Fin 2024, le Sénégal a franchi un cap tragique : son endettement public dépasse désormais la totalité de sa production nationale. Avec une dette dépassant 119 % du PIB – le ratio le plus élevé d’Afrique – le pays s’enfonce dans une spirale catastrophique.
Ce constat met directement en cause la stratégie budgétaire des nouvelles autorités : elles ont choisi de multiplier les emprunts, souvent coûteux, auprès de banques régionales, tout en retardant la publication des rapports trimestriels, officiellement dans le but de « rebâtir la confiance » . Malheureusement, cette stratégie se traduit concrètement par des dépenses publiques non maîtrisées, un endettement croissant et l’isolement progressif du pays sur les marchés financiers.
L’ironie du sort ? Ousmane Sonko, ancien fonctionnaire fiscal et révélateur d’offshore deals, se présente depuis avril 2024 comme le garant de la bonne gouvernance. Mais le juge et l’accusateur sont-ils disjoints ? En dénonçant avec force la gestion qu’il qualifiait de « mafieuse » de son prédécesseur, il a retourné le tapis pour éviter de voir refléter sa propre incompétence dans ce nouveau naufrage financier.
Ironie mordante : celui qui proclamait « révolution » depuis les rues de Dakar, endosse aujourd’hui, en tant que Premier ministre, la gestion de cette dette atroce. Sonko, le purificateur autoproclamé, se trouve désormais en première ligne pour assumer les conséquences d’un bilan abyssal. Le fait qu’il ait toléré – ou pire, alimenté – une politique de dépenses sans ressource suffisante révèle une hypocrisie criante.
Pendant ce temps, le Fonds monétaire international a gelé ses décaissements et conditionne l’ouverture d’un nouveau programme à de véritables réformes budgétaires dont la suppression des exonérations fiscales injustifiées ou la réduction des subventions énergétiques non ciblées . Mais à ce stade, les mesures annoncées par le Premier ministre Sonko peinent à convaincre : son « plan de redressement », s’il est bien l’objet d’une promesse, ne s’accompagne pas encore de réforme structurelle palpable
Les réformes exigées ? Transparence fiscale, fin des exonérations injustifiées et aide ciblée aux moins nantis, selon les consignes du FMI. Le hic : l’austérité – principale réponse – est assumée par un régime qui se prédestinait à incarner la rupture. C’est d’une élégance amère : Sonko promettait l’émancipation économique, mais s’est retrouvé piégé dans sa propre promesse, en panne de recettes pour financer le rêve.
Les conséquences sociales sont lourdes. Le déficit fiscal – avoisinant les 12 % du PIB en 2023 selon l’audit – alourdit la facture. Des coupures budgétaires impactent directement les services publics, au moment où près de 44 % de la population vit sous le seuil de pauvreté . La jeunesse, fuyant désespérément l’absence d’opportunités, compte dans ses rangs des milliers de migrants clandestins. Le moral national vacille : une « souveraineté retrouvée » qui sonne creux quand l’inflation demeure basse (0,8 %) mais l’emploi inexistant.
Le Sénégal, sous Sonko, aura ainsi expérimenté une version locale du cercle vicieux de l’endettement inédit. Il a indigné citoyens et partenaires par son amateurisme financier, sacrifiant les promesses d’émancipation. Et surtout, il établit un précédent dangereux : la politique comme théâtre de révélations spectaculaires, suivies de leçons mal apprises.
Il reste à Sonko pour racheter ce fiasco : un véritable plan de consolidation budgétaire, puis une restructuration de la dette, assortie de réformes concrètes. Cela, bien sûr, s’il ne choisit pas tout simplement de s’offrir un nouveau client, une nouvelle rhétorique, une nouvelle posture – comme hier les promesses radicales ou aujourd’hui les audits fiscalistes.
Mais à l’heure qu’il est, il y a urgence : l’opportunisme rhétorique ne nourrit pas le pays. Et seul un violon silencieux de discipline budgétaire pourra éviter au Sénégal d’être emporté dans un naufrage financier… orchestré, tragiquement, par la main même qui professait le remède.