Pompiers-pyromanes, les occidentaux ont fait chuter le dictateur Mouammar Kadhafi et plonger son pays dans le chaos. Car, comme en Irak avec Saddam Hussein, ils n’ont pas assuré le service après vente. Terrible erreur car les 43 ans de règne de Kadhafi avaient imposé ordre et stabilité dans un pays où l’unité nationale n’a jamais été une véritable réalité. Les allégeances tribales cristallisées dans l’immense étendue désertique sont restées plus vivaces que jamais. Et la boîte de Pandore ouverte ou plutôt la chape de plomb kadhafiste explose, l’histoire séculaire a repris son cours.
Deux têtes pour un seul Etat
Aujourd’hui, près de 5 ans après la chute de Kadhafi, la Libye est sous le joug (si on peut dire) de deux gouvernements, l’un installé à Tobrouk, l’autre à Tripoli.
La coalition de Tobrouk est issue d’un Parlement dont l’élection a été validée par la communauté internationale. Elle est un regroupement improbable de nationalistes, d’anti-islamistes et d’ex-kadhafistes.
Quant au conseil général national basé à Tripoli, il rassemble les partisans de l’islam politique et des anti-kadhafistes militants.
Comment réconcilier ces deux camps que presque tout oppose ? C’est l’équation que les occidentaux cherchent à résoudre pour pouvoir obtenir par la suite un appel au secours de la part du nouveau gouvernement qui serait mis sur pied. Ce qui légitimerait une offensive contre Daech – l’Etat islamique – qui gagne dangereusement du terrain en Libye.
Daech à l’assaut du pétrole libyen
Au moment où ces lignes sont écrites la branche libyenne de Daech a depuis quatre jours lancé une offensive sur les terminaux pétroliers du pays. Les deux ports d’Al-Sudra et de Ras Lanouf à l’arrêt depuis 2014 et qui permettaient le chargement de 30 à 40 % du pétrole libyen sont en ce moment sous le feu des terroristes islamistes.
Cette offensive est combinée avec des attentats terroristes meurtriers qui ont déjà fait des dizaines de morts.
Le 17 décembre dernier, sous la pression occidentale, un accord politique a été signé à Skhirat au Maroc entre les deux gouvernements pour mettre en place un gouvernement d’union nationale qui scellerait la réconciliation entre Tobrouk et Tripoli. Cet accord devait mettre mis fin à une guerre entre les deux camps qui dure depuis l’été 2014.
Sur fond de division politique
Cependant l’accord signé n’est pas encore appliqué car les ultras des deux camps bloquent l’application.
Cette situation floue est une brèche inespérée pour les islamistes de Daech qui s’y sont engouffrés. L’objectif est de constituer un nouveau bastion en Libye car en Irak et en Syrie les territoires sous contrôle de l’Etat islamique se réduisent comme peau de chagrin suite aux frappes russes et occidentales d’une part, et aux offensives terrestres des Kurdes, des Irakiens et des Syriens d’autre part.
Un base de repli et base arrière pour un terrorisme européen
Le chaos libyen est du pain béni pour les terroristes islamistes qui ont déjà conquis quelques places fortes dans le pays. Pour les occidentaux le danger est très grand car si les terroristes s’installent durablement en Libye, il ne seront plus qu’à quelques kilomètres des côtes européennes – de l’Italie notamment.
Ils pourront ainsi intensifier les attentats sur le sol européen en infiltrant par exemple des vagues de migrants. Daech aura tout intérêt à favoriser ces dernières afin de remplir ses caisses et susciter la violence terroriste en Europe dans le même temps.
(En)jeu local, régional et international
Ceci explique l’urgence pour les occidentaux de trouver un moyen légal d’intervenir en Libye.
Il faut donc que Tobrouk et Tripoli se réconcilient, au moins le temps d’une offensive décisive contre Daech. Le problème est que des pro-islamistes sont aussi concernés dans l’affaire.
Face à cette situation complexe l’appui des pays arabes de la région est indispensable. Ce n’est pas un hasard si l’accord a été signé à Skhirat au Maroc.
Les pays membres de l’Union du Maghreb arabe(UMA) et aussi l’Egypte – qui n’est pas membre de l’UMA – ont le même intérêt politique et militaire de s’unir contre Daech. S’il existe d’autres contradictions entre eux, elles sont mineures à l’heure actuelle.
Aux occidentaux d’en tirer le meilleur parti et d’agir avec célérité.
Peut-on espérer qu’ils soient cette fois des pompiers jusqu’au bout et qu’une fois la menace jugulée ils assureront ce fameux service après vente ?
La Libye remise sur les rails de l’unité nationale et d’un modus vivendi politique – à défaut d’une démocratie véritable – n’a pas besoin d’aide financière. Elle a des ressources financières immenses. Encore faudrait-il les collecter et les remettre à la disposition du peuple libyen. Les occidentaux y ont-ils intérêt ? Rien n’est moins sûr.
M. H. Chercheuse en Géopolitique.