
Deux semaines de palabres, et pour solde de tout compte : rien. La mission du Fonds a quitté Dakar sans nouveau programme, après des communiqués et des promesses floues. Pendant ce temps, le Premier ministre s’accorde des vacances en pleine session budgétaire. L’image est d’une clarté cruelle : d’un côté, des créanciers qui exigent des chiffres vérifiables ; de l’autre, un exécutif qui s’offre du temps. « Désertion », accuse un opposant. Le mot gifle : il dit l’essentiel : au moment où la trésorerie racle les fonds de tiroir, le gouvernement choisit le transat.
On nous rejoue pourtant le même roman : la soi-disant « dette cachée » sert d’explication universelle. Chaque contretemps devient legs toxique, chaque mauvaise décision, fatalité héritée. Mais les marchés ne lisent pas les fables ; ils lisent les tableaux de financement. Les primes de risque montent, les euro-obligations toussent, la confiance se déprécie vite qu’un slogan. Et quand l’État se rabat sur le marché régional pour respirer, il découvre des taux que seule l’imprudence accepte, pendant que l’investissement se fige et que l’emploi attend.
Le FMI, lui, parle un langage sans métaphores : pas d’argent sans vérité des comptes. Le chef de mission promet un accord « as soon as possible » ; en diplomatie financière, cela se traduit par : « revenez avec des chiffres propres, certifiés, et des actes mesurables ». Le Fonds exige la correction des « fausses déclarations » passées, un audit exhaustif, un cadre budgétaire crédible, l’arrêt du bricolage de la dette intérieure et une trajectoire de discipline fiscale. Il réclame aussi un plan pour réduire des subventions énergétiques régressives, assorti de filets sociaux qui protègent les ménages vulnérables.
Face à cela, Ousmane Sonko choisit la mise en scène. Au moment exact où chaque journée compte pour éviter un défaut technique, il décroche. Qu’il appelle cela repos ou stratégie ne change rien : la symbolique est catastrophique. Gouverner, c’est hiérarchiser l’urgence et rester au front quand la houle se lève. Quand l’inflation cisaille les paniers et que le Trésor cherche des liquidités, partir en congé, c’est étendre une serviette sur la crédibilité nationale. Le pays attendait un chef de chantier ; il se retrouve avec un metteur en scène saturé d’effets.
L‘héritage de l’ancien régime sert désormais d’alibi universel. On l’invoque pour la suspension d’un programme de 1,8 milliard, pour l’incertitude de trajectoire, pour l’inertie réglementaire. Mais même si l’héritage avait été toxique, un gouvernement responsable arrive avec un plan d’assainissement daté, chiffré, assumé, et l’applique dès le premier trimestre. À la place, nous avons eu des tribunes indignées, des conférences mémorielles et des promesses à géométrie variable, tandis que la charge d’intérêts grimpe et que les chantiers s’arrêtent faute d’oxygène budgétaire.
Que fallait-il faire ? D’abord, prendre ses responsabilités et cesser de proclamer que Macky Sall est responsables de la situation. Ensuite, publier, ligne à ligne, l’état des engagements : dette budgétaire, passifs parapublics, arriérés fournisseurs, garanties et risques conditionnels. Puis voter un budget rectificatif austère mais honnête, avec coupes ciblées, calendrier précis de réforme des subventions, et compensations visibles. Enfin, négocier un filet de sécurité avec le Fonds et les partenaires, non pas à coups de slogans, mais avec des matrices de réformes et des jalons trimestriels.
Rien de cela n’exige du génie ; tout exige du sérieux. Or c’est précisément ce qui manque. Le Premier ministre affectionne les homélies souverainistes, les anathèmes contre l’« ancien système » et la dramaturgie des tribunes. Mais on ne démonte pas des déséquilibres à coups de punchlines. On les corrige dans les couloirs gris des ministères, par des nuits blanches, des arbitrages douloureux et une pédagogie patiente. La politique spectacle occupe l’espace ; la politique publique, elle, paie les salaires et maintient la lumière allumée.
Les partisans du pouvoir répètent que « les discussions se poursuivent » et qu’un accord viendra « bientôt ». « Bientôt » est l’adverbe préféré des gouvernants en difficulté ; c’est le cache-sexe des temps morts. Plus on le prononce, plus les taux montent. Un gouvernement qui croit rassurer les investisseurs avec des slogans confond finance et fanfare. On ne rembourse pas une dette avec des like, ni ne renégocie un échéancier entre deux selfies de meeting. La réalité est têtue : la trésorerie ne se nourrit ni de postures ni de refrains.
Au fond, l’affaire est simple. Le guichet du FMI est fermé parce que la crédibilité est fermée. La « dette cachée », a servi d’écran de fumée pendant que s’installait la panne d’exécution. La vérité, si cruelle soit-elle, tient en trois mots : manque de cap. Il reste une issue : éteindre la sono, rester au bureau, publier tout, réformer vite, protéger les plus fragiles et revenir devant les Sénégalais avec des résultats, pas des prétextes.
Pourtant, le Sénégal n’est pas condamné à la stagnation : sa démographie, son littoral, ses services et ses hydrocarbures naissants sont des atouts. Mais ces promesses ne paieront pas la paie de novembre. Gouverner, ce n’est pas commenter l’histoire ; c’est empêcher l’effondrement. Pour l’instant, on préfère la plage à la table des chiffres, et le pays paie la note.











