Mais pourquoi diable le nouveau pouvoir sénégalais cherche-t-il à diaboliser l’ancien président Macky Sall ?

Après le « misreporting » reconnu par le FMI, qui enterre la fiction de la « dette cachée », les tenants du pouvoir ont choisi de déposer un projet de loi de « mise en accusation pour haute trahison » (sic) (crime ignoré dans la loi sénégalaise) contre leur prédécesseur, pour continuer leur combat névrotique contre des moulins à vent, contre des fautes inexpiables qui seraient commises par un homme qui, manifestement, les empêche de dormir.

L’acharnement ici dépasserait même la crise névrotique pour basculer dans la psychose.

Les facteurs à mettre en exergue pour essayer de comprendre la chasse aux sorcières engagée par Pastef sont la claire conscience que ses leaders ont du fait qu’ils ne pourront jamais dépasser les réalisations spectaculaires de Macky Sall qui, en 12 ans de pouvoir, a doté le Sénégal de ponts de dernière génération (pont sur la Gambie, pont de Foundiougne, Ila Touba), des stades Abdoulaye Wade, de la Dakar Arena, de l’arène nationale de lutte, de la poursuite de l’autoroute à péage, de l’autoroute de Cambérène, d’infrastructures universitaires nombreuses, d’écoles, d’équipements militaires, de centrales solaires, éoliennes, etc. Et de nombreux chantiers en finition que les successeurs, incapables de trouver des financements, n’arrivent pas à achever ; c’est une source majeure de frustration pour eux.

Et c’est ce sentiment irrationnel de colère irréfléchie qui fait exploser les promesses faites aux militants de Pastef, expliquant leur désarroi. Au lieu de se rapprocher de Macky Sall et de solliciter son expertise — lui qui les a aidés et fait sortir de prison — ils ont opté pour la confrontation et le dénigrement, en suivant les ultras des réseaux sociaux qu’ils ont abreuvés et drogués à la haine, du temps de la bataille en tant qu’opposants.

Il y a eu changement de stratégie car, pendant la campagne des présidentielles, Sonko a à plusieurs reprises sommé les militants de ne plus attaquer Macky Sall et de cibler Amadou Ba qui est « leur adversaire ».

Mais pourquoi a-t-il changé de discours une fois la conquête du pouvoir bouclée ?

Du fait de la pression des snipers des réseaux sociaux qu’il a créés et qui sont devenus des monstres incontrôlables. Il faut nourrir ces monstres, qui sont des ogres insatiables : donc trouver et/ou inventer des scandales comme le compte bancaire avec « 1 000 milliards » dont on ne parle plus, les 400 000 F qu’Aliou Sall devrait à chaque Sénégalais, et mille autres galimatias pour amuser la galerie. Cette voie sans issue empoisonne le pays et peut le faire basculer dans des dérives qui ne se sont pas produites lors des deux premières alternances.

Il y a eu des arrestations sous le régime d’Abdoulaye Wade ainsi que sous celui de Macky Sall, sans oublier que la CREI (Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite) a été créée par Abdou Diouf.

Cette fois-ci, depuis dix-huit mois, l’action du nouveau régime se résume à cela : arrestations, gardes à vue, cautions, mandats de dépôt, etc. Le bruit est tellement assourdissant qu’il camoufle tous les autres sujets : inondations, suppression des bourses de solidarité familiale, difficultés à payer les bourses des étudiants, augmentation galopante des prix, pauvreté en flèche — bref une situation sociale pesante et inquiétante, en attendant les potions amères du FMI.

Que faire face à cette bérézina ? Utiliser l’arme du dialogue, renouer le fil du débat sincère, appeler tout le monde à la table des propositions de solutions et faire renaître l’humilité qui est la force des vrais sachants.

Le problème numéro un du Sénégal aujourd’hui, c’est la situation économique catastrophique qu’il faut corriger. Et c’est possible, car le Sénégal a des ressources, des talents et un système démocratique solide qui permet de débattre avec les citoyens et les partenaires.

La dette n’est pas une fatalité : bien utilisée, elle stimule l’action de développement. L’utiliser comme boomerang politique est un jeu risqué, car une telle option ne prospère jamais.

Autre chose cependant : la reddition des comptes est un impératif économique, citoyen et une exigence démocratique. Pour qu’elle soit menée à bien, il faut éviter toute manipulation et/ou présentation fallacieuse des chiffres, des accusations sans preuves et des procès médiatiques. Les fuites de PV d’audition, les commentaires tendancieux — tout cela est condamnable ; il ne s’agit pas ici de morale, mais de réalisme politique qui aide à faciliter une action judiciaire efficace et irréprochable.

La finalité n’est pas d’humilier mais de faire en sorte que l’État récupère ses fonds d’abord. Ensuite, sanctionner, selon la loi, ceux qui ont fauté.

Mettre la charrue avant les bœufs, vouloir coûte que coûte ternir l’image d’un chef de l’État méritant, est une démarche vouée à l’échec. Demain, elle pourrait susciter des vocations malsaines. Une fois tout cela dit, il faut convoquer la Raison et renvoyer à Jürgen Habermas et à sa théorie de « l’agir communicationnel ». En effet, dans une société démocratique — et le Sénégal en est une — l’agir communicationnel favorise le débat rationnel, la confrontation des idées qui permet d’aboutir à des consensus.

Du reste, les traditions culturelles y invitent aussi en mettant en exergue l’impératif du dialogue sincère.

La voix de la Raison permet de vaincre les rancunes et les rancœurs. Wade et Diouf ont montré l’exemple ; il est vrai qu’ils avaient beaucoup d’expérience et avaient partagé la gestion du pouvoir en tant qu’opposants. Mais ils avaient aussi croisé le fer et il y eut beaucoup d’étincelles, en 1988, avec l’instauration d’un couvre-feu après la présidentielle.

C’est ce chemin du dialogue fécond qui est le bon, non le combat de gladiateurs qui va continuer d’épuiser le pays. Chercher à ternir l’image de Macky Sall sera un coup d’épée dans l’eau.