Ce que révèle la menace – devenue presque réalité – du déplacement du siège régional de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest hors de Dakar vers Abidjan et Addis-Abeba est un véritable naufrage diplomatique. Sous Macky Sall, Dakar rayonnait : la « Maison de l’ONU » à Diamniadio, inaugurée en 2023, symbolisait l’ambition sénégalaise – un hub moderne relié au TER, porteur d’image et de retombées économiques. Aujourd’hui, sous Diomaye Faye et son Premier ministre populiste Ousmane Sonko, ce plan semble s’écrouler, sacrifié à une mesquinerie fiscale.
Le revirement est stupéfiant. On apprend que le gouvernement exige désormais que l’ONU commence à payer un loyer pour occuper les 1 800 bureaux flambant neufs offerts. Une volte-face unilatérale et sans consultation, comme si l’on demandait soudain à ses meilleurs amis de payer l’addition d’un dîner déjà accepté. Or, dans les relations internationales, une parole trahie est une parole frappée de nullité. Avec cet engagement trahi de l’État sénégalais, Dakar envoie un signal absurde : l’on préférerait un pactole immédiat que la confiance multinationale. Résultat : l’ONU pourrait tourner les talons. Et avec elle, sa capacité d’influence, ses contacts, sa visibilité.
Les conséquences économiques sont désastreuses. Trois mille agents se verraient délocalisés, jetant des milliers de familles dans l’incertitude : 1 000 emplois directs seront supprimés, des centaines de prestataires locaux — hôtels, taxis, traiteurs, interprètes — pousseront la porte de la faillite. Les études estiment que chaque agent onusien injecte jusqu’à 200 000 $ par an dans l’économie locale. Un pactole qui s’évapore. La Tunisie en sait quelque chose : quand la BAD avait quitté Tunis pour Abidjan, c’était un exode organisé ; des quartiers entiers se sont vidés, certains immeubles restent vides encore aujourd’hui.
Cette situation fait davantage mal si l’on regarde ailleurs en Afrique. Nairobi est devenu un modèle : présence onusienne forte, écoles internationales, centres de santé, startups, hôtels de standing… tout un tissu a prospéré. À Dakar, pourtant promis à ce même avenir, c’est le déclin qui s’annonce, sapé par l’arrogance de dirigeants impuissants. Faye et Sonko, exhibant leurs doctrines populistes comme des trophées, démontrent ici leur incapacité flagrante à gérer un projet stratégique. Leur priorité ? Ramener du cash, fût-ce au prix de l’affaiblissement national.
Leur tandem incarne une trajectoire inquiétante : un pouvoir qui préfère la posture politicienne aux engagements sérieux. Sonko, tribun habile sur les plateaux, ne comprend pas ce qu’est la diplomatie structurelle ; Faye, à la présidence, se révèle faible, incapable de tempérer ou de corriger le tir. Au lieu de rassurer les partenaires, il laisse planer la confusion. Un tel degré d’amateurisme politico-économique fait penser à un État en faillite morale, plus qu’à une république.
Le Sénégal n’est pas une puissance moyenne, c’était un phare diplomatique pour toute l’Afrique de l’Ouest. Hôte de sommets, investisseur dans des institutions multilatérales, relais moral de paix… Ce prestige est en train de se dissoudre. Le risque n’est pas seulement la perte d’un bâtiment, mais d’un réseau, d’une image, d’un poids. On panique pour un loyer, alors qu’il y va de la stature, des relations régionales et du soft power sénégalais.
À Abidjan, on se frotte déjà les mains : l’ONU pourrait y draguer ses milliers d’agents, assécher Dakar et renforcer le prestige ivoirien. Diomaye Faye et Sonko offrent l’occasion rêvée à un régime voisin de croître diplomatiquement sans effort autre que d’ouvrir ses bras. Le choix du tandem est profondément politique : sacrifier le long terme pour quelques millions de CFA annuels, alors que la vraie richesse est dans la confiance, la stabilité, la crédibilité.
Il reste une fenêtre, mais elle se refermera vite. Le gouvernement doit réaffirmer publiquement son engagement, annuler le loyer, réinscrire l’ONU dans son plan, non comme un service payant, mais comme un membre honoré d’un écosystème stratégique. Il doit comprendre que, sur la scène multilatérale, ces symboles sont plus précieux que l’argent immédiat. S’il ne le fait pas, il mettra le Sénégal dans la posture ridicule : celui qui vend sa maison pour des mensualités de locataire.
Le peuple paiera. Les familles, les prestataires, les entreprises locales perdront, et l’image d’un pays solidaire, souverain, autrefois respecté sera abimée. Faye et Sonko le savent, mais ils plient sous les enragements politiciens. Leur calcul est indigne d’un État, d’une ambition nationale — mais tout à fait cohérent avec leur ligne : mépris des institutions au profit d’un pouvoir de courte vue.
Aujourd’hui, la question n’est plus « si » mais « quand » l’ONU annoncera officiellement son départ. Et à ce moment, les regrets ne suffiront plus. Le Sénégal aura été le fossoyeur de sa diplomatie, contraint de regarder partir son statut, sans espoir de retour. Il ne restera que les miettes du loyer et le goût amer de la vanité nationale piétinée.