Un ancien président livre une vision lucide et concrète pour faire de l’Afrique un acteur majeur du XXIᵉ siècle.

Dans L’Afrique au cœur l’ancien Président du Sénégal Macky Sall ne livre ni mémoires compassées ni pamphlet d’humeur. Il propose un livre de gouvernement, un précis de stratégie appliquée, écrit avec la sobriété d’un ingénieur et l’oreille d’un diplomate. Le premier geste de l’ouvrage est un renversement du regard : l’Afrique cesse d’être périphérie pour devenir pôle, non plus objet de discours mais sujet de son propre récit. Ce déplacement n’est pas un effet de manche ; il ouvre un programme : reprendre la main sur les chaînes de valeur, sur les règles du jeu financier, et, plus subtilement, sur le narratif qui confine encore trop souvent le continent dans des catégories usées.

La force du livre tient d’abord à sa cohérence interne. L’auteur noue expérience et vision, diagnostics structurels et protocoles d’exécution. Il refuse les oppositions paresseuses (croissance contre justice sociale, souveraineté contre ouverture) et plaide pour une sobriété intelligente de l’État, capable d’investir dans les infrastructures décisives (énergie, eau, transports, numérique) tout en bâtissant un capital humain robuste. L’industrialisation n’y est pas un slogan nostalgique : c’est la détermination à transformer sur place les ressources, à capter la valeur ajoutée, à créer des emplois qualifiés, à structurer des écosystèmes d’entreprises. Rien d’incantatoire : la vision s’adosse à une éthique du résultat, à une culture du calendrier et à une attention concrète aux instruments.

Le livre s’anime lorsque l’on suit, en filigrane, la trajectoire de l’homme d’État au travail. On croit entendre le bruissement des dossiers, l’horloge d’un sommet, la respiration contenue d’une délégation en salle d’attente. Ce storytelling discret attire le lecteur dans l’atelier de la décision publique, là où une ligne se tient, où une coalition se construit, où un contentieux se dénoue. L’ancien président du Sénégal et de l’Union africaine ne théorise pas depuis la rive ; il décrit, depuis le pont, au milieu des forces contraires, la manœuvre qui permet d’avancer.

Ce qui rend la vision originale, c’est sa sortie des rhétoriques fatiguées. Pas de revanche contre le monde, pas d’idéalisation naïve du « Sud » : une diplomatie à 360°, multilatérale et lucide sur les intérêts de chacun, qui recherche l’équilibre plutôt que l’alignement. Loin d’un panafricanisme d’estrade, Sall défend un panafricanisme opérationnel : faire vivre la ZLECAf par des corridors logistiques, des normes communes et des mécanismes de règlement des différends ; déployer un Ciel unique africain ; renforcer les capacités partagées en santé (CDC Afrique) et en sécurité (architecture de paix, APSA) ; moderniser les codes (minier, investissements). L’horizon, à terme, ressemble à des États-Unis d’Afrique ; la méthode passe d’abord par le renforcement des communautés régionales (CEDEAO, CAE, CEEAC, UEMOA) et par une monnaie plus adaptée, tout en réformant les chaînes de valeur pour transformer sur place.

Autre apport décisif : le réalisme climatique. L’auteur récuse la « punition verte » que d’aucuns voudraient imposer à des pays qui ont peu émis mais encaissent de plein fouet sécheresses, érosion côtière et pertes agricoles. La transition que décrit le livre n’est ni laxiste ni punitive : un mix où le gaz, ressource flexible et disponible, accompagne la montée rapide des renouvelables ; des marchés du carbone structurés pour que la valeur revienne d’abord aux communautés locales. Le propos vise une justice climatique qui rende la transition réaliste et efficace.

Sur la finance, le diagnostic est d’une clarté rare. Le sur-risque assigné aux économies africaines, entretenu par des grilles de notation incomplètes, renchérit le coût du capital, étouffe l’investissement et verrouille un cercle vicieux. Le livre propose de corriger ces biais par une capacité africaine d’évaluation, par des garanties publiques mieux calibrées, et par une réforme de la gouvernance des institutions de Bretton Woods. À cela s’ajoute une ingénierie financière pragmatique : séquençage des projets, mobilisation de l’épargne de la diaspora, articulation fine entre banques de développement et capitaux privés. On reconnaît la patte d’un exécutant soucieux d’indicateurs vérifiables.

En arrière-plan, un plaidoyer traverse l’ouvrage : éducation et emploi comme piliers du développement. Il s’agit de refonder l’école autour des compétences scientifiques sans sacrifier les humanités ; de valoriser les métiers et les filières professionnelles ; de fluidifier la circulation des savoirs et des talents à l’échelle régionale ; de donner aux femmes la place qui leur revient dans la science, l’entreprise et la décision. La jeunesse n’est pas un fardeau mais un moteur, à condition d’ouvrir des portes : formation, mobilité, entrepreneuriat, accès au financement, reconnaissance des qualifications.

Pourquoi lire ce livre, au-delà de l’intérêt intellectuel ? Parce qu’il met fin au dilemme stérile qui colle au continent : l’alternative sommaire entre afro-pessimisme et afro-euphorie. Macky Sall propose autre chose : une voie réaliste, durable et mesurée, donc plus ambitieuse, qui assume les contraintes (financières, technologiques, climatiques) pour mieux activer les leviers (intégration, industrialisation, capital humain, État de droit). L’Afrique n’y est pas promise au miracle ; elle y est prise au sérieux.

En définitive, L’Afrique au cœur est un livre original et nécessaire. Il conjugue hauteur de vue et grammaire de l’exécution. Ni cénotaphe du passé, ni évangile de pacotille, il offre un plan de marche pour des décennies charnières. Quiconque s’intéresse à l’Afrique y trouvera de quoi clarifier des choix, ajuster des instruments et, peut-être, revisiter des certitudes. C’est la marque des ouvrages importants : ils n’éblouissent pas, ils rendent plus lucide et donnent envie d’agir.