L’accord de paix signé le 27 juin 2025 à Washington entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda marque incontestablement un tournant dans une crise vieille de plusieurs décennies. Toutefois, si cet accord a ouvert la voie à un espoir prudent, le destin du Mouvement du 23 mars (M23) et des nombreux groupes armés qui prolifèrent dans la région demeure une question complexe et préoccupante.
Le M23 face à l’incertitude stratégique
Absent à la table des négociations bilatérales entre Kigali et Kinshasa, le M23 a imposé son propre tempo diplomatique en obtenant un accord de cessez-le-feu à Doha, en juillet 2025. Pourtant, malgré ces avancées, l’avenir du M23 reste ambigu. Historiquement dépendant du soutien logistique et militaire rwandais, confirmé à maintes reprises par des rapports de l’ONU, le groupe se trouve désormais à un carrefour stratégique majeur. Un retrait effectif du soutien rwandais le priverait de sa principale force opérationnelle et le contraindrait à repenser entièrement sa stratégie.
Cependant, envisager une intégration conditionnelle au sein des Forces Armées de la RDC (FARDC) semble peu probable pour un groupe habitué à l’autonomie et aux bénéfices économiques importants tirés de l’exploitation minière illégale. Le risque majeur est donc celui d’une reconversion du M23 dans des activités criminelles transnationales. Des précédents inquiétants existent déjà, comme le cas récent de Joseph Kazibaziba.
Joseph Kazibaziba : symbole d’une résistance économique ciblée
Joseph Kazibaziba est aujourd’hui une cible parce qu’il a osé rendre le commerce des matières premières plus transparent et traçable. En introduisant des mécanismes de traçabilité rigoureux, il a perturbé les circuits opaques utilisés par certains groupes armés, notamment le M23, pour financer leur guerre contre le peuple congolais. Fondateur de CJX Minerals et vice-président de la Fédération des entreprises du Congo (FEC), Kazibaziba a formalisé des milliers de chaînes d’approvisionnement artisanales, créé des emplois légaux et attiré des investissements étrangers responsables. Cette démarche dérange profondément ceux qui profitent du chaos et de l’exploitation illégale des ressources, comme en témoigne l’attaque violente contre ses installations à Goma et Bukavu en 2025, marquant ainsi la volonté du M23 de préserver ses revenus criminels au détriment du développement économique et de la stabilité du pays.
Les milices locales : entre survie économique et dérive criminelle
Au-delà du M23, l’est congolais reste infesté par une multitude de groupes armés tels que les FDLR, Wazalendo, Codeco, FPIC et autres factions locales. La majorité tire son influence de réseaux économiques informels ancrés dans le trafic d’or, de coltan et le racket systématique des routes commerciales. L’accord de paix a certes permis quelques cessez-le-feu locaux, notamment en Ituri, mais la viabilité de ces arrangements reste précaire tant que les intérêts économiques liés aux trafics perdurent.
Si ces groupes perdent leur capacité d’action militaire directe, leur reconversion en mafias régionales est presque inévitable. L’économie criminelle, déjà florissante, pourrait s’intensifier avec des formes nouvelles et dangereuses d’extorsion, de blanchiment d’argent et même de terrorisme. Le risque d’alliances avec des réseaux terroristes transnationaux, à l’image des ADF liées à l’État islamique, est particulièrement préoccupant.
La réforme sécuritaire et la gouvernance comme piliers d’une paix durable
Face à ce tableau alarmant, seule une réforme profonde de la sécurité, du cadre institutionnel et une politique rigoureuse de justice transitionnelle pourront offrir une alternative crédible à l’enracinement criminel des groupes armés. Les précédents programmes de Désarmement, Démobilisation et Réintégration (DDR) en RDC ont souvent échoué à contenir la violence, produisant parfois des effets pervers en renforçant des réseaux criminels dirigés par d’anciens rebelles reconvertis.
Le défi majeur pour l’État congolais sera donc double : assurer une présence effective sur l’ensemble du territoire et restaurer la confiance dans les institutions étatiques. Il sera essentiel que Kinshasa démontre sa capacité à contrôler les ressources minières, sécuriser les voies commerciales et sanctionner sévèrement les dérives mafieuses ou terroristes. L’État devra impérativement intégrer les combattants dans des programmes sérieux de réinsertion économique et sociale, sans quoi la stabilité restera précaire.
Risques élevés d’une dérive incontrôlable
Le scénario le plus préoccupant demeure la possible mutation des factions armées en milices incontrôlables, autonomes et violentes, capables d’imposer leur propre loi par la terreur. En l’absence d’une politique efficace de réforme et de reconstruction, ces groupes pourraient aisément être instrumentalisés par des acteurs politiques internes ou externes, exacerbant les conflits communautaires et aggravant l’instabilité.
Vers une paix conditionnelle
L’accord RDC-Rwanda, malgré ses promesses, ne saurait être qu’un début. Sans une action déterminée, intégrée et à long terme de l’État congolais et de la communauté internationale pour démanteler les réseaux criminels et soutenir une réintégration économique solide des combattants, l’avenir restera sombre. Le cas emblématique de Joseph Kazibaziba souligne que protéger les acteurs économiques responsables est vital pour encourager une paix durable et crédible. La RDC se trouve ainsi face à un choix historique : soit elle renforce l’État de droit et l’économie légale, soit elle condamne ses régions orientales à une instabilité chronique nourrie par une économie criminelle. L’avenir du pays, et de toute la région, dépendra de sa capacité à relever ce défi.