Entre le pouvoir sénégalais, incarné par un duo atypique, Diomaye/Sonko, et l’opposition, la dynamique conquérante est en train de changer de camp.
Le coup KO qui a porté Diomaye Faye au pouvoir, avec 54 % des voix dès le premier tour, il y a 18 mois, est en voie de se transformer en boomerang KO, avec une opposition, en synergie avec la société civile et la presse, qui marque des points et désarçonne le Pastef (le parti des vainqueurs de mars 2024), lequel multiplie les dérapages et les dérives.

Pire, cela révèle des tensions internes inquiétantes qui démontrent la fragilité, voire la crise du duo Diomaye/Sonko.
Ce dernier avait fini par faire une sortie retentissante en criant publiquement qu’« on l’empêchait de gouverner ».

Depuis, un remaniement ministériel a été concocté et a abouti au départ du gouvernement des ministres de l’Intérieur et de la Justice.

Mais les choses semblent ne pas s’arranger avec, ces dernières semaines, des arrestations intempestives suivies de libérations spectaculaires, comptabilisées comme des succès de l’opposition.
L’aile dure du Pastef, qui, dans le sillage de Sonko, défend la reddition des comptes — « chasse aux sorcières » —, exprime sa colère dans les médias et n’hésite pas à attaquer publiquement un ministre comme Abdourahmane Diouf, qui a osé appeler à la réconciliation nationale et à l’arrêt de toute volonté d’instituer « une justice des vainqueurs ».

C’est au cœur de cette polémique au sein du Pastef qu’a éclaté « l’affaire Madiambal Diagne », lequel a réussi à échapper à la police des frontières pour se rendre en France, d’où il nargue le pouvoir et s’épand dans les médias.
Deux journalistes de TFM et de 7TV qui l’ont interviewé ont été arrêtés avant d’être libérés, à la suite d’une mobilisation rigoureuse des journalistes, de la société civile et des partis politiques de l’opposition.

Il y a eu reculade du pouvoir, et les partisans de la liberté de la presse — l’immense majorité des Sénégalais — vont certainement participer et/ou soutenir la marche organisée ce jour par le rassemblement de plusieurs partis politiques membres du FDR (Front pour la défense de la démocratie et de la République).

Une décision inattendue est celle de la participation annoncée du PDS (le parti d’Abdoulaye Wade), qui n’est pas membre du FDR cependant.

Les dérapages et dérives des faucons du Pastef commencent à renforcer l’unité des oppositions.
La marche de ce jour sera un test important, tout comme le sera le rassemblement annoncé par Ousmane Sonko le 8 novembre et la contre-manifestation prévue par l’opposant Bougane Gueye Dany le même jour.

Il y a comme un réchauffement du climat politique que le pouvoir, en butte aux difficultés économiques, avec les négociations avec le FMI qui s’éternisent et la situation des ménages qui reste problématique, peine à contenir, malgré l’absence d’échéance électorale imminente.

Mais il y a bien une nervosité du côté du pouvoir, et l’annonce par Sonko d’une prochaine « baisse des prix de l’électricité, du carburant et du gaz » le confirme, car nul n’ignore que le coût de la vie ne cesse de monter au Sénégal.
Dans ce contexte, le Pastef doit prouver ses capacités à relever le défi d’une gouvernance efficace, permettant de résoudre les difficultés économiques croissantes des populations.
La seule dénonciation de la gestion du régime précédent ne peut plus suffire après 18 mois de pouvoir.
Les arrestations intempestives ne sont pas une solution non plus, d’autant qu’au début, des propositions de cautions mirobolantes (plusieurs milliards de francs CFA) ont été refusées. Pourquoi ?

Alors que l’État croule sous le poids des dettes passées et de celles nouvellement contractées par le pouvoir actuel ?

En fait, c’est une nouvelle bataille politique, multiforme, qui s’engage entre le Pastef et les opposants, et entre courants au sein du Pastef.

La situation est difficilement lisible : un choc pouvant en cacher un autre.
Ce nouveau chapitre de la confrontation politique au Sénégal est inédit, avec les rôles inversés entre opposants d’hier et gestionnaires du pouvoir d’aujourd’hui — nouveaux pourfendeurs des accusateurs qui ont changé de costume.

Quand les chasseurs de naguère deviennent les proies.