Réjouissons-nous tous ! Le sort de l’Afrique intéresse le monde, et anime de nouveau les Occidentaux. La France notamment, passé le temps des entreprises coloniales et des rivalités postcoloniales, ne voyait plus – à plus ou moins long terme – dans le continent africain qu’une terre perdue pour le développement et… une réserve de matières premières.

Attristons-nous tous ! Ce regain d’intérêt attise de nouvelles convoitises et recycle des regards condescendants que l’on espérait pourtant rangés dans le vieux magasin des accessoires de l’ère coloniale.

Une lorgnette étriquée et condescendante sur l’Afrique

Ainsi revient-il au souvenir de quelques médias français, et c’est une bonne chose, qu’une partie du continent originel est francophone. Les voici donc lancés, à l’instar du Monde, à la conquête de nouveaux débouchés.
Mais visiblement plus fascinés par eux-mêmes que réellement intéressés par les sociétés africaines, ils observent le continent à travers une lorgnette étriquée et grossière. Les journalistes se font procureurs, ils s’érigent en civilisateurs du XXIe siècle, usant des mots comme d’armes destinées à afficher leur mépris. Ainsi un journal comme Le Monde, qui se prétend de référence, se complaît-il, à longueur de colonnes, à réduire le Gabon à « l’épicentre d’une Françafrique » dont on comprend à la lecture qu’elle n’est que le miroir d’un narcissisme parisien. Une manière de se voir encore comme le phare du monde, jusque dans la détestation.

Affaire

Maixent Accrombessi : le Gabon jugé au centre de la Françafrique

Arrêtons-nous sur l’un des derniers traitements des nouvelles du Gabon par Le Monde, celui consacré à un évènement mineur mais loin d’être divers, dont Maixent Accrombessi est le protagoniste.
Il s’agit ici du placement en garde à vue, aussi intentionnellement vexatoire que juridiquement injustifiable, dont le directeur de cabinet du président Ali Bongo a fait l’objet le lundi 3 aout dernier. Maixent Accrombessi arrivait au terme d’un déplacement à Paris dans le cadre d’une délégation où il représentait le chef de l’Etat du Gabon.

Imagine-t-on une seconde qu’un tel traitement soit infligé à un proche collaborateur de la chancelière allemande ? Ou, même, pour en rester aux pays du Sud, à un émissaire du président égyptien ou de l’émir du Qatar ?
A juste titre, à la différence de ce qui s’est produit le 3 août dernier, la presse française s’indignerait de la manière dont les autorités judiciaires françaises traitent des représentants d’autres Etats, sans respecter les formes les plus élémentaire de la diplomatie, s’arrogeant le droit de mépriser les règles de droit. La presse française s’inquiéterait en outre des retombées politiques car au-delà d’une personne, c’est un pays et un peuple qui sont méprisés. Mais nul besoin de poursuivre cette fiction car un tel événement ne se produirait pas.

Comme au temps des colonies…Déni de souveraineté

La France ou – conservons la nuance – une certaine partie de ses autorités ne réserve ce traitement qu’aux représentants et dignitaires d’une certaine catégorie d’Etats. Ces Etats furent jadis des colonies et ils subissent ce traitement dans l’indifférence presque complète de la presse et sans éveiller la moindre protestation de responsables politiques. Pour preuve, sur les deux seules dernières années, deux ministres africains ont eu droit à un traitement de présumé délinquant : le ministre des Affaires étrangères du Maroc et le ministre de la Communication de l’Algérie ont fait l’objet d’une fouille, intolérable au regard de leurs rangs et de leur statut diplomatique, à leur arrivée en France à l’aéroport de Roissy. Et quelques mois auparavant, sept policiers français ont violé le périmètre de l’ambassade du Maroc pour notifier au chef des services secrets présent à Paris une convocation provenant d’un juge d’instruction, provoquant la décision de Mohammed VI de suspendre, pendant plusieurs mois, toute coopération judiciaire avec la France.
Qu’une partie des autorités judiciaires ou policières françaises s’affranchisse sans vergogne du respect des usages diplomatiques vis-à-vis de représentants des Etats qui ont pour point commun de s’être émancipés de sa tutelle est un déni de souveraineté qui trahit la persistance d’un sentiment de supériorité coloniale. Aussi, est-ce par sa protestation officielle et publique lors de son dernier déplacement à Paris, le 14 septembre 2015, dénonçant une volonté d’humilier le Gabon à travers la mise en garde à vue cavalière et illégale de son directeur de cabinet, que le Président Ali Bongo a voulu alerter l’ensemble des citoyens français de ce qui se fait en son nom.

Silence sur les vrais enjeux des relations franco-gabonaises

L’indifférence de la presse ou le manque de considération pourrait n’être que simple négligence. Toutefois, l’article publié dans Le Monde du 15 septembre sous le titre L’encombrant bras droit d’Ali Bongo témoigne de l’abaissement inquiétant de l’exigence journalistique pour un pays qui compte et qui prétend encore compter dans le nouveau monde global et atteste de la métamorphose d’une mentalité colonialiste.
Disons-le pour commencer : il est tristement révélateur et symptomatique que le seul article que Le Monde ait jugé utile de consacrer à la visite du Chef de l’Etat du Gabon concernât la personne de son directeur de cabinet, comme si, s’agissant du Gabon et de ses relations avec la France, rien n’était vraiment digne d’intérêt. Du Gabon, les lecteurs de ce quotidien de référence ignoreraient tout ou presque, tant sont considérés avec dédain ses liens profonds avec la France, par-delà les marques du colonialisme, et notamment avec cette France qui a résisté au nazisme. Bref, les lecteurs du Monde n’apprendront rien des défis partagés et des enjeux communs qui aujourd’hui lient, pour le meilleur, les deux pays, lesquels ne sont pas seulement d’ordre économique, mais stratégique et, devrions-nous dire aussi, fraternel, spirituel et moral, comme l’a symbolisé la présence d’Ali Bongo à la marche républicaine du 11 janvier 2015 ou comme l’attestent les convergences de vue et d’ambition dans le cadre primordial des négociations internationales sur le Climat et de la préparation de la COP21 que la France accueille en décembre.
Mais de tout cela, bien sûr, il n’est nullement question dans l’article du Monde, ni même à côté.

Explication de texte : de l’imagerie coloniale du XIXe…au XXIe siècle !

En revanche, au gré des approximations qui émaillent sciemment l’article consacré à « l’encombrant » collaborateur que serait donc Maixent Accrombessi pour le chef de l’Etat gabonais, ce qui est suggéré implicitement est que le Gabon n’est pas un véritable Etat, qu’il n’y a ni constitution, ni institution, ni presse, mais qu’y prévaudrait une forme de pouvoir archaïque, clanique et occulte qui ne se rencontre guère qu’en Afrique, associant, comme le martelait l’imaginaire colonial du XIXe siècle, des bandits et des sauvages.
Car imagine-t-on, pour un autre pays, description plus obscure de la fonction de directeur de cabinet d’un président de la République, par des formules à dessein troublantes et suggestives. Il y a « l’homme auquel on prête tous les pouvoirs ». Qui est ce « on » ? Et quels sont donc ces pouvoirs ? Il y a encore « Intermédiaire économique » : comment ne pas entendre sous ce mot d’intermédiaire toute une part de soupçon ? « Grand ordonnateur de l’agenda présidentiel » : admettons mais emploierait-on une expression aussi grossièrement emphatique concernant le directeur de cabinet du président de la République française ? « Homme d’influence auprès des services » : voilà une phrase qui ne veut rien dire, sinon qu’elle créé un effet de mystère dont le sens est éclairé par le qualificatif de « maître vaudou » associé la « franc-maçonnerie », dressant les contours d’un pouvoir exercé par des moyens occultes, renouvelant des clichés issus de l’imagerie coloniale.

Après le folklore pseudo-africain vient le mépris. Car comment un journaliste du Monde pourrait croire que la réussite dans les affaires d’un Africain puisse être autre chose qu’usurpation et vol ? Imaginez : un Noir qui aime fréquenter les « grands restaurants » du 8ème arrondissement. C’est ainsi que commence l’article. Un tel raffinement ne saurait être que mimétique et suspect.
Puis vient le portrait de Maixent Accrombessi, « l’homme d’affaires ambitieux », avec en filigrane le soupçon d’enrichissement illicite, car, à la différence d’un émir ou d’un oligarque russe, il n’est évidemment pas acceptable qu’un Noir venu d’Afrique puisse détenir des biens immobiliers en France. Le portrait se nourrit même de cette xénophobie endémique qui, trop souvent hélas, divise les Africains entre eux et dont jouent les puissances extérieures.

Clichés… Approximations journalistiques… Mépris

Toutefois un honorable journal comme Le Monde ne pouvant se permettre de donner crédit aux calomnies et aux préjugés visant un conseiller du président du Gabon, citoyen gabonais natif du Bénin, il suffit de citer sans ciller cette épouvantable expression de « légion étrangère » pour désigner des serviteurs loyaux de l’Etat gabonais et de vrais patriotes africains, dont use et abuse de manière délétère et malsaine un ancien ministre, aujourd’hui âgé de 72 ans, qui a fait l’essentiel de sa carrière aux côtés d’Omar Bongo mais qui refuse de laisser émerger une génération nouvelle et se rêve encore comme l’avenir du pays.
Pis encore, Le Monde écrit à propos du décès en mai dernier d’André Mba Obame, qui était le principal dirigeant de l’opposition et qui fut, lui aussi, rappelons-le, ministre d’Omar Bongo : « selon la vox populi, AMO aurait été empoisonné par des féticheurs béninois ». Objectivement, en dehors des contrées exotiques et arriérées d’Afrique, tout journaliste digne de ce nom s’efforcerait de dire ce qui se cache derrière cette « vox populi », de la caractériser, d’examiner la réalité des tensions ethniques, et qui a intérêt à les exploiter. Ici la « vox populi » renvoie à une masse informe, obscure, qui corrobore la représentation d’un Gabon sauvage.

Regard orienté, aveugle à la mort de la Françafrique

Il est regrettable qu’un journal comme Le Monde traite des affaires d’une partie du monde en dressant un tableau aussi superficiel des réalités et des enjeux, empreint d’un langage codé implicitement raciste. Il est regrettable qu’un journal comme Le Monde se complaise dans les fantasmes de la « Françafrique » – expression qui, faut-il le rappeler, fut forgée par Felix Houphouët-Boigny pour désigner tout le contraire de ce qu’on y a mis ensuite, et pour exalter un idéal de la coopération dans le respect mutuel.
Au passage, Le Monde préfère occulter le poids excessif de quelques grandes entreprises françaises face auxquelles le Gabon d’Ali Bongo s’efforce de rééquilibrer la balance des relations en inscrivant l’indépendance de son pays dans un monde global, en s’appuyant sur de nouveaux partenariats avec les Etats-Unis, la Chine, l’Espagne, mais aussi le Maroc et l’Inde, dans le cadre d’une coopération Sud-Sud, en s’efforçant de sortir de l’économie de la dépendance excessive vis-à-vis du cours des matières premières et du pétrole, et en plaçant au cœur de sa stratégie économique la lutte contre les disparités sociales et l’avenir de la jeunesse, dans un pays où quatre habitants sur dix a moins de 14 ans.

Sous la prétention d’informer, le désir sourd de dominer

Bref, il est regrettable pour Le Monde, il est dommageable pour la France, que sous l’apparente sollicitude se cache la reproduction des clichés sur les sociétés noires. Sous l’apparente considération, la persistance de la condescendance coloniale. Sous la proclamation morale, l’affirmation de la supériorité européenne. Sous l’invocation du droit, le prétexte de l’ingérence. Et sous la prétention d’informer, le désir sourd de dominer.
Non, l’Afrique n’est pas, elle ne sera plus jamais, chers amis du Monde, ce « bloc de sable et de cendre » que voyait Victor Hugo, livré à la perpétuation de l’esprit de domination coloniale.

 

B. M.

 

Crédit image : copyright Le Monde (logo).