Dans un discours prononcé le 10 juillet lors de l’installation du Conseil national du Pastef, Ousmane Sonko a lancé une attaque ambiguë d’une rare virulence à peine voilée contre Bassirou Diomaye Faye. Il a dénoncé un « problème d’autorité, même d’absence d’autorité » et appelé le Président à réagir face aux attaques visant son Premier Ministre, tout en l’accusant d’impuissance à le protéger.
Il affirme que ces attaques quotidiennes « sous couvert de liberté d’expression » ne sauraient perdurer si le chef de l’État « décidait d’y mettre un terme fermement » . Dans le même souffle, il demande à ce qu’on le laisse gouverner, pointant un manque de marge pour mener à bien les réformes promises. « J’interpelle le président Bassirou Diomaye Faye pour qu’il prenne ses responsabilités, sinon qu’il me laisse faire » : un ultimatum à peine voilé, articulé sur un ton impérieux, clairement tourné vers l’affrontement et non vers la coopération.
Cette posture frise l’incongruité de la part d’un Premier Ministre qui joue le rôle d’un Président bis. D’une part, Sonko mène une diplomatie parallèle. Il multiplie les déplacements officiels auprès de ses homologues africains – Gambie, Mauritanie, Guinée-Bissau –, s’immisçant dans le champ habituellement réservé à la présidence. D’autre part, il revendique la représentation sénégalaise devant l’administration américaine, insinuant sans retenue que la rencontre avec Donald Trump aurait dû lui revenir. Le message tacite est clair : c’est à lui qu’appartient le pouvoir international.
La psychologie freudienne offre un cadre d’analyse particulièrement pertinent pour décrypter cette rage. Œdipe à l’envers, Sonko se confronte à un père symbolique : Bassirou Diomaye Faye, qu’il a certes porté au pouvoir (car il était lui-même empéché), mais dont il n’accepte plus la place dominante. L’attaque n’est pas seulement politique : elle est personnelle et révèle une jalousie structurelle envers l’autorité présidentielle. Il ne se contente pas de critiquer ; il veut supplanter.
Freud affirmait que la jalousie découle souvent d’un sentiment d’infériorité qui aspire à la reconnaissance. Sonko ne manifeste pas seulement de l’ambition : il exhibe une revanche inassouvie, un désir ardent de prendre la place qu’il estime lui revenir. La visite de Faye à Washington, qui aurait dû selon lui être son moment, cristallise cette blessure. Il ne s’agit pas uniquement d’une emprise sur l’agenda diplomatique, mais d’une mainmise sur le symbole du pouvoir. Plutôt que de défendre l’action gouvernementale, il choisit la critique cinglante pour masquer son propre déficit de leadership assumé.
Cette stratégie se double d’un calcul cynique : transformer sa propre absence de résultats en une tribune contre les autres. En dénonçant l’« absence d’autorité », Sonko esquive sa responsabilité sur la lenteur des réformes, des perturbations économiques et sociales qui minent le pays. Il jette l’anathème sur ceux qu’il désigne comme inexistants ou inefficaces, redirigeant ainsi l’attention loin de sa propre inaction.
En politique étrangère, sa stratégie est limpide. En matière de question mémorielle, comme celle des archives de Thiaroye, il s’est approprié le dossier, reléguant la diplomatie officielle au second plan. Il se pose en parangon de la souveraineté nationale, mais ce faisant, il fragilise la cohésion de l’État. Ce volant de pouvoir personnel affaiblit la fonction présidentielle, exacerbe les tensions internes et contribue à une perception de rivalité au sommet de l’État.
La violence verbale de Sonko peut ainsi se lire comme un geste de délégitimation calculé. En adoptant le rôle de la victime héroïque (« on m’attaque tous les jours, personne ne réagit ») il s’érige en défenseur du gouvernement en sursis, tout en brandissant la menace d’une implosion institutionnelle. Ce verbiage victimaire est un masque qui dissimule une stratégie populiste destinée à galvaniser sa base : se présenter comme l’homme de l’ordre, du courage, face à des élites jugées molles ou indécises.
Le résultat est inquiétant : cette posture révèle un homme dont la conception du pouvoir est davantage personnelle qu’institutionnelle. Un homme d’appareil plus que d’État, prêt à dévier les règles constitutionnelles pour s’affirmer. Il dénie le rôle du Président, contesté dans sa légitimité symbolique, tout en revendiquant des marges qui ne lui sont pas attribuées. Le tout sous couvert d’un discours moral, de surcroît illisible pour un lectorat avisé ; car s’il y a problème, c’est celui de Sonko lui-même, sa construction politique, son incapacité à assumer son rôle de Premier Ministre autrement qu’en se substituant ou en usurpant celui de Président.
Au total, cette envolée agressive met en lumière le véritable défi : Sonko n’est pas un homme d’État, du moins pas encore. Il n’a pas montré la capacité à exercer un pouvoir global, responsable, capable d’intégrer les contraintes et les subtilités d’un exécutif. Il accumule les initiatives en solo et les critiques gratuites, au risque de déchirer l’unité d’un régime encore jeune.
En voulant occuper la place du Président, Ousmane Sonko révèle surtout ses limites : incapable de mener le pays, il s’érige en critique impitoyable pour masquer sa propre faiblesse. Et dans cette quête effrénée d’autorité, il risque de se brûler les ailes, jusqu’à trahir les principes qu’il prétend défendre.