Par un décret discret daté du 22 juillet 2025, le gouvernement sénégalais a rétabli les droits de douane sur le riz brisé ordinaire, un aliment de base consommé quotidiennement par plus de 80 % des Sénégalais. Officiellement, cette mesure se justifie par la baisse récente des prix mondiaux du riz, offrant, selon le ministère du Commerce, un contexte favorable pour réintroduire une taxe de 10 % sur les importations. Mais derrière ce réajustement technique se cache une orientation politique bien plus lourde de conséquences : l’amorce d’une stratégie de redressement économique qui fait porter l’essentiel de l’effort budgétaire sur les épaules des plus pauvres.
Le riz brisé n’est pas un produit comme les autres au Sénégal. Il est le cœur de l’alimentation populaire, l’élément central du thiéboudiène comme du riz à la sauce tomate, la base de l’économie domestique et un marqueur de stabilité sociale. En le taxant à nouveau après plus d’un an de suspension, le gouvernement de Sonko touche une corde sensible. Certes, les prix internationaux du riz ont reflué, mais l’inflation reste aiguë sur d’autres denrées vitales, comme l’huile ou le sucre, qui ont vu leurs cours grimper de plus de 20 % depuis janvier, selon les données les plus récentes des marchés régionaux.
Le rétablissement de ces droits de douane s’inscrit dans le cadre du plan de redressement économique présenté en grande pompe par le Premier ministre Ousmane Sonko sous l’appellation « Jubbanti Koom ». Un plan brutal, fondé sur une logique de réarmement fiscal agressif. Dans un contexte de tensions avec les bailleurs internationaux et d’isolement diplomatique croissant, Sonko a choisi de s’appuyer presque exclusivement sur les recettes internes pour financer ses ambitions budgétaires. Et ce choix a un prix.
« L’austérité fiscale appliquée aux plus faibles, c’est une politique de régression sociale déguisée en souverainisme économique », résume un ancien haut fonctionnaire du Trésor sénégalais. Car les nouvelles taxes, si elles ne disent pas leur nom, ciblent les classes populaires : hausse de la TVA sur les services, prélèvements sur les transferts mobiles, taxation renforcée sur les produits importés à forte consommation, comme le riz brisé. Le discours d’autonomie budgétaire se traduit ainsi concrètement par une asphyxie des budgets familiaux déjà fragilisés.
Ousmane Sonko, qui s’est longtemps présenté comme le héraut des laissés-pour-compte, gouverne aujourd’hui avec une rigueur dont les effets les plus sévères sont ressentis non pas dans les grandes entreprises ou les zones d’exportation, mais dans les quartiers populaires de Dakar, Thiès ou Kaolack. À la promesse d’un Sénégal redressé, il oppose désormais une exigence sacrificielle imposée à ceux qui n’ont pas de marges de manœuvre.
La justification gouvernementale (basée sur la baisse du coût d’importation du riz) masque une réalité budgétaire plus rude. Le déficit public, estimé à plus de 6 % du PIB en 2024, et le tarissement partiel de l’aide budgétaire extérieure, notamment du FMI, contraignent l’État à trouver dans l’urgence des ressources. Mais plutôt que de cibler les niches fiscales, de rationaliser les dépenses administratives et de prendre des mesures efficaces pour relancer l’économie, l’exécutif fait le choix de la facilité : taxer la faim.
Il faut dire que le contexte politique ne favorise guère la contestation organisée. Depuis l’arrivée au pouvoir du duo Sonko-Diomaye Faye, les contre-pouvoirs institutionnels sont affaiblis, les syndicats divisés, et les mouvements citoyens sous pression. Dans ce climat, une mesure aussi impopulaire que la taxation du riz passe presque inaperçue, mais elle n’est pas indolore.
Le Sénégal, pays de la teranga, devient peu à peu un terrain d’expérimentation d’un national-populisme économique sans filet. Loin des slogans de justice sociale qui ont porté le couple Faye – Sonko au pouvoir, la politique économique actuelle révèle un paradoxe cruel : ceux qu’ils disaient vouloir libérer du joug d’un système injuste sont aujourd’hui les premières victimes de leur vision budgétaire.
Le riz brisé n’est peut-être qu’un produit. Mais en toucher le prix, c’est bouleverser un équilibre social fragile. Et en faire un levier fiscal, c’est prendre le risque d’une fracture durable entre un pouvoir qui promet l’indépendance et un peuple qui réclame, d’abord, de quoi manger.