Dans un échiquier international fragmenté par les tensions géopolitiques, la récente mission du Président du Conseil togolais à Moscou résonne comme un signal fort, loin des alignements idéologiques univoques. Ce déplacement, loin d’être un simple acte de courtoisie bilatérale, s’inscrit dans la droite ligne d’une diplomatie d’équilibre historique, pragmatique et résolument tournée vers les impératifs de survie et de stabilité du continent africain. Le Togo, petite puissance en pleine ascension économique et logistique, utilise sa neutralité revendiquée pour bâtir un pont entre les blocs, visant à sécuriser l’avenir de sa sous-région face aux crises multidimensionnelles.

Une Visite Stratégique, Non Idéologique

L’analyse de cette rencontre doit s’affranchir de la grille de lecture binaire Ouest-Est. La visite à Moscou n’est pas un ralliement au bloc russe, mais un mouvement stratégique dans le cadre d’une politique étrangère qui refuse de sacrifier ses intérêts vitaux sur l’autel des grandes rivalités mondiales. Dans un contexte où la guerre en Ukraine a bouleversé les chaînes d’approvisionnement mondiales, notamment en hydrocarbures et en produits agricoles, les nations africaines, loin d’être des observateurs, sont des victimes collatérales de premier plan.

Le Togo, à l’instar de plusieurs États africains, a adopté une position de non-alignement actif. Cette posture est un refus d’être contraint de choisir un camp, préférant interagir avec toutes les puissances, traditionnelles comme émergentes,pour maximiser les bénéfices pour son développement. Pour le Président du Conseil, ce choix est une nécessité dictée par la réalité économique et sécuritaire du Golfe de Guinée, non par une adhésion idéologique quelconque.

Le Rôle de Facilitateur : Une Tradition Togolaise Réactivée

La diplomatie togolaise s’est historiquement distinguée par sa capacité à jouer un rôle de facilitateur discret. Sous la direction du Président du Conseil, cette tradition a été réactivée et amplifiée. Depuis 2021, le leadership de Lomé s’est illustré par des consultations internationales souvent non médiatisées, visant à apaiser les tensions régionales, notamment entre les membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et les États en transition politique au Sahel.

En s’impliquant dans la médiation entre des pays en crise, le Togo cultive une réputation de neutralité engagée et de fiabilité. Cet atout de confiance est essentiel pour aborder des partenaires jugés sensibles par d’autres. La crédibilité ainsi acquise permet au Président du Conseil d’être perçu, non comme un émissaire d’une puissance tierce, mais comme le porteur d’un mandat africain officieux. Il porte la voix de plusieurs chefs d’État du continent, confrontés aux mêmes défis, mais moins à même de dialoguer ouvertement avec toutes les capitales. La diplomatie togolaise est ainsi basée sur le dialogue inconditionnel avec toutes les puissances, reconnaissant leur influence sur les affaires africaines.

Sécurité et Agriculture : Les Enjeux de Survie Collective

Deux impératifs majeurs justifient la main tendue vers Moscou : la sécurité régionale et la sécurité alimentaire.

D’une part, la menace terroriste a débordé du Sahel pour atteindre les États côtiers du Golfe de Guinée, dont le Togo, comme l’attestent les incursions dans la région des Savanes. Le pays est confronté à des défis complexes : le terrorisme, les trafics transfrontaliers et la gestion des routes migratoires. La Russie, en tant qu’acteur incontournable sur le plan militaire et sécuritaire sur le continent, détient des informations et des moyens qu’il est nécessaire de prendre en compte. Échanger avec elle permet au Togo de ne pas laisser de zone d’ombre dans son architecture de sécurité, qui doit être inclusive pour être efficace.

D’autre part, l’enjeu des engrais est vital. L’Afrique de l’Ouest a été durement touchée par l’envolée des prix des fertilisants, dont la Russie est un producteur majeur, une conséquence directe du conflit ukrainien. L’agriculture togolaise, principalement vivrière, dépend crucialement de ces intrants. La mission à Moscou vise à obtenir, non pas une aide, mais une coopération stable pour l’approvisionnement. Le Togo nourrit l’ambition de développer un futur projet d’usine d’engrais, visant à terme l’autonomie régionale ; pour cela, il cherche à sécuriser l’expertise et des quotas préférentiels de matières premières russes pour soutenir la production nationale et régionale.

Un Non-Alignement Pragmatique et Exigeant

La démarche togolaise est l’incarnation d’une diplomatie non-alignée, pragmatique et de survie. Elle cherche à créer une architecture inclusive de sécurité et de coopération qui ne marginalise aucune grande puissance, reconnaissant que les solutions aux problèmes africains nécessitent une palette d’acteurs diversifiés.

Comme le souligne cette citation clé qui guide cette démarche : « Aller à Moscou n’est pas un alignement, mais un acte de survie pour des millions d’Africains. » Cette phrase résume parfaitement la Realpolitik à l’africaine : les besoins fondamentaux priment sur les querelles idéologiques des puissances occidentales ou orientales.

Perspectives : Consolider un Cadre Africain

Les prochaines étapes de cette diplomatie d’équilibre incluent des consultations en Asie et un rapport détaillé aux dirigeants africains. L’ambition de Lomé n’est pas seulement de résoudre ses problèmes bilatéraux, mais de contribuer à créer un cadre africain cohérent autour de la prévention des conflits, de la médiation et de l’autonomie stratégique, en particulier alimentaire.

En conclusion, en assumant une démarche qui l’expose parfois à la critique mais qui s’avère nécessaire, le Président du Conseil togolais se positionne comme un artisan discret mais influent de la paix africaine. La mission à Moscou est un coup de maître diplomatique qui vise la sécurité régionale, l’autonomie agricole et la survie collective, loin de toute logique d’allégeance à des blocs. C’est l’affirmation d’une souveraineté qui choisit ses partenaires en fonction de ses besoins concrets, au service d’un développement résilient.