Le Président de la Cour Constitutionnelle, Kèlèfa Sall vient d’être débarqué par ses pairs via “une argutie juridique” qui ne convainc pas la plupart des juristes du pays.
Mohamed Lamine Bangoura est élu nouveau président, par les 8 autres conseillers qui composent la Cour, en l’absence, bien entendu, du président déchu et du greffier, mais en présence d’un huissier, certainement pour constater les dégâts.
Les 8 conseillers dont l’âge constitutionnel de certains d’entre eux serait mis en cause, accusent, à leur tour, le président de malversations et de nourrir des velléités de tripotages constitutionnels. Ce bras de fer au sommet de l’Institution judiciaire, interpelle directement la Cour suprême et le président de la République. Ce dernier devra valider ou non, ce que certains spécialistes n’ont pas manqué d’appeler : un coup de force constitutionnel, pouvant ternir l’image des institutions guinéennes.
La destitution de Kèlèfa Sall, de la tête de la Cour constitutionnelle qu’il présidait depuis 2015 et son remplacement courant cette semaine, par Mohamed Lamine Bangoura, constitue pour la plupart des juristes “un coup de force illégal, accompli via une argutie juridique anticonstitutionnelle“.
Le tout nouveau (président) Mohamed Lamine Bangoura, nous raconte, lui-même, la façon quelque peu cavalière, dont cet acte gravissime aura été froidement exécuté :
« …À l’occasion d’une plénière, tenue ce jeudi 26 septembre 2018, nous avons élaboré une lettre d’information à l’intention de tous les membres de la Cour Constitutionnelle, y compris M. Kèlèfa Sall. En réaction à cette lettre, M. Kèlèfa Sall a fait savoir qu’il ne pouvait prendre part à l’audience qui était prévue hier et qui devrait parler un peu des modalités d’organisation des élections et la détermination de la date à laquelle, les élections devaient se tenir. Cela a été constaté par un procès-verbal en son absence. Donc hier, on s’est réuni à partir de 14 heures et on a décidé de tenir les élections ce matin. Un huissier a été désigné à cet effet. L’élection a eu lieu ce matin à bulletin secret conformément à la loi et en présence des huit (8) conseillers. Et les huit ont tous voté de façon libre et transparente en présence d’un huissier. J’étais le seul candidat et par conséquent à l’unanimité, j’ai été élu président de la Cour constitutionnelle », a narré le (successeur) de Kèlèfa Sall.
Les raisons de ce débarquement insolite restent floues. Les conseillers parlent laconiquement de malversations, “sans en apporter les preuves”, selon le très respecté Mohamed Camara, Juriste, Chargé de Cours de Droit dans les Universités à Conakry, dans un long article, publié fin septembre 2018, par Média Guinée.
Selon le professeur Camara, ” Leur Communiqué du 17 septembre 2018 soulève une incohérence à vouloir d’une destitution et accepter le maintien de la qualité de membre de la personne à destituer pour malversations en s’accommodant d’une complaisance ou en cautionnant l’impunité au plan pénal “, fait-il observer.
Le professeur poursuit : ” Leurs agissements fragilisent temporairement, l’article 739 de la Loi L/2016/059/AN du 26 octobre 2016 portant Code pénal qui interdit et punit le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice “, constate le juriste.
Puis, il ajoute : “ Si les Conseillers sont convaincus des accusations qu’ils articulent contre le Président de la Cour Constitutionnelle, qu’ils se plient à la procédure prévue à cet effet par le biais de la Cour Suprême en prouvant devant la seule juridiction habilitée à retenir ou non un membre de la Cour Constitutionnelle, dans les liens de la culpabilité, sur le fondement de l’article 102, dernier alinéa de la Constitution “, analyse-t-il.
Pour le professeur Camara ” Avant la destitution ou la révocation, il y a la présomption d’innocence jusqu’à ce que les instances habilitées se prononcent sur la véracité ou non des motifs, et dans le respect de l’article 9 alinéa 3 et 4 de la Constitution en vertu du-quel toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’une procédure conforme à la loi “, fait remarquer Mohamed Camara. Il conclut ainsi son argumentaire : ” À la lumière de ce qui précède et en tout état de cause, leur action du 12 septembre 2018 est inopérante, viciée et irrégulière. Elle ne mérite même pas une requête de rabat d’Arrêt, au sens de l’article 40 de la Loi L/2017/003/AN sur la Cour Suprême. Il faut améliorer l’image du pays “.
Cette analyse semble refléter le point de vue de la plupart des juristes indépendants qui constatent que ” Les Conseillers à l’origine de la motion de retrait de confiance avec l’Arrêt N° 001 RI du 12 septembre 2018 ont manqué d’inspiration juridique dans la procédure et de courage institutionnel pour faire sanctionner les accusations relatives à la commission d’infractions pénales, pourvu qu’elles soient vraies…Pour infliger une sanction disciplinaire à un membre de la Cour Constitutionnelle, il faut la session conjointe du Bureau de la Cour Constitutionnelle et du Bureau de la Cour Suprême. Ce qui n’a pas été fait “, de l’avis unanime des juristes et autres observateurs qui se sont prononcés sur la question.
En vérité, Kéléfa Sall fait face à la fronde de ces collègues conseillers depuis trois ans. Selon le professeur de droit constitutionnel, Salifou Sylla : « La vraie raison, c’est les velléités qui se préparent à l’avenir parce que Kéléfa Sall avait dit quelque chose au moment de l’investiture du président Alpha Condé au début de son 2ème mandat. Depuis ce jour, il est dans le collimateur. On cherche à le liquider. Or, ce problème n’a aucun fondement juridique ».
Pour rappel, Kèlèfa Sall avait tenu le 14 décembre 2015, lors de l’investiture d’Alpha Condé pour son second et dernier mandat, un discours pour certains à l’origine de tous ses ennuis : « Monsieur le président de la République, gardez-vous de succomber à la mélodie des sirènes révisionnistes, car si le peuple de Guinée vous a donné et renouvelé sa confiance, il demeure cependant légitimement vigilant ».
Maintenant que les conseillers, jugés inféodés au professeur Alpha Condé ont osé destituer le président de la Cour constitutionnelle, le président de la République, va-t-il confirmer ou infirmer par décret, cette décision, jugée illégale ?
Des diplomates occidentaux accrédités à Conakry auraient approché le président Condé pour en avoir le cœur net sur la grave crise qui secoue l’une des plus hautes institutions du pays, mais ce dernier aurait affirmé, de manière ferme : “ Les conseillers ne m’ont pas mis au courant de leur action. Ici, nous respectons l’indépendance de la Justice ” !