour via ces plateformes, et la diffusion pionnière en Afrique de l’Est et de l’Ouest a contribué à des gains cumulatifs de croissance estimés à 5,9 % et 4,1 % sur la période récente. Dans ce contexte, l’IA agit comme multiplicateur d’impact : elle réduit les frictions d’accès, éclaire le risque de crédit, personnalise l’offre et sécurise les flux.
Faciliter l’accès, d’abord. Longtemps, l’éloignement des agences, le coût des services et l’absence de documents d’identité ont freiné la bancarisation. Les interfaces conversationnelles changent l’équation : des chatbots multilingues, accessibles par WhatsApp ou SMS, permettent d’ouvrir un compte, de demander un crédit et d’effectuer des transferts en langues locales, y compris pour des publics peu alphabétisés. La banque UBA a franchi une étape en annonçant que « Leo », son assistant, devient « le premier chatbot d’IA à faciliter des paiements transfrontaliers » en s’appuyant sur l’infrastructure PAPSS (Pan African Payment and Settlement System). Loin d’être anecdotique, cette bascule rapproche la banque de l’utilisateur, à l’instant et dans l’idiome où celui-ci interagit déjà.
Mieux mesurer le risque, ensuite. L’IA transforme l’octroi de crédit en exploitant des données jusqu’ici négligées : historique de transactions mobiles, paiement de factures, régularité des recharges, comportements en ligne consentis. Là où le dossier bancaire fait défaut, l’algorithme fabrique une confiance mesurable. Les pionniers abondent. JUMO met en avant des « segmentations avancées » et un « scoring individualisé » pour intégrer des publics marginalisés ; Tala revendique plus de dix millions de clientes et clients ; M-KOPA a dépassé des seuils symboliques en volume de crédit et en nombre d’utilisateurs, en combinant micropaiements et apprentissage automatique. Dans tous les cas, la promesse est la même : un crédit plus rapide, plus fin et plus juste.
Vient la personnalisation. En analysant les habitudes, l’IA recommande des produits sur-mesure : épargne flexible, micro-assurance indicielle, avances de trésorerie ajustées aux cycles d’activité. Une vendeuse de marché obtient un plan d’épargne calé sur ses pics de recettes ; un agriculteur souscrit une couverture climatique déclenchée par des données satellitaires ; un travailleur informel reçoit une recommandation d’assurance santé lorsqu’un choc de revenu est anticipé. Cette granularité n’a de valeur que si elle est explicable : la transparence des critères, comme la possibilité de contester une décision de scoring, est un impératif de confiance.
Sécuriser et gagner en efficacité, enfin. Les modèles d’anomalies détectent en temps réel les comportements suspects et bloquent les tentatives de fraude. La robotisation des processus (RPA) accélère l’onboarding, l’extraction documentaire et la conformité : des acteurs majeurs ont ramené l’ouverture de compte à quelques minutes grâce à l’automatisation, améliorant l’expérience tout en réduisant les coûts. Mais la confiance se mérite : des incidents de sécurité dans la région ont rappelé la nécessité d’un durcissement continu des contrôles. La réponse passe par des outils d’IA robustes… et par un cadre ferme : lois de protection des données, obligations d’audit, et, au Nigéria, lignes directrices d’open banking qui encadrent le partage sécurisé d’informations.
Cette dynamique nourrit un écosystème fintech foisonnant. L’apprentissage automatique optimise la rapidité et la disponibilité des paiements pour des acteurs comme M-Pesa, Flutterwave ou PayDunya. Surtout, l’IA rend viable l’octroi de nano-prêts à coût marginal quasi nul à des clientèles jusqu’alors invisibles ; Branch et Tala en sont l’illustration. À l’échelle régionale, l’interopérabilité progresse : PAPSS prépare le lancement d’un marché des devises africaines et fluidifie les règlements intrarégionaux, ouvrant la voie à des produits transfrontaliers moins chers et mieux adaptés au commerce des TPE.
Reste que l’inclusion doit épouser les réalités locales. L’IA n’a de sens que si elle parle le swahili, le wolof, le lingala. L’appui à des initiatives de traitement automatique des langues africaines est stratégique, car il conditionne l’accessibilité des services. Parallèlement, des identités numériques robustes — Ghana Card, NIN au Nigéria — simplifient l’e-KYC et renforcent la confiance. Les bénéfices sont tangibles pour les TPE, les femmes entrepreneures et les zones rurales : l’accès facilité à l’épargne, au crédit et à l’assurance amortit les chocs et finance l’expansion.
Il faut cependant rester lucide sur les défis. Le premier est la donnée : sans qualité, pas de modèle fiable, et sans consentement, pas de légitimité. Le deuxième, l’infrastructure : l’« usage gap » de l’internet mobile demeure élevé en Afrique subsaharienne, freinant l’ampleur des déploiements ; la fracture de genre persiste, même si elle se réduit. Le troisième tient aux compétences et à la supervision : former développeurs, risk managers et autorités à auditer des algorithmes, prévenir les biais et sanctionner les abus est désormais un enjeu de stabilité financière.
L’horizon est pourtant prometteur. Les smartphones deviennent plus abordables, la 4G s’étend, l’open banking se diffuse, et l’IA africanisée gagne en maturité. Si trois conditions sont réunies (droits numériques effectifs, un investissement massif dans les compétences, et un ancrage explicite des modèles dans des objectifs de développement) alors l’IA cessera d’être un slogan. Elle deviendra ce qu’elle peut être en Afrique : une ingénierie de la confiance, au service d’une inclusion financière large, durable et souveraine.















