La décision du président sénégalais Macky Sall de respecter l’avis du Conseil constitutionnel et de faire la totalité de son mandat de sept ans suscite bien des remous au sein de la classe politique sénégalaise.

Surprise avant des réactions plus affirmées

Le curieux est que dans un premier temps les réactions ont été mesurées sans doute parce que les opposants étaient KO debout ou peu préparés à réagir à la déclaration surprise du chef de l’Etat sénégalais. Pourtant la logique politique, le respect de l’Etat de droit et la jurisprudence sénégalaise elle-même… tout laissait penser qu’une réduction du mandat en cours était impossible. Même si le président Macky Sall le voulait et en avait exprimé la volonté à plusieurs reprises.

Il semble que maintenant les acteurs politiques d’abord tétanisés se sentent pousser des ailes. Ils rivalisent désormais dans la surenchère. Le PDS resté aphone pendant deux jours a publié un communiqué pour appeler au boycott du référendum convoqué par Macky Sall pour le 20 mars. D’autres opposants ruent dans les brancards pour faire campagne pour le Non. Et cette situation est d’autant plus confuse que des alliés – ou supposés tels – du président Sall ont pris leurs distances par rapport à sa position et ont décidé de le combattre.

Réactions pour et contre

Au sein du Parlement, le député Imam Mbaye Niang – son fils est l’actuel ministre de la Jeunesse – a démissionné du groupe Benno Bokk Yakaar (Ensemble avec le même espoir) qui constitue la majorité présidentielle.
Jusqu’ici, sur le plan institutionnel, c’est le seul couac notable.

D’autres personnalités politiques ont fait des déclarations de soutien claires et nettes au chef de l’Etat sénégalais. Il en est ainsi de ses alliés les plus importants dans la coalition BBY à savoir Moustapha Niasse, leader de l’AFP – Alliance des Forces de Progrès – et président de l’Assemblée nationale ainsi qu’Ousmane Tanor Dieng, patron du parti socialiste.
Seulement dans le cas du PS, le maire de Dakar Khalifa Sall qui est un candidat potentiel pour la présidentielle de 2019 et qui jusqu’ici brillait par ses atermoiements a fait publier un communiqué pour dénoncer la position du président Macky Sall avec une fermeté synonyme de rupture.

Khalifa Sall vs Ousmane Tanor Dieng : divergences au PS

Il est vrai que divers bras de fer politiques entre le gouvernement et la mairie de Dakar depuis les élections locales de 2014 ont installé une rivalité ouverte qui pour la première fois s’exprime au grand jour. Khalifa Sall a accusé Macky Sall d’avoir « décrédibilisé la parole des hommes politiques » en reniant son propre engagement de réduire son mandat.
Ce choix politique est aussi un cassus belli vis-à-vis du leader du PS Ousmane Tanor Dieng qui soutient publiquement le président Macky Sall.

La campagne électorale qui s’ouvre officiellement le 12 mars pour le référendum va consacrer une rupture de facto entre Khalifa Sall et Ousmane Tanor Dieng. Le PS va connaître des soubresauts imprévisibles et avec lui l’ensemble de la classe politique sénégalaise.

L’ensemble de la classe politique sénégalaise impactée

D’ores et déjà l’AFP de Niasse a connu des départs qui impactent cependant moins ce parti édifié par un homme charismatique et dont l’expérience politique est unique dans son pays. Ce n’est pas le cas d’Ousmane Tanor Dieng qui n’a pas la même autorité au niveau du PS où son leadership a toujours été contesté. Le parti a enregistré de nombreuses scissions depuis son avènement à la tête du parti et la défaite d’Abdou Diouf en 2000.

La bataille du PS va s’enclencher de manière brutale entre les partisans de Khalifa Sall et ceux de Tanor Dieng . Le modus vivendi trouvé pendant les élections locales de 2014 qui avait permis à Khalifa Sall de faire liste à part avec Taxawu Dakar (Soutenir Dakar) va voler en éclats. Et des initiatives pour exclure Khalifa Sall du PS ne sont pas à exclure. De telles initiatives pourraient aboutir car Tanor tient bien l’appareil du parti.
Toutefois si une telle option était prise, le parti fondé par Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal, et qui s’est désagrégé depuis 1996 – date de l’avènement de Tanor à la tête du parti – ne se releverait pas d’un tel choc. A moins que la ligne de Khalifa Sall ne l’emporte et qu’un renouveau ne s’enclenche.

Le PS dépendant de Macky Sall

Pour le moment la seule certitude est que des jours difficiles attendent les socialistes sénégalais dont le sort est lié à celui de Macky Sall, leur allié.

Khalifa Sall peut jouer solo et viser 2019 car il n’a plus rien à perdre. Sexagénaire, il ne peut attendre 2024 et la fin d’un éventuel deuxième mandat de Macky Sall.

Il en est de même pour Idrissa Seck, moins âgé certes, mais qui avait affirmé qu’il prendrait sa retraite à soixante-trois ans. Pour lui aussi ce sera 2019 ou jamais s’il respecte sa parole. Ses attaques contre la décision de conformité de Macky Sall, qui ont été les premières et les plus virulentes, masquent un véritable désarroi, celui de son incapacité à renouer avec les populations.
Idrissa Seck a beau attaquer le régime, il n’arrive pas à s’imposer comme une alternative crédible du fait d’un passé politique tortueux qui ne passe pas.
On peut aussi penser que c’est pour ne pas lui laisser le champ libre que Khalifa Sall a osé franchir le rubicon, ayant senti que le moment était favorable pour attaquer Macky Sall sur son reniement.

Mélange des genres entre morale et politique

D’autres sorties tonitruantes contre le régime apparaissent bizarres comme celle de Cheikh Tidiane Gadio – ancien ministre des Affaires étrangeres de Wade et candidat malheureux à la présidentielle de 2012 où il n’avait pas pu obtenir 1 % des voix – qui pour la première fois attaque frontalement Macky Sall en demandant le « report du référendum ». Ce alors que jusqu’ici il flirtait avec le régime et n’en boudait pas certains avantages. A-t-il décidé d’assumer une rupture totale ?

Quid du marabout Modou Kara Mbacké, nommé ambassadeur itinérant par Macky Sall et qui vient de déclarer qu’il va faire campagne pour le Non au référendum ? Fait-il – encore – du chantage ?

Le danger le plus grand pour le régime est la tonalité moralisatrice que prend cette affaire éminemment politique. Il y a un mélange des genres entre morale et politique qui est gros de dérives pernicieuses. La politique n’est pas la morale. L’engagement du président Sall est moral et/ou éthique ; il ne lie pas le Conseil Constitutionnel dont la raison d’être est de dire le Droit. Décider la réduction d’un mandat présidentiel en cours est impossible sauf démission ou incapacité de différentes sortes.

De bonne guerre

Il est cependant parfaitement compréhensible que les opposants saisissent cette opportunité pour combattre le pouvoir. C’est de bonne guerre. Au régime de se défendre.

Il n’en reste pas moins que tous les acteurs politiques ont intérêt à agir dans le cadre démocratique, celui du débat et de la confrontation des arguments. Non des prêches qui substitueraient l’Agora – la place publique, celle du débat – en tribunal de l’Inquisition. La Démocratie est un pari sur l’Homme vivant ici-bas, sur terre.

 

MM. D.

 

 

Crédit image : Place de l’Indépendance à Dakar, par Mostroneddo – Flickr via Wikimedia Commons – CC BY 2.0