Le fardeau de la dette pèse lourdement sur l’Afrique. Depuis plusieurs années, de nombreux pays du continent peinent à faire face à des obligations financières qui entravent leur développement. Face à cette crise, une initiative d’envergure a vu le jour : la Déclaration du Cap, portée par l’Initiative des Leaders Africains pour l’Allégement de la Dette (ALDRI). Cet appel réunit des chefs d’État et d’anciens dirigeants africains décidés à influer sur les grandes institutions financières internationales pour repenser la gestion de la dette africaine. Parmi eux, Macky Sall, ancien président du Sénégal, s’est imposé comme l’une des figures les plus influentes du plaidoyer en faveur d’une restructuration en profondeur.

Depuis des décennies, la dette constitue un frein majeur au développement du continent. En 2025, le ratio moyen dette/PIB dépasse les 64 %, atteignant des niveaux critiques dans plusieurs pays. Certains, comme le Ghana ou la Zambie, consacrent jusqu’à 70 % de leurs recettes publiques au remboursement de leur dette, réduisant drastiquement les budgets alloués à l’éducation, la santé ou encore aux infrastructures. D’autres, comme l’Éthiopie et la Tunisie, sont au bord de la faillite, piégés dans des cycles d’endettement qui compromettent leur stabilité économique et politique. Cette situation alarmante est d’autant plus préoccupante que les économies africaines, en pleine transition, ont un besoin urgent d’investissements pour moderniser leurs structures et tirer parti des ressources dont elles disposent.

La Déclaration du Cap s’inscrit dans un contexte où la pression internationale s’accentue pour trouver des solutions viables et durables. L’Afrique se retrouve en première ligne face à trois bouleversements majeurs qui redéfinissent l’ordre mondial. Le changement climatique, tout d’abord, est une menace existentielle pour de nombreux pays du continent. Avec quatorze des vingt nations les plus vulnérables situées en Afrique, les catastrophes naturelles – sécheresses, inondations, désertification – coûtent chaque année entre 5 et 15 % du PIB africain. Non seulement ces événements climatiques aggravent la pauvreté, mais ils réduisent également les capacités des États à rembourser leur dette, créant ainsi un cercle vicieux : plus un pays subit de crises climatiques, plus il emprunte, plus il s’endette et moins il a les moyens de prévenir les prochains chocs environnementaux.

À cette urgence écologique s’ajoutent les mutations géopolitiques. L’Afrique, riche en matières premières stratégiques comme le lithium, le cobalt ou les terres rares, joue un rôle de plus en plus central dans la compétition économique mondiale. Pourtant, faute d’une capacité d’investissement suffisante, elle ne parvient pas à tirer pleinement profit de ses ressources. Les tensions entre la Chine et les États-Unis, ainsi que la réorganisation des chaînes d’approvisionnement mondiales, offrent des opportunités uniques au continent. Mais pour saisir ces chances, il est impératif que les États africains retrouvent des marges de manœuvre budgétaires leur permettant d’investir dans la transformation locale des matières premières et de réduire leur dépendance aux importations.

Enfin, un troisième bouleversement est en train de redéfinir les perspectives de développement : la révolution technologique, portée par l’intelligence artificielle. D’ici 2030, l’IA pourrait ajouter jusqu’à 1 200 milliards de dollars au PIB africain, en optimisant des secteurs clés tels que l’agriculture, la santé et l’éducation. Pourtant, cet essor technologique exige des investissements considérables en infrastructures numériques, en formation et en recherche. Or, l’endettement massif prive aujourd’hui les gouvernements africains des ressources nécessaires pour engager ces transformations stratégiques. Il devient donc indispensable de repenser l’architecture financière actuelle pour permettre à l’Afrique de pleinement tirer parti des innovations en cours.

Face à ces défis, la Déclaration du Cap propose plusieurs pistes de solutions. Parmi elles, le mécanisme du Debt-for-Nature Swap apparaît comme l’une des plus prometteuses. Ce dispositif consiste à convertir une partie de la dette d’un pays en investissements environnementaux, créant ainsi une synergie entre développement durable et allégement financier. Les Seychelles ont déjà montré la voie en restructurant 21 millions de dollars de dette en échange de la protection de leurs écosystèmes marins. Une généralisation de ce type de programme permettrait à plusieurs nations africaines d’assainir leurs finances tout en engageant des politiques climatiques ambitieuses.

D’autres instruments financiers innovants méritent d’être explorés. Les obligations vertes et climatiques offrent, par exemple, une alternative intéressante : elles permettent aux pays de lever des fonds sur les marchés internationaux en s’engageant à investir ces capitaux dans des projets environnementaux. L’émission de telles obligations, indexées sur des critères de durabilité, pourrait faciliter l’accès des États africains à des financements à taux réduits, tout en incitant à des politiques publiques plus responsables. Une autre piste serait la création d’un Fonds de Stabilisation Africain, qui mutualiserait la dette de plusieurs pays et garantirait des conditions de remboursement plus favorables en réduisant l’exposition aux fluctuations des taux d’intérêt internationaux.

Cependant, pour que ces solutions fonctionnent, une refonte plus large du système financier international s’impose. L’un des principaux problèmes actuels réside dans la fragmentation des créanciers : 47 % de la dette africaine est détenue par des acteurs privés, 32 % par des créanciers bilatéraux et 21 % par des institutions multilatérales. Cette diversité de prêteurs complique les restructurations, car chacun défend ses propres intérêts, rendant difficile l’obtention d’accords globaux. La Déclaration du Cap plaide ainsi pour une approche plus coordonnée, en appelant à un traitement équitable entre tous les créanciers, y compris la Chine, qui détient à elle seule 170 milliards de dollars de créances africaines.

L’un des autres défis à relever est la réforme des agences de notation. Aujourd’hui, les notations souveraines pénalisent excessivement les pays africains en intégrant des facteurs de risque liés aux changements climatiques. Cette approche a pour conséquence directe d’augmenter le coût de l’emprunt pour les États les plus vulnérables, aggravant encore leur endettement. Une révision des critères d’évaluation s’impose, afin que les efforts en matière de résilience climatique soient pris en compte comme des éléments de stabilisation économique plutôt que comme des facteurs de risque.

Dans ce combat, Macky Sall joue un rôle déterminant. Son expérience d’ancien Président du Sénégal, d’ancien président de l’Union africaine en 2022-2023 et son réseau diplomatique lui ont permis de fédérer plusieurs anciens dirigeants africains autour de cette cause. Son approche repose sur trois principes clés : un réalisme financier, qui privilégie des échanges dette-investissement plutôt qu’une annulation pure et simple ; un panafricanisme inclusif, impliquant les pays anglophones et francophones dans une démarche commune ; et un usage stratégique des forums multilatéraux, du G20 aux assemblées générales de l’ONU, pour porter un plaidoyer cohérent et influent.

L’allégement de la dette africaine ne doit pas être perçu comme une simple question comptable. Il s’agit d’un enjeu stratégique majeur, qui conditionne l’avenir économique du continent et sa place dans le monde. La Déclaration du Cap offre une opportunité historique de repenser les mécanismes de financement et d’accélérer le développement de l’Afrique. Alors que la présidence sud-africaine du G20 ouvre une fenêtre d’action unique, la question qui se pose désormais est celle de la volonté politique des grandes puissances à soutenir cette refonte. Une Afrique libérée de son fardeau financier est une Afrique plus forte. Et une Afrique plus forte signifie un monde plus stable.