Dakar, mai 2025. Il fut un temps où le Sénégal brillait sur la scène internationale, fort de son prestige diplomatique et de l’excellence de ses représentants. Mais ce temps semble bien révolu. La débâcle d’Amadou Hott à l’élection de la présidence de la Banque africaine de développement (BAD) en est l’illustration cinglante. Avec 3,55 % des voix au dernier tour du scrutin, le candidat sénégalais a essuyé l’une des défaites les plus humiliantes de l’histoire de l’institution. Autrefois considéré comme un technocrate respecté et compétent, M. Hott a vu sa candidature réduite en cendres par l’isolement de son pays sur l’échiquier continental. Que s’est-il passé pour qu’un candidat techniquement solide finisse bon dernier, écrasé par le Mauritanien Sidi Ould Tah (76,18 %) et même distancé par le Zambien Samuel Maimbo (20,26 %) ? La réponse tient en deux noms : Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye. Le Premier ministre “Patriote en chef” et son président de façade offrent un cas d’école de stratégie politique suicidaire, dont les conséquences se mesurent en pourcentage de voix… et en zéros manquants dans les caisses de l’État.

 

Un camouflet retentissant sur la scène africaine

La gifle est magistrale. Cinq candidats étaient en lice pour diriger la BAD, l’une des institutions financières les plus prestigieuses du continent. Il n’aura fallu que trois tours de vote pour les départager. Sidi Ould Tah, ancien ministre mauritanien et patron de la Banque arabe de développement (BADEA), l’a emporté triomphalement avec plus de 76 % des suffrages, devenant le 9^e^ président de la BAD. En face, Amadou Hott a péniblement recueilli 3,55 %, autant dire rien, sinon peut-être la voix du Sénégal et d’un ou deux amis égarés. Même la candidate sud-africaine Swazi Tshabalala (5,9 %) et le Tchadien Mahamat Abbas Tolli (0,88 %) – éliminés dès les premiers tours – auront réussi à ne pas finir derniers. Pour un pays jadis moteur de la coopération africaine, la claque est cuisante.

Comment expliquer un tel camouflet ? D’abord par l’isolement diplomatique dans lequel le Sénégal version Sonko-Faye s’est lui-même enfermé. Alors que la tradition voulait que les pays ouest-africains fassent bloc derrière un candidat de la sous-région, Dakar s’est retrouvé sans alliés. Ainsi, le Bénin a annoncé publiquement soutenir Sidi Ould Tah, allant jusqu’à « mobiliser l’appui de [ses] partenaires » en faveur du Mauritanien. Quelques jours plus tôt, c’est la Côte d’Ivoire – poids lourd de l’UEMOA – qui avait choisi son camp, et ce n’était pas celui du Sénégal. Voir deux voisins de premier plan adouber un autre candidat a porté un coup fatal à Amadou Hott, dont la campagne, déjà en difficulté, a été achevée par ce lâchage en rase campagne. Même l’étiquette “ancien VP de la BAD” dont se prévalait M. Hott n’a pesé d’aucun poids face à la machine diplomatique mauritanienne, habilement soutenue par le président Ghazouani et les réseaux de l’Arabie saoudite.

Pour tout dire, le Sénégal de 2025 fait peur ou fait rire, c’est selon, mais il ne fait plus rêver personne. Au moment du vote, la messe était dite : aucun pays sérieux n’allait s’aventurer à confier les clés de la BAD à un représentant d’un État devenu synonyme de chaos budgétaire et d’amateurisme politique. La déconvenue d’Hott est l’épilogue d’une dégringolade entamée dès l’arrivée au pouvoir de la nouvelle équipe à Dakar. Ousmane Sonko, promu Premier ministre d’un président Faye largement effacé, a réussi en un temps record à saborder la crédibilité internationale patiemment construite par le Sénégal en décennies. Le score famélique de 3,55 % à la BAD est l’indicateur symbolique d’une influence tombée quasiment à zéro – un peu comme la confiance des marchés dans la signature sénégalaise. De fait, cette humiliation n’est pas un accident isolé, mais le symptôme spectaculaire d’un mal bien plus profond.

 

Transparence ou imprudence ? Sonko tire sur l’ambulance

Revenons quelques mois en arrière. En septembre 2024, fraîchement installé aux commandes, Ousmane Sonko décide d’ouvrir la boîte de Pandore des finances publiques. Animé par une volonté rageuse de discréditer l’ancien régime de Macky Sall, le nouveau Premier ministre organise un grand déballage médiatique. Lors d’une conférence de presse le 26 septembre, flanqué de quelques ministres, Sonko accuse ses prédécesseurs d’avoir truqué les comptes de l’État. « Les autorités que nous avons remplacées ont menti au pays et aux partenaires en fournissant des données erronées », lance-t-il, révélant que la dette publique et le déficit budgétaire réels étaient bien plus élevés qu’annoncé sous Macky Sall. Selon lui, de 2019 à 2023, l’ex-président et ses ministres des Finances (Amadou Ba, Moustapha Ba, Abdoulaye D. Diallo) auraient falsifié les chiffres, faisant publier des statistiques farfelues pour camoufler l’ampleur du gouffre financier.

Il fallait oser. Sur le plan interne, l’effet politique escompté était clair : charger l’ancien pouvoir de tous les maux, passer pour le chevalier blanc de la transparence et préparer l’opinion à des lendemains qui déchantent. Mais sur le plan international, cette mise en scène a eu l’effet d’une bombe… au sens d’une explosion contrôlée par personne, qui a soufflé en premier lieu le peu de crédibilité financière dont disposait encore le pays. En dévoilant brutalement ce qui s’apparente à un scandale de fausses comptabilités publiques, Sonko a peut-être gagné quelques points de popularité auprès de ses partisans domestiques – et encore – mais il a surtout déclenché une réaction en chaîne redoutable sur les marchés et auprès des partenaires.

Dès le début octobre 2024, les conséquences n’ont pas tardé. L’agence Moody’s, alertée par ces révélations soudaines, a précipitamment revu sa copie sur le Sénégal. Moins de deux semaines après la conférence de presse de Sonko, le ministère des Finances annonçait que Moody’s avait dégradé la note souveraine du pays, la faisant chuter de Ba3 à B1 et plaçant la dette sous surveillance négative. L’agence justifiait cette sanction par la révision à la hausse du déficit budgétaire et de la dette pour la période 2019-2023, fraîchement exposée au grand jour. En clair, les experts découvraient effarés que les indicateurs précédemment « au vert » étaient en réalité dans le rouge vif.

Macky Sall lui-même, depuis sa retraite anticipée, a dû sentir ses oreilles siffler. « Je suis au regret de constater la baisse de la note du Sénégal par Moody’s, à la suite de l’intervention du Premier ministre évoquant un scandale de l’ancien régime », a déclaré l’ex-président, dénonçant une attaque politique « ridicule » et des propos « totalement faux » de son successeur. Qu’importe : le mal était fait. En voulant jouer la carte de la transparence vengeresse, Sonko a offert sur un plateau aux agences de notation la preuve que les chiffres du Sénégal ne valaient pas tripette. Avait-il anticipé qu’en accusant ses prédécesseurs de tricherie, il ruinerait du même coup la confiance des investisseurs ? À voir l’impréparation et l’amateurisme dont a fait preuve son gouvernement dans la foulée, on peut en douter. Tel un mauvais magicien qui se prend les pieds dans son propre tour, Ousmane Sonko a transformé ce qui aurait pu être une opération vérité maîtrisée en un véritable suicide financier à ciel ouvert.

 

Note financière en lambeaux et confiance brisée

Le verdict des agences de notation est tombé comme un couperet. Après sa mise sous surveillance négative en octobre, Moody’s a de nouveau sévi en février 2025, abaissant la note du Sénégal de B1 à B3 – soit deux crans d’un coup, du déjà spéculatif au hautement risqué. La perspective attachée est négative, preuve que le pire est encore à craindre. Ce déclassement historique, « le plus mauvais en deux décennies » selon des analystes, fait entrer Dakar dans le cercle peu envié des émetteurs quasi-dégradués. Les justifications de Moody’s donnent froid dans le dos : la Cour des comptes sénégalaise, mobilisée par le nouveau pouvoir, a confirmé que la dette publique atteignait 99,7 % du PIB fin 2023, soit 25 points de pourcentage de plus que ce qui figurait dans les rapports officiels précédents. Et ce n’est pas tout : les projections pour 2024 pointent vers une dette dépassant 107 % du PIB, un record absolu pour le pays. Autrement dit, le Sénégal vit à crédit au-delà du soutenable, et ce mensonge d’État a explosé en plein vol.

Moody’s ne mâche pas ses mots : son analyste évoque des « faiblesses significatives dans la gestion budgétaire et la transparence sous l’administration précédente ». De larges dépenses hors budget ont été mises en lumière, ainsi que des avances du Trésor non régularisées – en somme, des trous noirs dans les comptes publics. Les garanties de dette accumulées par l’État explosent elles aussi les plafonds : elles représenteraient 11 % du PIB, soit quatre fois le montant déclaré jusqu’alors. Ce tableau calamiteux a de quoi glacer les bailleurs de fonds internationaux : difficile de prêter à un État dont on découvre qu’il dissimulait l’équivalent d’une année de richesse nationale en dette cachée.

Dans la foulée de Moody’s, l’autre grande agence, Standard & Poor’s, a enfoncé le clou. Début mars 2025, S&P a abaissé la note de crédit du Sénégal de B+ à B, en assortissant là aussi le tout d’une perspective négative. Comme un malheur n’arrive jamais seul, Fitch pourrait être tentée de suivre ce mouvement général de défiance (si tant est qu’il reste encore quelque chose à dégrader…). Résultat : la signature du Sénégal ne vaut plus grand-chose, et chaque nouvelle notation qui tombe sonne comme une alarme retentissante pour les investisseurs.

Sur les marchés financiers, le désaveu a été immédiat et concret. Les obligations souveraines sénégalaises – naguère prisées pour la stabilité du pays – ont dégringolé. À l’annonce des véritables chiffres de la dette, le prix du eurobond 2033 a chuté de plus de 2 cents, tombant sous les 80 cents pour un dollar de valeur nominale. Une débâcle obligataire qui témoigne de la panique des créanciers : mieux vaut vendre avec une perte modérée aujourd’hui que risquer une défaillance demain. Le gouvernement Sonko-Faye, lui, a tenté de bomber le torse en affirmant que cette purge financière était le prélude à un « assainissement » et que, foi de patriotes, tout allait rentrer dans l’ordre. Personne n’y a cru.

Les bailleurs internationaux ont aussitôt pris leurs distances, du moins provisoirement. L’FMI, engagé dans un programme de 1,8 milliard de dollars avec le Sénégal, a suspendu ses décaissements en attendant d’y voir plus clair dans cette affaire de comptes truqués. Dakar a d’ailleurs renoncé à demander le décaissement prévu en juin 2024, comme pour éviter de tendre la sébile sous le regard suspicieux du Fonds. Autre signe de la perte de confiance : sur le marché financier régional de l’UEMOA, le Trésor sénégalais a subi l’humiliation de se voir refuser un emprunt pourtant modeste. Fin novembre 2024, l’État cherchait à lever 25 milliards FCFA (à peine 38 millions d’euros) en bons du Trésor sur 39 jours – une broutille en temps normal – et a dû constater qu’aucun investisseur n’a daigné soumissionner la moindre somme. Zéro franc CFA récolté : le désert complet. « Personne n’a voulu de l’émission de la seconde économie de l’UEMOA », relatait ironiquement un quotidien local. Quand on sait à quel point les banques de la sous-région sont d’ordinaire avides de titres sénégalais, le message est clair : plus personne n’a confiance.

 

De la grandeur à la marginalisation : le naufrage des nouvelles autorités

Ce fiasco multiforme porte un nom : celui de la gouvernance Sonko-Faye. Arrivés au pouvoir en 2024 sur fond de crise politique, le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko promettaient monts et merveilles, au cri de ralliement d’une « nouvelle ère » pour le Sénégal. Un an plus tard, le bilan qui se dessine est plutôt celui d’une nouvelle erre, au sens maritime du terme – celle d’un navire qui dérive, privé de gouvernail. En s’acharnant à détruire l’héritage de leurs prédécesseurs sans mesurer les dommages collatéraux, les nouvelles autorités sénégalaises ont réussi l’exploit de saborder le rang diplomatique de leur pays. Jadis interlocuteur respecté et recherché, Dakar est désormais regardé avec consternation, voire condescendance, par ses pairs africains comme par les partenaires étrangers.

Il faut dire que les faux pas se sont accumulés. Non contents d’avoir fait fuir les investisseurs et de s’être mis à dos les institutions financières, Sonko et consorts se sont illustrés par une diplomatie pour le moins hasardeuse. Le Sénégal, qui avait bâti sa réputation sur sa modération et son engagement panafricain, a donné ces derniers mois des signaux confus, parfois alignés sur les postures idéologiques de M. Sonko au mépris du bon sens diplomatique. Aux Nations unies comme au sein de la CEDEAO, la voix de Dakar porte beaucoup moins loin, surtout depuis que le duo exécutif actuel semble plus prompt à ferrailler contre les moulins à vent de la “Françafrique” qu’à construire des alliances constructives. L’isolement du Sénégal face au vote de la BAD en est la démonstration éclatante : lorsque même vos plus proches voisins vous lâchent, c’est le signe que vous avez fait fausse route sur toute la ligne.

L’ironie du sort, c’est que cette marginalisation survient alors même que le Sénégal était, il n’y a pas si longtemps, un leader naturel en Afrique de l’Ouest et au-delà. Sous Macky Sall, le pays présidait encore l’Union africaine en 2022 et jouait les médiateurs dans plusieurs crises régionales. Certes, tout n’était pas rose auparavant, mais comparé à la débâcle actuelle, l’ancien régime apparaît presque comme un âge d’or de respectabilité. La nouvelle équipe au pouvoir, en revanche, donne l’image d’un clan revanchard et inexpérimenté, plus habile à enflammer les réseaux sociaux qu’à négocier avec le FMI ou à rallier des voix à la BAD.

Au passage, notons que Bassirou Diomaye Faye, parachuté à la magistrature suprême (on se demande bien par quel concours de circonstances ce second couteau s’est retrouvé chef d’État, mais passons), est resté curieusement silencieuxtout au long de ces déconvenues. C’est Sonko qui ferraille, Sonko qui accuse, Sonko qui gouverne de facto, pendant que M. Faye préside en ombre chinoise. Une telle dyarchie bancale n’augure rien de bon : qui respecte un pays dont le président semble absent et le Premier ministre omniprésent au point de s’affranchir de toute prudence ? Dans les chancelleries, on observe ce duo d’un œil inquiet, sinon moqueur. Et dans les instances internationales, on évite désormais prudemment de s’aligner sur les positions sénégalaises, là où jadis on recherchait son aval.

 

Le contraste accablant avec un passé glorieux

Pour mesurer la dégringolade, il suffit de jeter un regard en arrière. Le Sénégal n’a pas toujours été ce paria financier et diplomatique qu’on constate en 2025. Bien au contraire : dès l’indépendance en 1960, ce petit pays ouest-africain a su se faire un nom respecté dans le concert des nations. Sous Léopold Sédar Senghor, Dakar était un modèle de stabilité et de dialogue, une voix africaine influente à l’ONU et à l’OUA, prônant le rapprochement Nord-Sud. Son successeur Abdou Diouf, homme de consensus et de stature internationale, a poursuivi cette tradition en faisant de la médiation et du multilatéralisme les piliers de la diplomatie sénégalaise. Il a consolidé l’image du Sénégal comme acteur de paix en Afrique, n’hésitant pas à envoyer des troupes ou des émissaires pour régler les conflits (Casamance mise à part…) et s’impliquant dans la résolution de crises du Rwanda à la Guinée-Bissau. Abdou Diouf a même porté haut les couleurs du pays en devenant, une fois sa présidence terminée, Secrétaire général de la Francophonie pendant plus d’une décennie, preuve de la confiance que la communauté internationale plaçait en la sagesse sénégalaise.

D’autres figures sénégalaises ont marqué de leur empreinte les grandes organisations internationales. Jacques Diouf, ancien ambassadeur, a dirigé avec brio l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) de 1994 à 2011, contribuant à la lutte contre la faim dans le monde. Sous sa gouvernance, il a incarné l’expertise africaine au plus haut niveau onusien. Dans le domaine financier, le Sénégal pouvait se targuer d’avoir donné un président à la BAD : Babacar Ndiaye a occupé ce poste de 1985 à 1995, jouant un rôle clé dans le rayonnement international de la banque. On lui attribue même d’avoir transformé la BAD en institution « triple A » sur les marchés – un rang de crédit qu’on est bien loin d’atteindre aujourd’hui, hélas. Sur le plan judiciaire, un éminent juriste comme Kéba Mbaye a siégé à la Cour internationale de Justice, apportant du prestige à la présence sénégalaise dans les instances globales. Et comment ne pas citer Cheikh Tidiane Gadio, longtemps chef de la diplomatie sénégalaise, respecté pour son rôle actif dans les médiations africaines et sollicité comme envoyé spécial de l’Organisation de la Coopération islamique ou de la Francophonie dans des dossiers complexes ? Ces noms – et la liste est loin d’être exhaustive – témoignent du leadership affirmé qu’a exercé le Sénégal pendant des décennies sur la scène africaine et mondiale.

Ce prestigieux passé rend d’autant plus accablant le contraste avec la situation actuelle. Le Sénégal, qui autrefois se posait en donneur de leçons de bonne gouvernance économique, se retrouve aujourd’hui montré du doigt pour ses comptes trafiqués et ses dérives populistes. Hier, Dakar était une capitale où venaient se tenir les sommets diplomatiques et où se négociaient des compromis de paix ; aujourd’hui, c’est une ville où les diplomates des bailleurs de fonds font la queue pour rappeler aux autorités les dures réalités des équilibres macroéconomiques. Hier, un Sénégalais présidait aux destinées de la BAD ou de la FAO, et l’on citait en exemple le « modèle sénégalais » de stabilité démocratique ; aujourd’hui, le candidat du Sénégal à la BAD termine bon dernier, et l’on parle du pays dans la presse économique pour son défaut de paiement qui menace et ses embrouilles budgétaires dignes d’une république bananière.

 

Le prix du populisme et de l’incompétence

En définitive, la déroute d’Amadou Hott à la BAD est moins la défaite d’un homme que celle d’une politique et d’une certaine arrogance. En voulant “faire la révolution” sans mesurer l’impact de ses actes, la nouvelle équipe dirigeante du Sénégal s’est tirée une balle dans le pied – voire dans les deux pieds. Ousmane Sonko, en pyromane populiste, a incendié la crédibilité financière du pays pour quelques gains politiques éphémères, oubliant qu’on ne peut cracher sur l’héritage de ses prédécesseurs sans éclabousser au passage l’honneur national. Bassirou Diomaye Faye, en président fantomatique, a laissé faire, cautionnant par son silence un naufrage dont il porte tout autant la responsabilité.

Le Sénégal paye aujourd’hui le prix fort de cette gouvernance hasardeuse. Son candidat à la BAD humilié, sa note de crédit au plus bas, sa parole mise en doute, le pays des « milles collines diplomatiques » (pardonnez ce sarcasme) se retrouve relégué au rang de spectateur impuissant là où il ambitionnait de jouer les premiers rôles. Les faits sont là, implacables : 3,55 % des voix pour M. Hott, près de 100 % du PIB en dette publique, 0 % de réussite à lever des fonds sur le marché régional. Une trinité de chiffres qui résume la glissade vertigineuse d’un État autrefois respecté.

L’heure est grave, et l’avenir incertain. Le sarcasme, certes assumé tout au long de cet article, ne doit pas faire oublier la tragédie qui se joue derrière cette farce politique. Car pendant que Sonko et consorts cherchent encore qui blâmer (Macky Sall, le complot international, la colonisation tardive ? cochez toutes les cases), c’est le peuple sénégalais qui trinque. Moins d’investissements, plus de dette, une croissance en berne, et une fierté nationale meurtrie : voilà le legs jusqu’ici des nouveaux “patriotes” au pouvoir. Eux qui se rêvaient en redresseurs de torts se retrouvent fossoyeurs de la crédibilité nationale.

Il fut un temps où le monde écoutait le Sénégal – aujourd’hui, il s’en détourne ou, pire, il en rit sous cape. L’épisode d’Amadou Hott à la BAD demeurera dans les annales comme le symbole d’une période où les erreurs stratégiques et l’incompétence crasse de dirigeants aveuglés par leur ego ont conduit un pays au bord du précipice. Souhaitons, pour le Sénégal et pour l’Afrique, que la raison finisse par l’emporter sur la démagogie, afin que ce grand pays retrouve la place qui fut la sienne. En attendant, Dakar devra méditer ce proverbe wolof imaginaire : « Qui trop tire sur la corde de la vérité finit pendu avec ». Une leçon que M. Sonko et son président ferait bien de méditer, s’ils veulent éviter que le sursaut national tant attendu ne se transforme en chant du cygne.