Sur la base militaire de Port-Bouët, près d’Abidjan, l’armée ivoirienne prend progressivement ses marques. Tandis que les soldats français finalisent leur retrait, leurs homologues ivoiriens s’entraînent au tir couché sous leur regard attentif. À quelques jours de la rétrocession officielle du site, prévue le 20 février, les deux armées affichent une coopération fluide et concertée.
Les signes du changement sont visibles : les miradors arborent désormais les couleurs ivoiriennes, tandis que les drapeaux français et ivoirien flottent encore côte à côte sur la place d’armes. À l’issue de la cérémonie officielle, en présence des ministres de la Défense des deux pays, le 43e bataillon d’infanterie de marine (43e BIMa) deviendra le camp Thomas d’Aquin Ouattara, en hommage au premier chef d’état-major de l’armée ivoirienne.
Contrairement aux retraits précipités observés récemment au Mali, au Burkina Faso, au Niger et au Tchad, ce départ s’inscrit dans un processus préparé de longue date. Depuis plusieurs semaines, une centaine de parachutistes ivoiriens ont déjà investi les lieux, témoignant d’une continuité assumée. « Nous effectuons quotidiennement des entraînements au combat et des exercices de cohésion avec nos partenaires français. La transition se déroule dans d’excellentes conditions », explique le capitaine Ange Yoboué Kouamé.
L’adjudant-chef français Frédéric, qui supervise les premières séances de tir de ses homologues ivoiriens, précise : « Notre rôle est d’accompagner et de conseiller. Progressivement, ils gagneront en autonomie. » Ce transfert de savoir-faire illustre la volonté française de redéfinir sa présence militaire en Afrique, dans un cadre plus collaboratif.
La Côte d’Ivoire demeure un partenaire clé de la France en Afrique de l’Ouest. Jusqu’à mille soldats français étaient stationnés au 43e BIMa, principalement engagés dans la lutte contre les groupes jihadistes du Sahel et du golfe de Guinée. « Depuis 18 mois, nous avons mené ce processus sans heurts, avec une approche concertée », assure un colonel français, tandis qu’un officier ivoirien loue cette « transition apaisée et mutuellement bénéfique ».
Pour le colonel Damien Mireval, attaché de défense français à Abidjan, cette rétrocession est « une séquence hautement symbolique, reflet d’une relation mature entre deux nations. Il ne s’agit pas d’une rupture, mais d’une évolution naturelle, voulue par nos présidents ». Les liens entre les deux armées remontent à 1961, peu après l’indépendance, avec la signature d’un accord de défense structurant cette coopération.
Depuis son installation en 1978, la base de Port-Bouët a joué un rôle stratégique, notamment lors des crises politiques et militaires qu’a traversées le pays. En 2002, la force Licorne y avait pris position pour stabiliser la situation après la tentative de coup d’État contre le président Laurent Gbagbo. En 2011, elle avait appuyé l’ONU dans les frappes ayant conduit à l’arrestation du président sortant. La mission Licorne s’est officiellement achevée en 2015.
Le retrait progressif des troupes françaises s’étalera sur l’année 2025, bien qu’une centaine de soldats demeureront sur place pour des missions de formation et d’accompagnement. Cette transition offre également à la Côte d’Ivoire l’opportunité de renforcer ses capacités militaires. Déjà, début janvier, une académie militaire des systèmes d’information et de communication (Amsic) a ouvert ses portes sur la base, accueillant une douzaine de lieutenants venus de plusieurs pays d’Afrique francophone pour se former auprès d’instructeurs français.
Avec cette rétrocession, Abidjan renforce son autonomie militaire tout en préservant un partenariat stratégique avec Paris. Une évolution qui reflète la volonté des deux nations de construire une relation de défense adaptée aux défis contemporains.