À Douala, les rues ont retrouvé un calme trompeur. Mais derrière les murs, la colère et la douleur sont palpables. Les violences post-électorales, qui ont éclaté après la réélection controversée de Paul Biya pour un huitième mandat, ont endeuillé plusieurs familles.

Des morts dans l’indifférence du pouvoir

Dans une cour du 3ᵉ arrondissement, des dizaines de proches entourent Elodie Fougué. À 39 ans, elle enterre son mari, Achille Simo, père de cinq enfants, abattu mercredi par un militaire. Selon des témoins, il sortait simplement acheter de quoi nourrir sa famille.

« Le capitaine lui a tiré dessus à bout portant. Il ne manifestait même pas », raconte son frère, la voix brisée. Des traces de sang subsistent encore sur la chaussée, malgré la pluie.

Ces drames se multiplient depuis la proclamation de la victoire de Paul Biya, 92 ans, au pouvoir depuis 1982. Les manifestations, initiées par le candidat Issa Tchiroma Bakary, autoproclamé vainqueur, ont été violemment réprimées. Le gouvernement parle de « morts », sans en préciser le nombre. L’opposition évoque, elle, des « centaines de victimes ».

La peur et le silence à Douala

Dans le quartier de Newbell, la famille de Mohamed Pouamou, 22 ans, vient d’enterrer le jeune chauffeur, tué dimanche alors qu’il regardait un match de football. « Une balle venue de nulle part », souffle un témoin. Les portes de la maison sont closes, les discussions se font à voix basse.

Partout, la tension reste vive. Les militaires patrouillent, les habitants évitent de sortir. Les commerces rouvrent timidement, dans un climat de peur. « Depuis qu’ils ont tiré sur Achille, personne n’ose plus parler », confie un voisin.

Le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, a reconnu « des pertes en vies humaines » et des « pillages », tout en accusant les partisans de l’opposition de semer le chaos.

Un pays suspendu entre colère et résignation

Malgré les appels à la retenue de l’Union européenne, de l’Union africaine et du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, la répression se poursuit. Issa Tchiroma, reclus à Garoua, a lancé un mot d’ordre de « ville morte », invitant les Camerounais à fermer boutiques et entreprises pour protester pacifiquement.

« Nous resterons chez nous pour rappeler à ce régime que la force d’une économie, c’est son peuple », a-t-il déclaré dans un message relayé sur les réseaux sociaux.

À Douala, les habitants font des provisions. Le bruit des motos a remplacé celui des tirs, mais l’atmosphère reste lourde. Dans le regard d’Elodie Fougué, veuve d’Achille Simo, on lit moins la colère que la lassitude d’un pays qui, après quarante-trois ans de règne, peine à espérer un lendemain sans violence.