Entre les annonces médiatiques prononcées sur un ton martial, du Premier ministre Ousmane Sonko, et les actes qui viennent d’être posés par le ministre de la Justice, qui a saisi l’Assemblée nationale pour la levée de l’immunité parlementaire de Farba Ngom, député de l’ex-mouvance présidentielle, personnage emblématique (qui se réclame griot du président Macky Sall), il y a, bel et bien, la mise en branle d’une machine judiciaire par l’État.
On pouvait penser qu’avec la mise sur pied de la haute cour de justice, ce seraient des ministres qui ouvriraient le bal judiciaire, mais que nenni, c’est Farba Ngom qui est choisi, voire ciblé.
Ce choix bizarre (il n’a jamais exercé aucune fonction étatique, n’a jamais été fonctionnaire), mais il a été celui qui avait promis d’humilier Pastef dans son fief électoral de Matam, lors des dernières législatives, et qui a tenu son pari.
Un des rares responsables politiques de l’ex-pouvoir, qui a survécu à la Bérézina consacrant une victoire éclatante d’Ousmane Sonko, dont le parti s’est adjugé 131 sièges sur 165.
C’est dire que la levée de l’immunité parlementaire de Ngom sera une formalité pour qu’il puisse être traduit en justice, dans une « affaire de blanchiment de capitaux et escroquerie portant sur les deniers publics », mise en exergue dans un rapport de la CENTIF (Cellule nationale de traitement des informations financières).
Cet emballement de cette affaire, médiatisée à souhait, avec des « rebondissements » qui font les choux gras de la presse, pose problème.
Et des juristes respectés, comme le magistrat Hamidou Dème, qui a eu maille à partir avec l’ex-régime, sonnent l’alerte sur les dangers d’une « justice manipulée ».
Oui, à la reddition des comptes et à un traitement judiciaire impartial de toutes les « affaires », non à la manipulation et à une « justice des vainqueurs » qui va polluer la scène publique, avec des conséquences imprévisibles.
Ce qui pose problème, d’ores et déjà, ce sont les déclarations intempestives de Sonko, qui tonne sur le « carnage financier », semblant porter les habits de procureur, de juge, voire d’inquisiteur en chef.
C’est son nouveau cheval de bataille, en oubliant son rôle de chef de gouvernement, qui doit agir pour stopper les pirogues des jeunes désespérés qui, par vagues ininterrompues, défient l’océan pour rallier Barça ou l’au-delà et meurent par centaines.
Qui doit trouver des emplois à ces naufragés des promesses irrationnelles des opposants, qui allaient résoudre tous les problèmes en balayant le régime de Macky Sall.
Et qui provoque de graves tensions parmi les militants frustrés de certaines nominations, et qui s’attaquent ouvertement à l’exécutif, avec des mots crus.
Le pouvoir se résume-t-il à un partage des postes et du gâteau ?
À faire espérer les uns et les autres, en attendant la « récupération des milliards fantasmés que les procès à grand spectacle » vont faire vomir aux « suppliciés ».
Attention, « gagner par des scores soviétiques » ne donne pas le droit, dans une démocratie, d’organiser des « procès soviétiques » comme ceux tristement célèbres du régime stalinien.
De toutes les façons, cela n’a aucune chance d’aboutir au Sénégal, où la justice est un pouvoir et les juges, dans leur immense majorité, des hommes et des femmes intègres qui sont conscients du poids de leur responsabilité vis-à-vis du peuple au nom de qui la justice est rendue.
Manipuler l’opinion publique, cependant, est devenu facile grâce aux réseaux sociaux et à la tendance populaire, sous tous les cieux, de se délecter de l’humiliation passagère des anciens tenants du pouvoir diabolisés.
Le nouveau pouvoir est bien placé pour savoir que, sans des magistrats incorruptibles, son avènement aurait été impossible.
Et c’est pourquoi la candidature de Diomaye Faye a été validée et qu’il a pu sortir de prison, battre campagne et s’imposer. Démocratiquement !
On comprend que, face aux difficultés de gouverner et de satisfaire la demande populaire (baisse des prix des denrées de première nécessité, de l’électricité, des loyers, hausse des prix des arachides, etc.), l’ancien chemin des accusations spectaculaires, et cette fois-ci, avec des informations accessibles grâce à la machine étatique, soit encore balisé.
Il y a comme un fantasme, voire une névrose, du chiffre « milliard » qui hante le sommeil de certains ex-opposants.
Pourquoi, d’ailleurs, ne publie-t-on pas le patrimoine de tous les membres de l’exécutif ?
Et, pendant qu’on y est, toutes leurs transactions de ces dix dernières années ?
Transparence pour transparence ?
L’évident est que la transparence absolue est une fiction. Contrôler, oui, de l’entrée à la sortie du gouvernement.
Pour le reste, la justice ordinaire fera son travail, si nécessaire.
Le Sénégal, modèle de démocratie, n’a pas besoin de se balafrer le visage pour assouvir une vengeance de vainqueurs rancuniers.
La seule victoire politique devrait suffire, pour éviter de tirer sur les ambulances.
Mais la chasse aux sorcières est irrationnelle. Elle est toxique et empoisonne aussi bien les inquisiteurs que leurs victimes.