Le Sénégal, longtemps cité en exemple démocratique, est aujourd’hui le théâtre d’une véritable chasse aux sorcières politique. Depuis l’alternance du pouvoir en 2024, le nouveau régime de Bassirou Diomaye Faye, flanqué de son influent Premier ministre Ousmane Sonko, semble obsédé par une seule mission : détruire l’héritage et la réputation de l’ancien président Macky Sall. Audits à charge, poursuites judiciaires tous azimuts, instrumentalisation des institutions et campagnes de diffamation virales – l’acharnement est systématique. Le ton est donné d’emblée : au lieu de se consacrer à la gestion du pays, le nouveau pouvoir déroule une opération punitive sans précédent, faisant de Macky Sall et de ses proches les boucs émissaires d’un populisme revanchard. Cette dérive autoritaire, masquée sous le vernis de la « reddition des comptes », menace non seulement un homme et son bilan, mais aussi les fondements mêmes de notre démocratie.
Des audits biaisés pour un réquisitoire financier infondé
Dès son arrivée, le régime Faye/Sonko s’est empressé de brandir des audits financiers “choc” visant la gouvernance de Macky Sall. L’objectif affiché : révéler une prétendue gestion catastrophique laissée en héritage. Et effectivement, un rapport de la Cour des comptes – opportunément publié moins d’un an après l’élection – dresse un tableau apocalyptique des finances publiques sous Sall. Selon ce rapport, la dette publique au 31 décembre 2023 aurait atteint 18 558,91 milliards de FCFA, soit 99,67 % du PIB, bien au-delà des 74 % de dette annoncés en 2023 par le précédent gouvernement. De même, le déficit budgétaire de 2023 a été recalculé à 12,3 % du PIB, contre seulement 4,9 % déclarés officiellement – un écart de plus de 2 291 milliards de FCFA dû, d’après les auditeurs, à des dépenses et emprunts dissimulés hors budget. Ces chiffres effarants laissent entendre que le régime Sall aurait truqué les comptes de la nation en cachant près de 7 milliards de dollars de dette et en minimisant artificiellement le déficit.
Le matraquage médiatique autour de ces « révélations » a été immédiat. Le Premier ministre Ousmane Sonko lui-même, dès octobre 2024, accusait bruyamment l’ancienne administration d’avoir manipulé les chiffres budgétaires de 2019-2024. Aujourd’hui, ses partisans fanfaronnent en affirmant que l’audit leur donne raison et prouve une « faillite » financière de l’ère Sall. Mais à y regarder de plus près, ce procès financier ressemble fort à une mise en scène politique. D’une part, il est pour le moins invraisemblable que de tels écarts abyssaux aient pu passer inaperçus pendant des années. Le Sénégal n’est pas un État isolé : nos comptes sont scrutés par les partenaires internationaux, les agences de notation, le FMI. D’ailleurs, jusqu’en 2023, la Cour des comptes certifiait chaque année les chiffres officiels sans y voir de falsification. Soudain, le même organe « découvre » un trou béant ? À qui fera-t-on croire qu’un gouvernement aurait pu camoufler presque 25 % de PIB de dette sans que personne ne s’en rende compte ? La suspicion de parti pris plane lourdement sur cet audit expéditif, réalisé sous l’égide d’un régime ayant fait de la diatribe anti-Sall son cheval de bataille.
D’autre part, plusieurs observateurs soulignent le manque de rigueur et d’impartialité du processus. Macky Sall lui-même, dans un entretien, a rejeté ces allégations de « falsification » en les qualifiant de « procès politique », soulignant qu’aucun membre de son gouvernement n’a été interrogé lors de cet audit à charge. « Nous avons toujours travaillé en toute transparence… Il est trop facile de revenir après coup pour dire que tout était faux » a-t-il martelé, visiblement indigné. Son indignation est partagée par une partie de l’opinion : sur les réseaux, certains citoyens sénégalais ont dénoncé un rapport « purement manipulateur », d’autant que les autres rapports de la Cour des comptes ont curieusement été rendus inaccessibles au même moment. Cette mise en scène alimente l’idée d’une volonté délibérée de dramatiser la situation financière afin de diaboliser le régime sortant.
En réalité, la situation économique héritée de 2024, bien que tendue par les chocs successifs (pandémie, crise mondiale), n’avait rien du gouffre décrit par la propagande actuelle. Certes, la dette avait augmenté – passant d’environ 64 % à 75 % du PIB entre 2019 et 2022, notamment pour financer de grands projets d’infrastructures et amortir la crise du Covid. Cette trajectoire restait en ligne avec les normes internationales : le risque de surendettement était jugé « modéré » par le FMI, même si des marges de manœuvre réduites imposaient la prudence. Rien d’insoutenable donc, et surtout rien qui ne puisse justifier le tableau apocalyptique brossé par le duo Faye/Sonko. Alors, comment obtient-on 99 % de dette et 12 % de déficit ? Très simple : en changeant les règles du jeu en cours de partie. Le nouveau pouvoir a choisi d’intégrer brutalement au bilan des éléments jusque-là gérés hors budget (par exemple des emprunts de trésorerie non encore consolidés, des dépenses exceptionnelles d’urgence) pour gonfler artificiellement les ratios. On « découvre » ainsi, avec une feinte candeur, 2 517 milliards de FCFA d’emprunts bancaires hors circuit officiel – essentiellement des avances de trésorerie pour faire tourner l’État en temps de crise – en s’indignant qu’ils n’aient pas été validés par le Parlement. On ajoute au déficit toutes sortes de dépenses « extra-budgétaires » qui, si elles n’étaient pas dans le budget, c’est précisément parce qu’elles relevaient de procédures spéciales assumées en toute transparence à l’époque. En somme, on change les méthodes comptables pour charger l’ancien régime, au mépris de la continuité de l’État. Cette relecture biaisée des comptes publics permet ensuite aux nouvelles autorités de clamer que le Sénégal est « en faillite » à cause de Macky Sall, et d’excuser par avance leurs propres échecs.
Car ne nous y trompons pas : l’alarmisme financier de Bassirou Faye et Ousmane Sonko sert avant tout à justifier un brutal tournant austéritaire qui trahit leur promesse de changement. À peine installé, le président Faye a annoncé qu’« on ne peut pas s’endetter davantage » et que « le seul levier qui reste est l’arme fiscale », préparant l’opinion à des hausses d’impôts généralisées. Dans la foulée, son gouvernement a supprimé des agences publiques et des subventions à l’électricité – mesures drastiques présentées comme inévitables pour, soi-disant, « resserrer les ceintures » d’un État prétendument exsangue. Ironie du sort : ceux qui hier fustigeaient la vie chère et promettaient monts et merveilles au peuple sénégalais sont les mêmes qui, aujourd’hui, lui demandent des sacrifices sans précédent, tout en pointant du doigt l’ancien régime comme bouc émissaire. Le populisme destructeur a changé de camp. Le pouvoir Faye/Sonko, faute de pouvoir tenir ses mirifiques engagements de campagne, s’est inventé une fable comptable – la « dette cachée » – pour faire avaler sa volte-face aux Sénégalais. Plutôt que d’assumer le poids de la conjoncture ou ses propres limites, il préfère accuser Macky Sall d’avoir « saboté » l’économie. Un procédé aussi malhonnête qu’insultant pour l’intelligence des citoyens.
La Cour des comptes mise au pas et instrumentalisée
Au cœur de ce réquisitoire financier se trouve donc la Cour des comptes, institution normalement indépendante chargée du contrôle des finances publiques. Sous le régime Faye/Sonko, elle est devenue l’arme favorite de la manipulation institutionnelle. Le rapport spécial publié le 12 février 2025, qui épingle la gestion 2019-2024, a été monté en épingle de manière théâtrale. Jamais un rapport de la Cour des comptes n’avait fait l’objet d’une telle exploitation politique. Au lieu d’être traité pour ce qu’il est – un document technique perfectible –, il a été présenté comme l’acte d’accusation officiel du « procès Macky Sall ».
La collusion entre l’exécutif et cette démarche prétendument indépendante ne fait guère de doute. Le porte-parole de la Présidence, Ousseynou Ly, s’est empressé de publier le lien vers les conclusions de la Cour sur les réseaux sociaux officiels le jour même, comme on brandit un trophée. Une initiative inhabituelle, qui a suscité malaise et critiques : pourquoi un ministre s’empresse-t-il ainsi de s’ériger en commentateur zélé d’un rapport censé concerner avant tout la justice ? Certains internautes, loin d’applaudir, ont fustigé cette posture revancharde, rappelant qu’il serait temps pour le gouvernement de « gouverner au lieu de faire de l’opposition » et traitant au passage les nouveaux dirigeants de « bande d’incompétents » focalisés sur le passé. En clair, la manœuvre est apparue pour ce qu’elle est : une exploitation politicienne d’un rapport comptable, là où on attendrait d’un gouvernement qu’il propose des solutions plutôt que des réquisitoires.
Plus troublant encore, l’usage à géométrie variable de la Cour des comptes selon qu’il sert ou non la narrative en place. Il faut rappeler qu’en décembre 2022, la même Cour des comptes avait publié, sous Macky Sall, un rapport très critique sur la gestion des fonds destinés à la pandémie de Covid-19. Ce rapport de 180 pages relevait déjà de graves manquements dans l’utilisation du fonds spécial de 1 000 milliards FCFA (achats sur-facturés, dépenses sans justificatifs, etc.), impliquant potentiellement plusieurs responsables de l’époque. Quelle avait été la réaction du gouvernement Sall ? Plutôt mesurée : une promesse d’examiner ces conclusions et de sanctionner en interne si nécessaire, mais aucune poursuite judiciaire spectaculaire. On peut certes reprocher à Macky Sall une certaine lenteur à sévircontre ces dérives – l’opposition de l’époque ne s’en est pas privée, y voyant la preuve d’une impunité coupable. Toujours est-il que la Cour des comptes, alors, n’avait pas été muselée et avait pu travailler librement, ses constats étant assumés publiquement par le pouvoir en place. La différence aujourd’hui, c’est que ce même instrument est sélectivement activé ou ignoré selon l’agenda politique. On ressort le rapport Covid de 2022 uniquement pour s’en servir rétroactivement contre les anciens ministres (voir plus loin l’affaire Mansour Faye). Et on donne une caisse de résonance inédite au rapport 2025 parce qu’il sert la narration d’un Macky Sall « pilleur » à punir.
Au passage, on notera que les suites judiciaires données aux rapports de la Cour varient elles aussi selon la cible. En 2022, aucun procès médiatisé n’avait découlé des manquements sur les fonds Covid, malgré le tollé initial. Sous Faye/Sonko, en revanche, chaque irrégularité relevée devient un casus belli judiciaire, mais uniquement s’il s’agit de pointer l’ancien régime. Cette instrumentalisation flagrante n’échappe à personne : la Cour des comptes, organe de contrôle névralgique, est désormais perçue comme un bras armé du pouvoir. Le ministre de la Justice actuel n’a-t-il pas immédiatement annoncé l’ouverture d’enquêtes pénales suite au rapport 2025, visant explicitement les responsables de l’ère Sall ? Et ceci pendant que le porte-parole du gouvernement claironnait déjà que Macky Sall serait « inéluctablement traduit en justice » pour ces faits. Autrement dit, le verdict politique est tombé avant même toute instruction : coupable. La Cour des comptes n’a plus qu’à produire les munitions pseudo-techniques pour habiller la sentence décidée d’avance.
En agissant ainsi, le régime Faye/Sonko foule au pied la séparation des pouvoirs et la présomption d’innocence. Il envoie aussi un signal désastreux aux magistrats et hauts fonctionnaires : seuls les chiffres « convenables » politiquement sont acceptables. Gageons que plus aucun rapport de la Cour ne pointera les éventuelles errances du nouveau pouvoir, puisque l’indépendance a cédé la place à la terreurl : malheur à l’auditeur dont les constats déplairaient aux maîtres du jour. En attendant, la manipulation a partiellement réussi sur un plan : une partie de l’opinion, matraquée d’informations alarmistes, est persuadée que Macky Sall a ruiné le pays. Le populisme de vengeance a trouvé son carburant : un scandale financier sur-mesure, où les chiffres – invérifiables pour le commun des mortels – servent d’arme de destruction d’une image politique.
Poursuites ciblées : la machine judiciaire au service de la vengeance
Discréditer médiatiquement Macky Sall ne suffisait pas : il fallait encore le criminaliser, lui et son entourage, par la justice. C’est la deuxième phase de l’offensive Faye/Sonko : une campagne de poursuites judiciaires ciblées, sans précédent dans notre histoire récente, visant presque exclusivement les figures de l’ancien régime. Le ton avait été donné pendant la campagne : Bassirou Diomaye Faye avait promis de « régler ses comptes » avec la corruption passée, et Ousmane Sonko clamait haut et fort qu’il enverrait les « voleurs de la République » en prison. Aussitôt élus, ils se sont empressés de tenir cette promesse-là – et uniquement celle-là.
Un organe d’exception a été activé pour l’occasion : la Haute Cour de Justice, tribunal spécial habilité à juger les anciens ministres et présidents pour les délits commis durant leur mandat. Cette juridiction, qui dormait dans les textes, a été réactivée à toute vitesse fin 2024 avec une Chambre d’accusation flambant neuve. Et elle n’a pas chômé : en quelques mois, cinq anciens ministres de Macky Sall ont été inculpés et écroués, comme s’il s’agissait d’un coup de filet savamment orchestré. Parmi eux : Amadou Mansour Faye, ex-ministre du Développement communautaire (et beau-frère de Macky Sall), accusé d’avoir détourné 4,6 millions de dollars de fonds publics ; Moustapha Diop, ex-ministre du Développement industriel, accusé de malversations sur 4 millions de dollars du fonds Covid ; Aïssatou Sophie Gladima, ex-ministre des Mines, poursuivie pour 330 000 $ détournés d’un fonds destiné aux orpailleurs ; ou encore Ndèye Salimata Diop, ex-ministre de la Femme, inculpée puis finalement remise en liberté sous caution après versement de 57 millions FCFA. Même Ismaïla Madior Fall, ancien garde des Sceaux, a été rattrapé : ce juriste respecté, qui avait osé défendre la régularité des procédures contre Sonko du temps de Sall, se voit aujourd’hui affublé d’un bracelet électronique pour une affaire de corruption sans lien avec la pandémie. Personne n’est épargné : hauts fonctionnaires, directeurs d’agences, hommes d’affaires liés de près ou de loin à l’ancien pouvoir, tous sont convoqués, interrogés, parfois arrêtés dans la grande opération dite de « reddition des comptes ». Selon les chiffres vantés par les procureurs du nouveau régime, pas moins de 262 personnes ont été arrêtées entre septembre 2024 et avril 2025 dans le cadre de ces enquêtes tous azimuts, et environ 15 milliards FCFA auraient été « recouvrés » en biens saisis ou fonds récupérés. Une véritable chasse à l’homme politico-judiciaire, menée tambour battant.
Qu’on ne s’y trompe pas : la lutte contre la corruption est un impératif dans toute démocratie. Mais ici, nul ne peut ignorer le deux-poids-deux-mesures et l’acharnement sélectif à l’œuvre. Sur l’ensemble des personnes épinglées, toutes ou presque appartiennent à l’ancien camp au pouvoir. Comme par hasard, aucun proche du nouveau régime n’est inquiété – quand bien même certains nouveaux pontes ont, eux aussi, un passé peu clair ou sont d’anciens alliés recyclés. On assiste à une sorte de purge politique habillée en croisade judiciaire. L’intention de vengeance transparaît à chaque étape. Le porte-parole du gouvernement l’a d’ailleurs avoué à demi-mot en promettant que Macky Sall « ne pourra pas échapper à la justice » et qu’il est « le principal responsable des actes extrêmement graves qui ont été commis ». Cette déclaration, digne d’un régime autoritaire, viole la plus élémentaire présomption d’innocence – mais qu’importe, le sort de l’ancien président est déjà scellé dans l’esprit de ses successeurs. Ils le veulent à terre, et surtout derrière les barreaux, tel un trophée politique.
Pour parvenir à cette fin, le pouvoir ne recule devant aucune manipulation législative ou diplomatique. En février 2025, une inter-commission parlementaire dominée par le parti présidentiel a ressorti un obscur traité de transfèrement de prisonniers avec le Maroc, datant de 2004, afin de l’actualiser. Officiellement, il s’agit de permettre aux détenus marocains de purger leur peine au pays et vice versa. Mais tout le monde a compris le message subliminal : Macky Sall, qui réside à l’étranger (au Maroc depuis qu’il a quitté le pouvoir), est clairement visé. L’objectif ? Qu’en cas de condamnation, il puisse être transféré de force pour croupir dans une geôle sénégalaise. Cette obstination à vouloir pourchasser un ancien chef d’État hors de nos frontières est sans précédent sous nos cieux. Même Abdoulaye Wade, pourtant honni par certains après 2012, n’avait pas subi un tel acharnement. À l’époque, Macky Sall avait su faire la part des choses entre les nécessaires audits de la gestion sortante et la tentation revancharde. Il avait choisi de ne pas humilier son prédécesseur ni de déchirer le tissu social pour solder les comptes. Bassirou Faye et Ousmane Sonko, eux, foncent tête baissée dans la politique de la terre brûlée. Peu leur importe qu’ils fracturent le pays en dressant une moitié des Sénégalais contre l’autre : ils se délectent de satisfaire leur base en jetant en pâture tout ce qui touche de près ou de loin à Macky Sall.
Les quelques voix qui osent dénoncer ces dérives sont immédiatement accusées de « complotisme » ou d’être complices de l’ancien régime. Pourtant, même des observateurs non partisans s’inquiètent. Des juristes soulignent l’absence de garanties d’un procès équitable devant la Haute Cour de Justice, composée de parlementaires-juge et de magistrats politisés. Les modalités expéditives des arrestations – souvent sur la simple base de rapports administratifs non contradictoires – laissent craindre que la justice sénégalaise ne soit instrumentalisée pour éliminer des adversaires. Les critiques ne viennent pas que de Dakar : l’image du pays souffre à l’international, où l’on voit d’un mauvais œil ce règlement de comptes digne d’une république bananière. Le retournement est tragique : ceux qui, hier, dénonçaient le « troisième mandat » de Macky Sall comme un danger pour la démocratie sont en train d’instaurer un régime de peur et de règlement de comptes bien plus dangereux.
Et au-delà des figures politiques ciblées, c’est chaque citoyen sénégalais qui devrait trembler devant ce précédent. Car si l’on peut aujourd’hui, au gré d’une alternance, incarcérer en masse d’anciens responsables sur des bases discutables, qu’est-ce qui empêchera demain un nouveau pouvoir d’en faire de même, voire de s’en prendre au citoyen lambda critique ? La justice, lorsqu’elle se mue en instrument partisan, finit toujours par broyer l’État de droit qui protège le simple justiciable.
L’affaire Amadou Mansour Faye : un symbole de la justice aux ordres
Parmi toutes les poursuites engagées, le cas d’Amadou Mansour Faye illustre à lui seul l’instrumentalisation économique, juridique et politique de la justice par le régime actuel. Mansour Faye n’est pas seulement l’ancien ministre du Développement communautaire et maire de Saint-Louis ; il est aussi le beau-frère de Macky Sall (frère de la Première dame Marième Faye Sall). À ce titre, il concentre sur lui la volonté de vengeance personnelle du nouveau pouvoir. Son sort était scellé d’avance : frapper Mansour Faye, c’était atteindre symboliquement la famille Sall au cœur.
L’ex-ministre a été inculpé fin mai 2025 et immédiatement placé sous mandat de dépôt, à l’issue de sa comparution devant la Haute Cour de Justice spécialement convoquée. La liste des charges retenues contre lui tient de la démonstration de force : association de malfaiteurs, concussion, corruption passive, prise illégale d’intérêts, faux en écriture privée, détournement de deniers publics, blanchiment de capitaux, le tout agrémenté de « complicité » pour chacun de ces chefs. Un véritable catalogue de la criminalité financière, comme si Mansour Faye était à lui seul un concentré de toutes les malversations possibles. On croirait lire un acte d’accusation contre un cartel international ! En réalité, toutes ces imputations découlent d’un même dossier : la gestion du programme “Force Covid-19” par son ministère en 2020. Mansour Faye est accusé d’« infractions financières » liées à l’utilisation des fonds de ce programme de résilience économique et sociale, doté à l’époque de 2,7 milliards FCFA pour venir en aide aux populations pendant la pandémie. Plus précisément, la Cour des comptes – dans son rapport de fin 2022 – avait pointé des irrégularités majeures dans la distribution de l’aide d’urgence, dont notamment « une surfacturation estimée à 2,7 milliards FCFA sur l’achat de riz » destiné aux familles vulnérables durant le confinement. C’est ce riz “surfacturé” qui vaut aujourd’hui à Mansour Faye d’être traîné devant les juges. En effet, il est explicitement cité pour une présumée surfacturation de 2,749 milliards FCFA sur ces achats de riz, soit l’équivalent d’environ 4,5 millions de dollars. Voilà donc, en chiffres, le « crime » pour lequel un ancien ministre de la République croupit désormais en prison : 4,5 millions supposément dilapidés dans l’achat de vivres pendant une crise sans précédent.
Resituons le contexte pour bien mesurer l’indécence de cette accusation. En pleine pandémie de Covid-19, Mansour Faye, comme beaucoup de responsables dans le monde, a dû agir dans l’urgence pour protéger la population. Sous sa coordination, le Sénégal a déployé une réponse sanitaire saluée à l’international : chaque malade du Covid disposait d’un lit d’hôpital, même asymptomatique, ce qui a drastiquement réduit la contagion communautaire. Cette prouesse – peu de pays africains peuvent en dire autant – a eu un coût élevé pour l’État : 1 000 milliards FCFA mobilisésau total pour la riposte. Oui, il y a pu avoir des gâchis, des surcoûts ; oui, tout n’a pas été « utilisé à bon escient », comme le notait la Cour des comptes en 2022. Mais faut-il rappeler qu’on était alors en économie de guerre ? Les denrées de base manquaient, les prix flambaient sur les marchés internationaux, les gouvernements partout rivalisaient de dépenses pour sauver des vies. Reprocher aujourd’hui à Mansour Faye d’avoir payé trop cher du riz en avril 2020 relève d’un cynisme absolu, ou d’une méconnaissance totale de la situation de l’époque. Qui peut sérieusement affirmer qu’il eût mieux valu marchander quelques francs de plus au kilo pendant que des milliers de familles étaient confinées sans revenus ni nourriture ? L’accusation de « surfacturation » fait fi de ce contexte d’urgence. Elle transforme un possible dysfonctionnement bureaucratique – courant en temps de crise – en scandale politico-judiciaire. Le pouvoir actuel se garde bien de rappeler que les aides alimentaires sont bel et bien arrivées aux populations et qu’elles ont permis d’éviter la faim et les émeutes pendant les mois les plus durs de la pandémie. Au lieu de cela, il préfère réduire le bilan de Mansour Faye à une ligne comptable présumée frauduleuse.
Sur le plan strictement juridique, le dossier soulève de sérieuses questions quant au droit à un procès équitable de l’accusé. Les avocats de Mansour Faye ont fermement dénoncé la violation des droits de la défense dans cette procédure expéditive. Ils rappellent qu’avant même son inculpation, leur client avait proposé de verser une caution pour rester libre le temps du procès – une pratique légale courante – mais que le juge d’instruction a refusé ce cautionnement sans motif valable, préférant l’envoyer directement en prison. Cette détention provisoire systématique, qui devient la norme pour les anciens dignitaires sous Faye/Sonko, s’apparente à une peine anticipée avant jugement. Les avocats ont également soulevé une exception d’inconstitutionnalité contre la loi ayant institué la Haute Cour de Justice, estimant qu’elle viole la Constitution et les traités garantissant un procès équitable. Ils ont demandé un sursis en attendant que le Conseil constitutionnel tranche cette question, en vain. Le rouleau compresseur judiciaire avance, implacable, sans même attendre que la plus haute juridiction valide la légalité du tribunal d’exception mis en place.
Surtout, la défense de Mansour Faye a apporté des éléments concrets qui jettent une ombre sur l’imputabilité même des faits reprochés. Me El Hadji Amadou Sall, l’un de ses avocats (et ancien ministre de la Justice lui aussi), a rappelé devant la presse des réalités administratives basiques mais ignorées par l’accusation : Mansour Faye, en tant que ministre, n’a jamais attribué directement les marchés publics ni ordonné les paiements dans le cadre de ce programme d’aide. La passation des marchés – notamment l’achat du riz incriminé – relevait des commissions de marché et les paiements étaient effectués par le ministère des Finances. « Mansour Faye n’a jamais été mêlé de près ou de loin à la gestion de ces marchés. Il est coupable d’une seule chose : s’appeler Mansour Faye, beau-frère du Président Macky Sall », a asséné Me Amadou Sall. Selon lui, le pouvoir cherche à atteindre Macky Sall et son épouse ; ne pouvant les atteindre directement, il s’en prend à Mansour Faye. « C’est tout ce que nous avons trouvé dans ce dossier », conclut l’avocat, soulignant ainsi le vide accablant du dossier hormis la filiation familiale. Cette déclaration forte résume parfaitement l’affaire : une vengeance ciblée déguisée en procédure anticorruption.
En effet, quoi de plus symbolique pour le nouveau régime que de faire tomber le “beau-frère de Macky” ? On humilie ainsi publiquement la famille de l’ancien président, on cherche à le toucher au cœur, et on envoie un message glaçant : personne ne sera épargné, pas même vos proches. Ce faisant, Bassirou Faye et Ousmane Sonko franchissent une ligne rouge morale que peu de leaders avaient osé dépasser dans ce pays. Le Sénégal a une tradition de respect, même minimal, de la sphère familiale des adversaires politiques. Ici, au contraire, on exhibe Mansour Faye en coupable idéal, on le jette en prison comme un malfrat, avant tout procès, pour faire un exemple. Peu importent les contestions légitimes sur le fond du dossier – les avocats ont beau démontrer l’absence d’enrichissement personnel, la confusion entre responsabilité politique et responsabilité pénale –, le pouvoir s’en moque. L’important est de satisfaire une opinion chauffée à blanc en lui offrant des « têtes ». C’est du populisme pénal : plutôt que de convaincre avec un projet, on frappe avec des condamnations.
Le cas Mansour Faye, par sa caricature, finira sans doute par se retourner contre ses instigateurs. Car toute personne de bonne foi peut constater le décalage entre l’ampleur médiatique donnée à cette affaire et la faiblesse concrète des preuves de malversation personnelle. En ne retenant finalement qu’une histoire de riz trop cher, le régime Faye/Sonko révèle, malgré lui, que Macky Sall et les siens n’ont pas volé des milliards ou planqué des fortunes occultes, contrairement aux ragots véhiculés (nous y reviendrons). Faute de trouver un véritable scandale, on monte en épingle des gestions de crise complexes. C’est la preuve flagrante que cette croisade anticorruption est avant tout motivée par la rancune. Mansour Faye restera comme le symbole d’une justice dévoyée, et son sort, pour injuste qu’il soit, éclaire d’une lumière crue la dérive autoritaire en cours.
Diffamation virale : la machine à rumeurs du régime
Parallèlement à l’offensive judiciaire, le régime Bassirou Faye/Ousmane Sonko mène une véritable guerre de l’information pour abattre Macky Sall sur le terrain médiatique et populaire. Cette guerre se déploie essentiellement sur les réseaux sociaux, devenus le champ de bataille favori d’Ousmane Sonko et de ses partisans de la première heure. Jamais une alternance politique au Sénégal n’avait donné lieu à un tel déferlement de rumeurs, de calomnies et de fake news ciblant un ancien président. Il s’agit clairement d’une campagne de diffamation virale organisée, cherchant à salir l’honneur de Macky Sall et de ses proches, afin de justifier a posteriori l’acharnement dont il est victime.
Les méthodes employées rappellent tristement celles des officines de propagande : utilisation de faux comptes, d’influenceurs alignés et de réseaux coordonnés pour inonder l’espace public de récits fallacieux. Un exemple frappant a été donné en mars 2025, lorsque des rumeurs ont émergé sur une prétendue expulsion de Macky Sall du Maroc où il réside actuellement. Tout est parti d’un obscur post sur X (ex-Twitter) d’un certain Mohamed “MHD” Thiombane, présenté comme un blogueur proche du pouvoir, affirmant que le gouvernement marocain aurait demandé à Sall de quitter le pays. En temps normal, une telle allégation – sans la moindre source officielle – serait passée inaperçue. Mais là, en quelques heures, des réseaux entiers de comptes Facebook, TikTok et X ont partagé la “nouvelle”, accumulant des centaines de milliers de vues. On a appris par la suite qu’au moins 11 comptes Facebook agissaient de concert pour copier-coller la rumeur et la propager massivement, selon une méthode de désinformation bien rodée. Il a fallu qu’un démenti officiel du ministre sénégalais des Affaires étrangères vienne clarifier que non, ce type d’accord judiciaire avec le Maroc ne concernait que les détenus déjà condamnés – et donc pas Macky Sall – pour que la fable s’essouffle. Le mal était fait : pendant plusieurs jours, le buzz autour d’un Macky Sall « indésirable » chez Mohammed VI a alimenté les conversations, renforçant chez certains l’idée que l’ancien président serait un paria international.
Quelques semaines plus tôt, une autre rumeur soigneusement orchestrée avait fait florès : celle d’un « coup de filet bancaire » qui aurait mis à jour des comptes secrets de Macky Sall garnis de sommes faramineuses. Ainsi, à la fin 2024, un faux relevé bancaire a circulé en ligne, prétendument issu de la banque HSBC à Singapour, affichant un solde d’1 milliard de dollars au nom de Macky Sall. La manipulation était grossière – polices de caractères inadéquates, incohérences dans le document – mais dans l’euphorie de la chasse aux sorcières, beaucoup y ont cru ou feint d’y croire. Le faux document est devenu viral, partagé des milliers de fois sur Facebook et WhatsApp, souvent par des comptes anonymes fraîchement créés. La calomnie était telle que l’ancien président a dû porter plainte contre X pour diffusion de fausses nouvelles et usage de faux. Là encore, la genèse de l’affaire éclaire l’ampleur du complot : selon les recoupements, c’est un activiste pro-Sonko qui aurait fabriqué le faux, puis l’aurait transmis à des relais médiatiques complaisants. Le journal d’État Le Soleil lui-même a cru bon d’évoquer ce prétendu compte d’1 milliard de dollars, lui donnant une visibilité accrue, avant de reconnaître (du bout des lèvres) qu’il s’agissait d’un faux avéré.
Dans la foulée, on a vu surgir sur certains sites et forums proches du pouvoir des listes invérifiables de « 63 comptes bancaires opaques » qu’auraient détenus Macky Sall et ses proches dans diverses banques entre 2012 et 2024Ces élucubrations, dignes d’un polar de série B, visent à ancrer dans l’opinion l’image d’un Macky Sall et de sa famille accaparant illicitement des fortunes colossales. Bien sûr, aucune preuve concrète n’est jamais apportée. On insinue, on laisse planer le doute. Le tout trouve un écho favorable auprès d’un public chauffé à blanc par des années de discours anti-« système » : puisque Macky Sall était au pouvoir, il doit forcément avoir volé quelque part, pense-t-on. La calomnie comble le vide probatoire.
Ce qui frappe, c’est le caractère hautement coordonné de ces campagnes. On identifie les mêmes réseaux de faux profils ou de trolls d’une rumeur à l’autre. L’affaire du traité avec le Maroc l’a montré : la diffusion synchronisée sur 11 comptes Facebook indique un pilotage centralisé. De même, l’« affaire HSBC » a été poussée par un cercle de pages et de profils se relayant mutuellement. Plusieurs analystes indépendants évoquent l’existence de « cellules numériques » liées au parti au pouvoir (PASTEF) ou à des officines privées, chargées d’inonder les réseaux de contenus favorables au régime et de détruire la réputation des adversaires. Le mode opératoire est toujours le même : on lance une fake news via un compte secondaire ou un média peu connu, puis des figures pro-gouvernementales la relayent en feignant de s’interroger, ensuite une myriade de comptes amplifient jusqu’à ce que la rumeur devienne “tendance”. Mensonge répété, mensonge cru, telle est la devise.
Dans ce concert de désinformation, certains influenceurs officiels jouent les premiers violons. On l’a vu avec MHD Thiombane pour l’exil au Maroc. On peut citer également Sanou Dione, un activiste notoire, qui est allé jusqu’à “confirmer” publiquement l’existence d’un compte de 1 000 milliards FCFA lié à Macky Sall, reprenant à son compte les fabulations de Sonko sur ce sujet. Ces personnages, qu’on retrouvait hier aux avant-postes de la contestation anti-Sall, opèrent aujourd’hui quasiment comme des communicants officieux du régime. Le pouvoir actuel souffle sur les braises en coulisses, tout en gardant un semblant de distance en public. Ainsi, Bassirou Faye et Ousmane Sonko n’ont jamais eux-mêmes affirmé “Macky a un compte de tant de milliards à l’étranger”, mais ils laissent leurs sbires le faire, puis ne démentent pas, entretenant le soupçon pour mieux assassiner l’honneur de leur prédécesseur.
Il faut dire que cette stratégie de dénigrement tous azimuts sert plusieurs objectifs. D’une part, détourner l’attention : pendant que l’on parle des supposés méfaits passés de Macky Sall, on ne s’attarde pas sur l’absence de résultats présents du nouveau pouvoir. D’autre part, justifier l’injustifiable : si Macky Sall est établi aux yeux du peuple comme un corrompu notoire, un traître à la nation, alors tout ce qu’on lui fait subir – audits partisans, humiliations, exil forcé, éventuellement prison – apparaîtra comme mérité. C’est une technique bien connue des régimes autoritaires naissants : déshumaniser ou démoniser l’adversaire pour mieux faire passer la répression. Enfin, cette campagne vise à casser tout élan de sympathie ou de soutien à l’ancien président. Elle cherche à isoler Macky Sall sur la scène nationale et internationale en le peignant sous les traits les plus sombres. Malheureusement, une partie de la population, notamment les plus jeunes ultras sur les réseaux, adhèrent à ces récits simplistes et complotistes.
Cependant, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer cette propagande indigne. Des médias sérieux ont procédé à des fact-checking salutaires : ainsi – pourtant proche du gouvernement – a dû admettre que le fameux relevé bancaire viral était un faux grossier. Des sites indépendants ont démonté les rumeurs de comptes cachés à coup de vérifications auprès des banques concernées. Sur Facebook et X, des internautes lucides appellent à la prudence, rappelant que « calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose » n’est pas une politique publique. Mais ces efforts de vérité pèsent peu face à la puissance de feu numérique du régime. Le plus inquiétant est que les dirigeants actuels n’hésitent pas à polariser dangereusement la société à travers ces mensonges viraux. On voit se dessiner une fracture entre Sénégalais : d’un côté ceux qui adhèrent aveuglément aux récits populistes de Sonko et Faye, de l’autre ceux qui tentent de défendre un minimum de rationalité et d’équilibre. La société sénégalaise se déchire en lignes de fracture informationnelles, chaque camp accusant l’autre de mensonge, de trahison, etc. Cette situation est directement alimentée par la stratégie du pouvoir : plutôt que d’unir les Sénégalais autour d’un projet, il leur offre un ennemi commun fantasmé (Macky Sall le « pilleur », sa famille la « mafia Faye »…) pour cimenter son assise. C’est non seulement immoral, mais aussi terriblement dangereux pour la cohésion nationale.
Un héritage positif que l’on cherche à effacer
Face à cette déferlante de négativité, il est crucial de rappeler quel est le véritable héritage de Macky Sall – celui que ses adversaires du jour s’acharnent à piétiner et à réécrire. Car si l’ancien président est la cible d’une telle haine de la part du régime Faye/Sonko, c’est aussi parce qu’il a laissé une empreinte tangible dans l’histoire récente du Sénégal, une empreinte que le nouveau pouvoir, en mal de légitimité profonde, envie et veut voir disparaître.
Sur le plan économique et social, le bilan de Macky Sall est loin d’être le marasme dépeint par la propagande. Au contraire, nombre d’observateurs objectifs reconnaissent qu’il a profondément transformé le pays en douze ans. « Macky Sall est le meilleur président sénégalais depuis les indépendances. Il a fait d’énormes réalisations qu’aucun président n’a pu faire, de Senghor à Wade… En matière d’infrastructures, ce président a fait mieux que ses prédécesseurs » témoignait ainsi une citoyenne lors d’un micro-trottoir fin 2022. L’affirmation peut sembler enthousiaste, mais les faits la soutiennent largement. Sous Macky Sall, le Sénégal a connu un véritable boom infrastructurel dans le cadre du Plan Sénégal Émergent (PSE). Routes, autoroutes, ponts, aéroports, chemins de fer, équipements publics – le pays s’est métamorphosé. Selon les données officielles, entre 2012 et 2021, ce sont plus de 2 526 km de routes et 189 km d’autoroutes qui ont été construits ou réhabilités à travers le territoire. Des projets emblématiques ont vu le jour : le Train Express Régional (TER) reliant Dakar à Diamniadio et à l’aéroport international – une première en Afrique de l’Ouest ; le Bus Rapid Transit dans la capitale pour décongestionner les transports urbains ; le stade Abdoulaye Wade ultramoderne inauguré à Diamniadio ; le Pont de la Sénégambie (Nelson Mandela) sur le fleuve Gambie, qui désenclave le sud du pays en réduisant le trajet Nord-Sud de plus d’une demi-journée à quelques heures. Ce dernier ouvrage, rêvé depuis des décennies, a été réalisé grâce à la coopération internationale sous l’égide de Macky Sall, permettant enfin une continuité routière entre la Casamance et le reste du Sénégal.
En parallèle, le secteur de l’énergie a connu un essor notable sous son mandat. Conscient que sans électricité fiable il n’y a pas de développement, Macky Sall a lancé dès 2016 le mix énergétique (solaire, éolien, gaz) et mis en œuvre la stratégie Gas-to-Power à partir de 2018, anticipant l’exploitation des ressources gazières nationales. Résultat : la capacité de production électrique du pays a plus que doublé entre 2012 et 2022, passant d’environ 854 MW à 1 787 MW. Les coupures de courant chroniques qui pénalisaient l’économie sous Wade sont devenues l’exception. De nouveaux barrages hydroélectriques et centrales solaires ont vu le jour. Tout cela a jeté les bases d’une industrialisation future et d’une meilleure qualité de vie pour les populations.
Sur le plan social, l’ancien président peut revendiquer des avancées comme la Couverture Maladie Universelle (CMU) qu’il a introduite, permettant à des millions de Sénégalais modestes d’accéder à des soins de base. Il a aussi instauré les Bourses de Sécurité Familiale, aide financière directe aux ménages les plus pauvres, qui ont contribué à réduire l’extrême pauvreté en zones rurales. Dans le secteur de l’éducation, son gouvernement a construit plusieurs universités régionales (à Diamniadio, Sine Saloum, Saint-Louis agrandie) et des lycées de référence, tout en revalorisant les bourses étudiantes. Autant de réalisations concrètes, palpables, dans la vie quotidienne des Sénégalais – bien loin du portrait d’un régime prétendument « prédateur » dépeint par l’actuel pouvoir.
À l’international, Macky Sall a aussi hissé le Sénégal à un rang diplomatique enviable. Il a été élu Président en exercice de l’Union Africaine en 2022, rôle dans lequel il a œuvré activement pour la paix dans la région (notamment en tentant une médiation dans la crise russo-ukrainienne) et pour la défense des intérêts africains sur la scène mondiale. Il a noué des partenariats stratégiques qui bénéficient aujourd’hui encore au pays (financements d’infrastructures par le MCC américain, alliances économiques avec la Chine, la Turquie, etc.). Sous sa présidence, le Sénégal a conservé une image de pays stable, démocratique et attractif dans une Afrique de l’Ouest tourmentée par les coups d’État – une stabilité dont se prévalent d’ailleurs ironiquement Bassirou Faye et Ousmane Sonko maintenant qu’ils sont aux commandes. Il convient aussi de souligner, qu’en dépit des polémiques de fin de règne, Macky Sall a respecté l’essentiel : la transmission pacifique du pouvoir après l’élection de 2024. Il a renoncé à briguer un mandat de trop, a organisé des élections compétitives (certes tardives, mais non truquées) et a accepté sa défaite face à l’opposition, acte suffisamment rare en Afrique pour être salué. En clair, il a joué le jeu démocratique jusqu’au bout, mettant l’intérêt du pays au-dessus de son ambition personnelle. Cette sortie pourrait sembler normale, mais comparée à d’autres pays voisins où les transitions se font dans le sang, elle est à mettre à son crédit.
Pourquoi rappeler ce bilan ? Parce qu’il donne la mesure de l’injustice de l’acharnement actuel. Macky Sall n’a évidemment pas été un président parfait ; aucun ne l’est. Son second mandat a connu des dérives sécuritaires et des crispations politiques – notamment autour du cas Sonko – qui ont terni sa fin de règne, c’est indéniable. Cependant, réduire douze ans de gouvernance à quelques scandales montés en épingle et à un narratif de « pillage », c’est occulter tout le positif dont bénéficie aujourd’hui même le peuple sénégalais. Les autoroutes sur lesquelles roulent les citoyens, le train moderne qu’empruntent les voyageurs, l’électricité plus stable, les investissements qui arrivent encore grâce à la crédibilité financière acquise – tout cela, c’est l’héritage Sall. Et c’est précisément cet héritage que le régime actuel tente de faire oublier ou de dénigrer, afin de ne laisser subsister que son propre storytelling du « régime Sall voleur et incompétent ». La ficelle est grosse : lorsqu’un pouvoir passe plus de temps à noircir le passé qu’à bâtir l’avenir, c’est le signe qu’il n’a pas de projet solide à proposer. Bassirou Faye et Ousmane Sonko semblent n’avoir d’autre programme que la destruction de l’ancien. Mais détruire n’a jamais construit un pays. L’Histoire finira par retenir les faits, et non la propagande. Et les faits sont que Macky Sall a laissé un Sénégal globalement en bien meilleur état qu’il ne l’avait trouvé en 2012, que cela plaise ou non à ses détracteurs.
Le peuple sénégalais, première victime de cette dérive autoritaire
À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’entreprise de démolition de Macky Sall se poursuit, méthodique et implacable. Mais il ne faut pas s’y tromper : c’est bien le peuple sénégalais qui a le plus à perdre dans ce triste jeu de vengeance au sommet. En s’enfermant dans une logique punitive et revancharde, le régime Bassirou Faye/Ousmane Sonko entraîne le pays sur une pente dangereuse qui pourrait emporter les aspirations profondes de toute une nation.
D’abord, cette focalisation maladive sur le passé accapare l’agenda politique au détriment des urgences présentes. Pendant que le pouvoir consacre son énergie à poursuivre les anciens ministres et à orchestrer des campagnes de diffamation, les problèmes quotidiens des Sénégalais restent en suspens. Le chômage des jeunes, le coût de la vie, la crise scolaire et universitaire, la santé en berne, la sécurité dans les régions frontalières – tous ces dossiers cruciaux semblent relégués au second plan. L’alternance de 2024 avait suscité un immense espoir de changement dans la population, notamment chez les jeunes générations qui ont massivement voté pour Bassirou Faye. Un an plus tard, que constatent-ils ? Que leur président et son gouvernement passent plus de temps à régler des comptes qu’à tenir leurs promesses. La déception commence à poindre, y compris parmi certains partisans du nouveau régime, qui s’interrogent : où est le programme de réformes annoncé ? Où sont les mesures d’amélioration concrètes ? Le gouvernement répond par des audits, des arrestations, des effets de manches. Le vide de projet politique est flagrant. Or, ce vide, ce sont les citoyens ordinaires qui le subissent. Chaque jour perdu en querelles politiciennes est un jour où la vie d’un Sénégalais ne s’améliore pas, où peut-être elle se dégrade davantage avec l’inflation et l’absence d’orientations claires.
Ensuite, la dérive autoritaire qui se dessine menace directement les libertés publiques et l’État de droit dont le peuple a toujours été fier. Aujourd’hui, c’est Macky Sall et son entourage qui font les frais d’une justice instrumentalisée. Mais demain, qui ? Si l’on acclame aujourd’hui l’emprisonnement sans procès équitable d’un opposant, on prépare le terrain pour qu’un jour un pouvoir – peut-être celui-ci, peut-être un autre – s’en prenne à n’importe quel citoyen gênant. Accepter l’injustice parce qu’elle vise nos ennemis du moment, c’est ouvrir la porte à l’arbitraire pour tous. Les Sénégalais qui ont applaudi à l’arrestation de tel ancien baron du PDS en 2012 ou de tel proche de Macky en 2025 devraient y réfléchir à deux fois : la roue tourne, et les mêmes mécanismes qui brisent aujourd’hui ceux d’en face pourront s’abattre sur n’importe qui plus tard. Notre pays n’a jamais connu de dictature militaire ni de terreur d’État à grande échelle – c’est même sa fierté. Faut-il, au nom d’une soif de vengeance alimentée par quelques populistes, sacrifier cet acquis et banaliser les atteintes aux droits ? Non, mille fois non.
En outre, la stratégie du ressentiment et de la division affaiblit dangereusement l’unité nationale. Bassirou Faye et Ousmane Sonko ont prospéré politiquement en attisant la colère d’une partie du peuple contre une autre : jeunes contre vieux, pauvres contre “nantis”, “patriotes” autoproclamés contre “traîtres” supposés pro-occidentaux, sud contre nord parfois… Ce jeu est explosif. Déjà, on voit se déliter la cohésion sociale : la violence verbale est partout, sur les réseaux comme dans la rue. On s’insulte, on se menace pour des allégeances politiques. Des familles, des amitiés se brisent sur l’autel de cette polarisation. Est-ce cela, le Sénégal que nous voulons léguer aux générations futures ? Un pays où l’on ne débat plus, mais où l’on se hait ? Un pays où l’adversaire politique est un ennemi à abattre ? Certainement pas. Macky Sall, avec ses défauts, avait au moins cherché pendant son magistère à préserver la paix civile – quitte à parfois trop contrôler l’ordre public. Le nouveau pouvoir, lui, semble prêt à allumer des incendies partout pour satisfaire une base radicalisée. Qui sème le vent récolte la tempête, dit le proverbe. Si nous laissons faire, la tempête emportera d’abord les plus fragiles d’entre nous – ces mêmes citoyens ordinaires qui croyaient sincèrement qu’une alternance leur apporterait le progrès social et démocratique.
Enfin, l’image internationale du Sénégal est en jeu, avec des conséquences potentiellement lourdes pour tous. Notre pays était respecté, considéré comme un havre de stabilité. Les investisseurs venaient sans crainte, les partenaires nous soutenaient. Aujourd’hui, que voient-ils ? Un gouvernement plus occupé à régler ses comptes qu’à assurer la bonne gouvernance, une insécurité politique latente, des risques de règlement de comptes permanent à chaque alternance. Déjà, les agences de notation financière ont tiqué devant le chaos post-rapport de la Cour des comptes : Moody’s a dégradé la perspective du Sénégal après la publication des chiffres alarmistes, faute de clarté. Le FMI a retardé son programme d’aide de plusieurs mois, attendant d’y voir plus clair. Tout cela signifie moins d’investissements, moins d’emplois, moins de croissance – donc moins d’opportunités pour le Sénégalais lambda. En sabordant la réputation de leurs prédécesseurs, le régime Faye/Sonko saborde aussi, hélas, la confiance accordée à notre pays tout entier. Et nous en payerons le prix tôt ou tard.
Sénégalaises, Sénégalais, il est temps d’ouvrir les yeux. Ceux qui prétendent assainir et sauver le pays sont en train de l’entraîner dans une spirale de haine et de régression. Le populisme vengeur qui guide actuellement nos dirigeants n’apportera ni le pain, ni la paix, ni la prospérité. Il ne produira que de la division, de l’injustice et du retard. Notre nation vaut mieux que cela. On peut vouloir rendre des comptes sans tomber dans l’obsession destructrice. On peut aspirer à l’alternance sans pour autant cautionner la chasse à l’homme. C’est au peuple souverain de rappeler ces vérités à ses gouvernants. Le vote de 2024 était un vote d’espoir, pas un chèque en blanc pour instaurer la terreur et le mensonge d’État.
Il ne s’agit pas ici de sanctifier Macky Sall ni de nier qu’il a pu commettre des erreurs – l’Histoire jugera sereinement son bilan, fait de lumières et d’ombres. Il s’agit de défendre des principes : la justice équitable, la vérité des faits, l’intérêt général. Aujourd’hui, ces principes sont piétinés au nom d’une vendetta. Et si nous restons silencieux, c’est notre démocratie naissante qui périra, victime collatérale d’une soif de revanche. Chaque Sénégalais épris de justice et de paix doit s’en inquiéter. Ne laissons pas la peur ou l’aveuglement partisan guider notre jugement. Demandons des comptes, oui, mais dans le respect de la loi et de la dignité humaine. Refusons d’applaudir aux lynchages médiatiques et aux procès politiques. Car ce sont nos valeurs profondes – jomm, ngor, fayda (dignité, honnêteté, mesure) – qui sont bafouées dans cette affaire.
En conclusion, l’alerte est lancée. Le régime Faye/Sonko, en voulant détruire un homme, risque de briser l’élan d’un peuple. Il appartient désormais aux élites morales, religieuses, intellectuelles, à la société civile et à chaque citoyen conscient, de se lever pour dire : trop, c’est trop. Le Sénégal que nous aimons ne doit pas basculer dans la vengeance et l’arbitraire. Il en va de l’âme même de notre nation. Aujourd’hui, Macky Sall est la cible d’une injustice criante ; demain, ce pourrait être n’importe lequel d’entre nous. Ne l’acceptons pas. Restaurons la raison, la justice impartiale et l’unité – avant qu’il ne soit trop tard. C’est un devoir moral et patriotique. Le Sénégal vaut mieux que la haine. À bon entendeur, salut.