Ancien Président du Niger, Mohamed Bazoum

Dans la plus grande discrétion, les services de renseignement extérieur marocains, dirigés par la Direction générale des études et de la documentation (DGED), mènent depuis plusieurs mois des négociations complexes avec la junte militaire nigérienne. Leur objectif : obtenir la libération de Mohamed Bazoum, l’ex-président du Niger, détenu depuis juillet 2023 à la suite d’un coup d’État militaire. Une mission délicate où la diplomatie marocaine fait preuve à la fois de discrétion et d’élégance, à laquelle s’est associé un médiateur de poids : Macky Sall, ancien président du Sénégal, dont les relations personnelles avec Mohamed Bazoum se sont avérées cruciales pour le déblocage de la situation.

Un plan marocain orchestré dans la discrétion

Les discussions entre Rabat et les généraux du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), en place à Niamey, ont débuté en septembre 2023. La DGED, dirigée par Yassine Mansouri, a dépêché au moins deux missions dans la capitale nigérienne. Lors de ces rencontres, les agents marocains ont présenté un plan concret pour la libération de Mohamed Bazoum, prévoyant son transfert au Maroc. Le projet, qui a reçu l’accord personnel du roi Mohammed VI, permettrait au président déchu de trouver refuge dans le royaume chérifien sous certaines conditions, notamment celle de ne pas s’exprimer publiquement sur la politique nigérienne.

Ce scénario pourrait convenir à la junte, inquiète de voir Bazoum reprendre une activité politique une fois libéré, surtout avec le soutien des dirigeants de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Toutefois, la méfiance au sein du CNSP et les divisions internes, amplifiées par un climat de paranoïa aiguë depuis le putsch, ont freiné les discussions.

Macky Sall, médiateur déterminant

Dans ce dossier complexe, l’ancien président sénégalais Macky Sall joue un rôle central. Installé au Maroc depuis la fin de son mandat en 2024, Macky Sall a utilisé son influence pour convaincre les autorités marocaines d’intervenir en faveur de Mohamed Bazoum. Les deux hommes partagent une relation de longue date, nouée sur les bancs de l’Université de Dakar où ils étaient camarades. Cette amitié de jeunesse a perduré au fil des années, se renforçant au gré des engagements politiques et des alliances régionales.

L’implication de Macky Sall a été décisive pour établir un dialogue de confiance avec les généraux nigériens. Connaissant la situation délicate de Mohamed Bazoum et les préoccupations de la junte, l’ancien président sénégalais a joué le rôle de facilitateur en rassurant toutes les parties impliquées.

Une élégance diplomatique marocaine

L’intervention marocaine prend d’autant plus de relief que Mohamed Bazoum, alors en poste, s’était éloigné de Rabat pour se rapprocher d’Alger. Une décision motivée par des considérations stratégiques : ce sont les forces algériennes qui assuraient la formation de la garde républicaine nigérienne. Ce choix n’a pourtant pas altéré la bienveillance du royaume à l’égard de l’ancien président. Bien au contraire, la diplomatie marocaine, sous l’impulsion du roi Mohammed VI, fait preuve d’une hauteur de vue remarquable en prenant l’initiative de venir en aide à un dirigeant qui s’était temporairement écarté de ses relations historiques avec Rabat.

Le Maroc, acteur-clé au Sahel

Cette opération de médiation, si elle aboutit, consacrerait l’influence grandissante du Maroc dans la région du Sahel, une zone stratégique historiquement disputée avec son rival algérien. Depuis 2020, Rabat a renforcé ses liens avec les juntes sahéliennes au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Un travail discret et régulier orchestré par la DGED, qui a su gagner la confiance des nouvelles autorités militaires.

La junte nigérienne, dirigée par le général Abdourahamane Tchiani, voit dans cette relation avec le Maroc une opportunité d’échapper à l’isolement international tout en trouvant des partenaires capables d’offrir un soutien économique et infrastructurel. Dans ce cadre, Rabat propose à Niamey un accès à sa façade atlantique pour les états de l’Alliance des États du Sahel (AES). Une coopération qui pourrait changer la donne économique pour des pays enclavés comme le Niger.

Un soutien bien perçu par Paris

Sur le plan diplomatique, le Maroc a su jouer la carte de la transparence avec ses partenaires occidentaux. La DGED a informé dès le départ la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) française de son initiative. Un geste apprécié à Paris, alors que la France peine à maintenir des relais solides au Niger depuis le coup d’État. La libération de Mohamed Bazoum constitue une priorité pour Emmanuel Macron, qui en a fait une affaire quasi personnelle.

La visite du chef du gouvernement nigérien Ali Lamine Zeine à Rabat en novembre 2023, suivie de contacts réguliers entre les chefs de la diplomatie marocaine et nigérienne, témoigne d’une relation en plein renforcement. Ce rapprochement diplomatique bénéficie à toutes les parties : pour la junte, il s’agit de sortir de l’isolement ; pour Rabat, d’asseoir son rôle de partenaire stratégique dans la région.

Une issue encore incertaine

Malgré les avancées, les négociations restent suspendues à la volonté de la junte nigérienne. Si le scénario d’un transfert de Mohamed Bazoum au Maroc semble de plus en plus probable, le CNSP continue de manifester des réticences. Les conditions de détention de l’ex-président se sont dégradées, et toute décision doit faire l’objet d’un consensus au sein d’une junte divisée et méfiante.

Si cette mission secrète aboutit, elle marquera un succès majeur pour la diplomatie marocaine et pour Macky Sall, dont l’intervention discrète mais déterminante souligne l’importance des relations personnelles dans les crises africaines. Le Maroc, quant à lui, se positionnerait comme un acteur incontournable au Sahel, renforçant son influence dans une région en pleine recomposition géopolitique.