À peine rentré d’un périple en Chine, tellement fier d’avoir pu rencontrer Xi Jinping et Li Qiang, voilà que le Premier ministre Ousmane Sonko s’apprête à repartir, cap vers les Émirats arabes unis dès le 7 juillet. Ce n-ième voyage, après la Chine, le Burkina, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Rwanda, la Mauritanie… s’inscrit dans une frénésie diplomatique où les selfies avec dirigeants étrangers abondent, mais les retombées concrètes, elles, brillent cruellement par leur absence.

Sur le papier, chaque déplacement est présenté comme une promesse : partenariats stratégiques, développement, appui à la Vision 2050, coopération « équitable » selon Sonko. Il vante lui-même des retombées imminentes et salue des « Memorandum of Understanding » signés avec des mastodontes chinois. Las ! Une fois le faste diplomatique dissipé, les Sénégalais retrouvent leurs emplois qui continuent de manquer, leurs écoles en délabrement, et des denrées de base toujours hors de portée. Bref, pendant que Sonko joue à la madone des aéroports, le Sénégal se meurt chez lui. On attend encore, en vain, que son ballet diplomatique se transforme en retombées palpables.

Le cynisme culmine quand Sonko, d’un air grave, affiche son « soutien absolu » à la lutte antiterroriste via l’Alliance du Sahel, aux côtés de régimes militaires à Ouagadougou ou Niamey, tout en jouant les bons samaritains internationaux. Or, pendant ces envolées diplomatiques, il ne prononce pas un mot sur la crise éducative, financière, ou celle, quotidienne, des Sénégalais. Sa posture laisse flotter un silence assourdissant – celui d’un Premier ministre plus préoccupé par son image internationale que par la détresse de son peuple.

L’opinion publique, elle, s’agace. De plus en plus, les Sénégalais perçoivent cette fuite à l’étranger non comme un signe de vitalité diplomatique, mais comme une posture d’évasion. Sur les réseaux sociaux et les blogs, l’irresponsabilité prend des airs d’offense : « incompétent », « nul », « kuluna » ; le mépris pour ces voyages sans résultats tangibles suinte des commentaires .

Il est d’autant plus consternant de constater que, dans ce ballet diplomatique incessant, c’est le Premier ministre – et non le président de la République – qui endosse le rôle traditionnel de chef de la diplomatie sénégalaise. Or le président Bassirou Diomaye Faye, investi pour représenter la nation sur la scène internationale, semble relégué au second plan. Cette inversion des rôles, jamais observée dans l’histoire politique sénégalaise héritée de Senghor, suscite l’étonnement : le locataire du palais de l’avenue Abdou Diouf, élu au suffrage universel, devrait incarner la voix du Sénégal dans les grands rendez-vous diplomatiques – et c’est sur l’équilibre du duo exécutif repose sur sa légitimité. À l’inverse, Sonko, censé se concentrer sur les réalités domestiques, s’empare des missions présidentielles, comme si la République sénégalaise ne pouvait fonctionner qu’à travers la vitrine internationale d’un Premier ministre en excès de zèle. Une posture inquiétante, qui illustre non seulement une confusion des prérogatives mais aussi un mépris pour l’ordre constitutionnel et l’attente fondamentale des Sénégalais d’un président à la hauteur de ses responsabilités nationales.

Ousmane Sonko a troqué les chaises diplomatiques pour celles du vide : vide de réalisations tangibles, vide de présence, vide de sens. Tant que ces voyages ne produiront rien d’autre que de belles photos, la cohésion nationale s’effritera, tout comme la confiance jadis placée dans ce pouvoir. Sonko voyage ? Oui. Mais le Sénégal, lui, reste cloué au sol.