En novembre 2004 au Togo, la France a refusé d’arrêter des suspects du bombardement fatal à neuf de ses soldats en Côte d’Ivoire. Seize ans après, au procès de l’affaire, le mystère reste entier pour nombre de témoins. 

Rappel des faits : Le Togo avait arrêté le 16 novembre 2004 au matin, huit Biélorusses soupçonnés de faire partie des mercenaires qui ont bombardé dix jours plus tôt le camp français de Bouaké en Côte d’Ivoire, tuant neuf soldats français et blessant une quarantaine d’autres. Ils avaient été arrêtés à la frontière avec le Ghana, dans un minibus en provenance de Côte d’Ivoire. Et le Togo les avaient mis à la disposition de la France.

Une aubaine : Paris, qui accuse le pouvoir ivoirien, a réclamé toute la lumière sur cette attaque, la plus meurtrière contre ses soldats en opération depuis plus de vingt ans. Parmi les huit figure Yuri Sushkin, l’un des trois accusés du procès entamé lundi dernier, jugé en son absence, car introuvable.

A la barre, Claude Taxis, Attaché de police à l’époque, à l’ambassade de France à Lomé, raconte comment il a, de retour au bureau à l’ambassade, envoyé « en urgence » les copies de passeports, les photos des Biélorusses et la proposition togolaise. Il en informe aussi ses collègues de l’ambassade qui font eux aussi remonter l’information à leur hiérarchie du ministère de la Défense et de la DGSE (renseignements).

Incompréhensible cafouillage

La suite est un incompréhensible cafouillage, le plus embarrassant de cette affaire aux multiples zones d’ombres pour le gouvernement français de l’époque, selon l’AFP. Accusé par des familles de victimes d’avoir caché des choses, il traîne cet épisode comme un boulet.

Car quatre heures plus tard, Claude Taxis n’a aucune réponse de Paris. Il passe alors un coup de téléphone. Et là, surprise, on lui dit « de ne rien faire ». Idem pour ses collègues attachésmilitaire et de la DGSE, qui ont « reçu instruction de ne rien faire », oralement, donc sans trace écrite, comme lui.

La France ne répondra pas au Togo, qui relâchera les huit Biélorusses deux semaines plus tard. On n’en entendra plus jamais parler. Seize ans plus tard, devant un box des accusés vide, la Cour d’assises de Paris a tenté en vain d’éclairer un peu ce mystère.

A la barre, Claude Taxis et ses anciens collègues à l’ambassade de Lomé ont confirmé que les informations et la proposition togolaises avaient bien été envoyées aux ministère des Affaires étrangères, de la Défense et de l’Intérieur.

Dommage pour l’enquête, car au même moment à l’époque en Côte d’Ivoire, les forces françaises ont déjà identifié les pilotes suspects, dont Yury Sushkin, indiquera plus tard aux enquêteurs le général André Ranson, à l’époque chef de la DRM.

Selon plusieurs télégrammes, ces informations ont également été transmises aux Cabinets des trois ministres : Michèle Alliot-Marie (Défense), Michel Barnier (Affaires étrangères) et Dominique de Villepin (Intérieur). Comment ont-ils pu tous,passer à côté d’une telle occasion d’en savoir plus sur le pourquoi du bombardement?

« Paris a-t-elle privilégié ses intérêts diplomatiques à la vérité sur la mort de ses soldats? » s’est demandé l’un des avocats des parties civiles, Lionel Béthune de Moro, en suggérant que la France a peut-être cherché à apaiser ses relations avec le président Laurent Gbagbo pour sortir de la crise franco-ivoirienne de début novembre.

En fin d’après-midi, l’ambassadeur de France au Togo à l’époque, Alain Holleville, peine à répondre à l’avocat général Jean-Christophe Muller qui lui demande pourquoi il n’a pas, face au silence de Paris, insisté pour savoir ce qu’il devait faire de la proposition togolaise. « Ceux qui avaient posé la question alors, avaient déjà reçu une réponse », élude-t-il.