Dans « Un Président ne devrait pas dire ça… » Gérard Davet et Fabrice L’Homme révèlent les dérives d’un pouvoir qui, sous couvert de franchise, bafoue les principes élémentaires de la fonction présidentielle. À la lumière de cette grille de lecture, les récentes déclarations du président Bassirou Diomaye Faye lors de son interview interpellent, inquiètent, et surtout, soulèvent une question fondamentale : un chef de l’État doit-il s’affranchir à ce point des devoirs de réserve, de preuve et d’impartialité ?
Diomaye Faye affirme que Macky Sall « fait des choses en dessous » contre son régime. Une accusation grave, jetée en pâture à l’opinion publique… sans la moindre preuve. Un Président n’est pas un citoyen lambda : ses mots ont le poids de l’institution qu’il incarne. S’il accuse, il doit démontrer. Sinon, il installe un climat de défiance systémique, où chaque ancien pouvoir devient, par définition, un « ennemi ». C’est le règne de la suspicion érigée en méthode de gouvernance – une spécialité des régimes autoritaires dénoncée dans l’ouvrage de Davet et L’Homme.
La déclaration selon laquelle « le peuple a le droit de mettre la pression sur la justice » est proprement explosive. La justice ne se rend pas sous la pression de la rue, mais selon le droit. En tant que président du Conseil supérieur de la magistrature, Diomaye Faye a le devoir de protéger l’indépendance des juges, pas de l’exposer aux caprices populistes. Cette phrase rappelle les pires heures des régimes où la justice était un instrument politique, non un contre-pouvoir.
Affirmer que tous les travailleurs licenciés étaient en CDD est factuellement faux – des CDI ont été rompus – et moralement inacceptable. Un Président doit connaître la réalité sociale de son pays. S’il l’ignore, c’est grave. S’il la falsifie, c’est pire. En sous-entendant que les CDD sont des emplois « moins légitimes », il méprise des milliers de Sénégalais précaires, leur signifiant qu’ils ne méritent pas sa protection. Une trahison des promesses de justice sociale.
Qualifier le dossier de viol présumé contre Ousmane Sonko de « coup monté » avant même le verdict de la justice est une faute majeure. Un chef de l’État est le Président de *tous* les Sénégalais, y compris d’Adji Sarr. En prenant parti, il nie son droit à un procès équitable et envoie un message terrifiant : la parole présidentielle prime sur la justice. C’est l’équivalent sénégalais des dérives décrites par Davet et L’Homme : quand l’exécutif piétine la séparation des pouvoirs.
Un Président incarne la nation. Ses paroles doivent être mesurées, étayées, et surtout, respectueuses des institutions. En s’affranchissant de ces règles, Diomaye Faye ne fait pas preuve de « franchise » : il sape les fondements de l’État de droit. Comme le rappellent Davet et L’Homme, les démocraties ne meurent pas toujours par des coups d’État… mais souvent par les mots de ceux qui les trahissent.