Mi-mai 2025, à l’occasion d’un sommet africain des hydrocarbures tenu à Paris, les délégations d’une dizaine de pays du continent ont présenté près de 150 projets pétroliers et gaziers dans l’espoir d’attirer des investisseurs. Malgré l’immense potentiel énergétique de l’Afrique – des réserves de pétrole et de gaz souvent qualifiées de leviers de développement exceptionnels – les financements peinent à affluer. Les slogans volontaristes entendus lors du forum parisien (« L’Afrique a encore besoin des hydrocarbures pour se développer », martelait un représentant de la Chambre africaine de l’énergie) contrastent avec une réalité économique morose. Pourquoi le capital international se montre-t-il si frileux envers les hydrocarbures africains en 2024-2025, et ce en dépit de besoins mondiaux persistants en énergie ? Plusieurs facteurs convergent pour expliquer cette frilosité des investisseurs, entre conjoncture mondiale défavorable, réticences croissantes des bailleurs de fonds et obstacles propres aux pays producteurs. Un panorama s’impose, appuyé sur les exemples édifiants du Sénégal et de la République démocratique du Congo, avant d’évoquer d’autres cas de figure régionaux et le rôle attendu – mais exigeant – des partenaires du Golfe.
Un potentiel sous-exploité dans un contexte mondial défavorable
À première vue, l’intérêt des compagnies pétrolières et gazières pour l’Afrique devrait être naturel. Le continent recèle d’abondantes ressources fossiles encore largement inexploitées, ce qui augure de marges de croissance considérables à l’heure où certaines régions du globe voient leurs gisements matures s’épuiser. La demande mondiale d’énergie, notamment en gaz naturel liquéfié, demeure forte – soutenue par la reprise asiatique et la quête européenne de nouvelles sources d’approvisionnement. Pourtant, le secteur des hydrocarbures africains traverse actuellement une période de vaches maigres en matière d’investissements.
En cause, d’abord, la chute des cours du pétrole observée après les flambées de 2022. Le baril, qui avait dépassé les 120 dollars à la faveur des tensions géopolitiques, est retombé depuis à des niveaux plus modérés. Cette correction des prix, couplée à une grande volatilité, a refroidi les ardeurs de nombreuses firmes énergétiques. Lorsqu’elles anticipent un cours instable oscillant autour de seuils moins lucratifs, les compagnies tendent à reporter ou redimensionner leurs projets les plus coûteux. En Afrique, nombre de développements nécessitent des investissements initiaux colossaux (forages offshore ultra-profonds, infrastructures d’exportation, usines de liquéfaction, etc.) et ne deviennent rentables qu’à long terme. Une rentabilité différée qui s’accommode mal d’un prix du brut déprimé à court terme : les consortiums préfèrent alors différer leurs décisions finales d’investissement en attendant des jours meilleurs. Cette conjoncture pesante est illustrée par l’avalanche d’appels d’offres infructueux recensés lors du forum de Paris – plusieurs blocs pétroliers mis aux enchères n’ont suscité aucune offre sérieuse, signe d’un attentisme généralisé.
Un autre frein majeur provient du désengagement progressif des grands investisseurs institutionnels face aux énergies fossiles. Sous la pression de leurs souscripteurs et de l’opinion publique, de nombreux fonds d’investissement, banques et assureurs du Nord affichent désormais des politiques restrictives vis-à-vis du financement de projets pétro-gaziers, au nom de la lutte contre le changement climatique. Dans les places financières occidentales, le pétrole et le gaz tendent à être perçus comme des investissements « toxiques », à l’heure des engagements ESG (environnement, social, gouvernance) et des promesses de neutralité carbone. Cette évolution pousse les majors pétrolières elles-mêmes à se montrer plus sélectives : certaines redirigent une part de leurs budgets vers les énergies renouvelables ou le gaz de schiste domestique, délaissant des prospections jugées trop risquées ou polluantes en Afrique. Conséquence immédiate : les capitaux privés internationaux se raréfient pour nombre de projets africains, sauf à démontrer un bilan carbone impeccable ou des mesures d’atténuation environnementale, ce qui est rarement le cas pour des forages en zones écologiquement sensibles.
Par ailleurs, le risque politique élevé qui pèse sur plusieurs pays producteurs contribue à refroidir les partenaires étrangers. Contrairement aux environnements stables et industrialisés, bon nombre d’États africains riches en hydrocarbures souffrent d’instabilité ou d’incertitudes politiques chroniques. Les changements de régime brutaux, les conflits armés régionaux, la corruption endémique ou tout simplement l’imprévisibilité réglementaire forment un cocktail dissuasif pour les investisseurs à long terme. Qui engagerait des milliards de dollars sur trente ans dans un pays où la législation peut changer du jour au lendemain, où une rébellion menace les installations, ou où les contrats risquent d’être renégociés à chaque alternance politique ? Du golfe de Guinée à la Corne de l’Afrique, les exemples abondent : insurrection islamiste dans le nord du Mozambique gazier, coups d’État en série en Afrique de l’Ouest, tensions communautaires dans le delta du Niger au Nigeria, sans oublier une insécurité juridique marquée dans certaines juridictions. Ce risque souverain élevé impose des primes de risque drastiques, renchérissant le coût du capital et décourageant de facto les compagnies les plus frileuses.
Enfin, le manque de capacités techniques et financières locales constitue un dernier obstacle, plus structurel. Là où d’autres régions (Amérique du Nord, Moyen-Orient) peuvent s’appuyer sur un tissu national de sociétés de services pétroliers, d’ingénieurs expérimentés et de capitaux locaux, l’Afrique subsaharienne accuse un retard important. Mis à part quelques exceptions, les entreprises nationales africaines du secteur demeurent de taille modeste, avec des moyens limités et une dépendance technologique forte vis-à-vis des partenaires étrangers. Les États, pour la plupart, ne disposent pas non plus des ressources budgétaires pour co-investir massivement aux côtés des compagnies internationales. Cela signifie que sans l’apport décisif de majors ou de financiers extérieurs, beaucoup de projets ne peuvent tout simplement pas démarrer. Ce constat conforte un cercle vicieux : faute d’expertise locale suffisante, les négociations de contrats s’avèrent inégales et peuvent tourner à l’avantage exclusif des opérateurs étrangers, ce qui alimente ensuite la méfiance des populations et des dirigeants vis-à-vis de ces mêmes opérateurs. On en arrive ainsi à des situations de blocage où ni les investisseurs internationaux – échaudés par les difficultés – ni les acteurs locaux – trop faibles pour agir seuls – ne parviennent à faire avancer les développements pourtant stratégiques.
Le Sénégal : l’espoir pétrolier contrarié par le manque de financements
Le cas du Sénégal illustre cruellement la difficulté qu’éprouvent certains pays africains à transformer l’essai pétrolier en réussite économique, faute de partenaires financiers solides. Il y a quelques années à peine, Dakar était présenté comme le prochain eldorado énergétique d’Afrique de l’Ouest, grâce à deux découvertes majeures au large de ses côtes : le champ gazier transfrontalier Grand Tortue Ahmeyim (partagé avec la Mauritanie, estimé à plusieurs centaines de milliards de m³ de gaz) et le gisement pétrolier de Sangomar (environ 630 millions de barils de réserves). Ces projets devaient propulser le Sénégal dans le club des nouveaux producteurs, en alimentant à la fois l’exportation (GNL, pétrole brut) et le marché intérieur (production d’électricité au gaz). Hélas, en 2024-2025, force est de constater que la transition pétrolière sénégalaise patine, principalement en raison d’un modèle de financement bancal qui laisse le pays dépendant à l’excès des compagnies étrangères.
Certes, la phase d’exploitation a débuté: un premier baril de pétrole a été officiellement tiré du champ de Sangomar à la mi-2024, opéré par la société australienne Woodside Energy, et le gaz de GTA devrait suivre d’ici peu sous l’égide de BP et Kosmos Energy. Cependant, ces projets phares se sont concrétisés sans véritable apport financier national – les multinationales assurant l’essentiel des 4 à 5 milliards de dollars nécessaires à chaque développement – et les retombées pour l’État sénégalais s’annoncent modestes à court terme. D’après la loi de finances 2025, la production d’hydrocarbures ne contribuerait qu’à moins de 1% des recettes budgétaires annuelles sur les trois prochaines années. Autrement dit, le trésor public ne percevra que des « miettes » jusqu’en 2027, le temps que les opérateurs étrangers rentabilisent d’abord leurs investissements initiaux. Beaucoup de jeunes Sénégalais, qui voyaient dans l’or noir et le gaz une manne providentielle pour l’économie nationale, risquent de déchanter.
Conscient de cette situation, le nouveau pouvoir issu de l’alternance de 2024 – un duo inédit formé par le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko – a affiché dès son arrivée l’ambition de renégocier les contrats pétro-gaziers afin d’obtenir une part plus équitable pour le Sénégal. Cette orientation souverainiste, cohérente avec le discours de campagne très panafricain et anti-système de M. Faye, s’est concrétisée par l’annonce d’un audit généralisé du secteur extractif et d’un examen minutieux des accords passés sous le régime précédent. Toutefois, les bonnes intentions se heurtent vite aux réalités de terrain : en pratique, Dakar ne dispose pas d’un rapport de force suffisant pour imposer de nouvelles conditions à ses partenaires sans prendre le risque de les voir plier bagage. Le retrait fracassant de BP du projet gazier Yakaar-Teranga en 2023 a d’ailleurs servi de sévère rappel. Cette décision de l’un des principaux acteurs initialement engagés, suivie du refus cinglant de la major italienne ENI de prendre le relais, a envoyé un signal alarmant : même des compagnies de premier plan jugent désormais certains projets sénégalais trop risqués ou peu attractifs. ENI, après évaluation technique approfondie, aurait estimé que les difficultés d’exploitation et les exigences de l’État hôte rendaient l’équation économiquement intenable. Ce désengagement successif de deux géants a porté un coup dur aux espoirs du Sénégal, ne laissant d’autre choix que de se reposer sur un partenaire de second rang (l’américain Kosmos, déjà présent mais aux capacités plus limitées) pour maintenir le projet en vie.
Pourquoi un tel désamour des investisseurs envers un pays pourtant stable politiquement et réputé attractif ? Outre la conjoncture internationale défavorable évoquée plus haut, le Sénégal a pâti d’erreurs stratégiques qui ont entamé la confiance. Le manque d’expérience des autorités dans la gestion de ressources aussi complexes a conduit à des maladresses. Par exemple, la résiliation brusque par Dakar d’un contrat d’électricité renouvelable avec Acwa Power – un acteur saoudien majeur soutenu par Ryad – a jeté un froid avec les partenaires du Golfe. Ce contrat, censé renforcer les liens économiques avec l’Arabie saoudite, a été annulé sans explication convaincante, érodant la crédibilité du Sénégal auprès des bailleurs du Moyen-Orient. De manière générale, les observateurs pointent l’absence de stratégie claire pour mobiliser les financements non-occidentaux disponibles. Faute d’avoir su rassurer et fidéliser les investisseurs du Golfe ou d’Asie, le Sénégal s’est retrouvé presque seul face à ses ambitions. Dans ce climat de défiance, Sonko et Faye peinent à concrétiser leurs promesses : les partenaires historiques du Golfe (tels que les fonds saoudiens ou émiratis qui avaient par le passé montré un intérêt pour l’Afrique de l’Ouest) hésitent désormais à engager leurs capitaux dans un pays perçu comme imprévisible et mal préparé à la négociation pétrolière. De surcroît, l’improvisation politique des autorités n’incite guère ces investisseurs à revenir. En somme, le Sénégal se retrouve dans une posture délicate : d’un côté, une dépendance accrue vis-à-vis des compagnies étrangères opératrices pour exploiter ses gisements ; de l’autre, la difficulté à attirer de nouveaux financements pour lancer d’autres projets, ce qui compromet sa marge de manœuvre pour mieux valoriser ses ressources. Sans un redressement de cap – recrutement d’experts internationaux, meilleure gouvernance et réengagement diplomatique auprès des partenaires financiers – le risque est grand de voir Dakar manquer sa révolution énergétique et en rester aux promesses non tenues.
La RDC : l’échec retentissant d’un appel d’offres géant
Si le Sénégal a au moins réussi à lancer l’extraction de ses premiers barils, la République démocratique du Congo (RDC), elle, illustre l’autre versant du problème : celui d’un pays aux vastes promesses énergétiques incapable de susciter le moindre intérêt sérieux de la part des investisseurs internationaux. En 2022, Kinshasa avait fait sensation en mettant aux enchères 27 blocs pétroliers d’un coup – un appel d’offres XXL couvrant plusieurs bassins sédimentaires, dont l’immense cuvette centrale du Congo encore inexplorée. Les autorités vantaient des réserves potentielles colossales (on évoquait jusqu’à 22 milliards de barils de pétrole en place) et voyaient dans cette offensive pétrolière un moyen de diversifier une économie trop dépendante des mines. Las, deux ans plus tard, le bilan est sans appel : l’appel d’offres a fait long feu, au point que le gouvernement congolais a dû purement et simplement l’annuler en octobre 2024 faute de résultats. Selon le communiqué officiel du ministère des Hydrocarbures, « l’absence de candidatures, des offres non recevables, des dépôts tardifs et un défaut de concurrence » ont empêché toute attribution de bloc. En clair, presque personne n’a postulé, et les rares offres reçues étaient soit émanant de petites entités sans capacités suffisantes, soit entachées d’irrégularités. Un camouflet pour la RDC, pourtant neuvième producteur pétrolier africain (grâce à de modestes champs onshore exploités depuis des décennies dans l’ouest du pays).
Les raisons de cet échec cinglant sont multiples et rejoignent les tendances lourdes évoquées précédemment. D’abord, la fiscalité et le cadre légal congolais n’étaient pas attractifs : le code pétrolier en vigueur s’est avéré trop rigide ou trop gourmand pour intéresser les compagnies. Le ministre congolais des Hydrocarbures lui-même a reconnu que le régime fiscal actuel, couplé à l’absence de données sismiques fiables sur les blocs proposés, a dissuadé les investisseurs sérieux. Ensuite, l’enjeu environnemental a lourdement pesé : nombre de blocs mis en adjudication chevauchaient des aires protégées de la forêt tropicale ou des tourbières cruciales pour le climat. Face au tollé des ONG internationales et aux risques de réputation, aucune major occidentale n’a osé se positionner sur des blocs aux confins du parc national des Virunga ou des tourbières du Cuvette centrale – des écosystèmes d’une biodiversité unique. La perspective d’être accusé de sacrifier « le poumon vert » du Congo pour du pétrole a constitué un repoussoir puissant, à une époque où les entreprises subissent une forte pression à verdir leur image. Enfin, la perception d’instabilité et de corruption endémique en RDC n’a pas arrangé les choses : investir au Congo-Kinshasa, pays englué dans des conflits récurrents et classé parmi les plus mal notés en gouvernance, représente un pari risqué que peu de conseils d’administration sont prêts à avaliser.
Conscient de cette débâcle, le gouvernement du président Félix Tshisekedi a entrepris une révision complète de son approche. Début 2025, Kinshasa a annoncé la refonte totale du code pétrolier afin de le rendre plus incitatif, promettant notamment d’améliorer les termes fiscaux offerts aux futurs partenaires. Parallèlement, 52 nouveaux blocs « détoxifiés » (expurgés des zones protégées les plus sensibles) ont été définis, en espérant relancer l’intérêt lors d’un nouvel appel d’offres international. Ces ajustements suffiront-ils à changer la donne ? Rien n’est moins sûr. Les organisations environnementales locales et internationales restent en alerte et opposées à toute expansion pétrolière dans le bassin du Congo, si bien que l’incertitude plane toujours quant à la viabilité de ces projets. Surtout, aucun grand investisseur ne s’est encore manifesté, signe que la confiance mettra du temps à se construire. La RDC illustre ainsi le paradoxe de nombreux pays africains : un sous-sol potentiellement riche en hydrocarbures, mais une incapacité chronique à les exploiter faute d’avoir créé un environnement propice aux affaires. Tant que les réformes réglementaires resteront incomplètes, que les données géologiques ne seront pas mieux documentées, et que l’image du pays restera associée au chaos, les promesses pétrolières congolaises risquent fort de demeurer lettre morte.
Des dynamiques régionales contrastées : entre Eldorados et déconvenues
Le tableau de l’investissement énergétique en Afrique n’est pas uniformément sombre. Selon les pays, les dynamiques varient grandement, entre ceux qui attirent malgré tout des capitaux et ceux qui peinent à en trouver, en passant par ceux qui temporisent leurs projets. Au Nigeria, première puissance pétrolière du continent, l’investissement étranger a certes fléchi ces dernières années, mais il ne s’est pas évaporé. Le géant ouest-africain continue de bénéficier de la présence d’acteurs majeurs (Shell, TotalEnergies, ExxonMobil, etc.), même si ceux-ci recentrent leurs efforts sur des blocs offshore moins exposés au vol de pétrole et cèdent progressivement leurs actifs terrestres à des opérateurs locaux. Lagos a aussi mis en place un nouveau cadre légal (Petroleum Industry Act) pour stimuler le secteur et encourager les acteurs indigènes, et quelques projets gaziers se développent avec le soutien de financements multilatéraux. On citera par exemple l’ambitieux projet de FLNG (gaz naturel liquéfié flottant) mené par la société nigériane UTM Offshore, d’un coût de 5 milliards de dollars : bien que la demande mondiale de GNL soit au rendez-vous, ce projet peine à boucler son tour de table financier, montrant que même le champion africain du pétrole doit batailler pour mobiliser les fonds nécessaires à sa modernisation énergétique.
À l’opposé du spectre, des pays jusqu’ici absents de la carte pétrolière suscitent un engouement prudent, teinté d’expectative. C’est le cas de la Namibie, nouvel espoir du pétrole africain depuis la découverte en 2022-2023 de gisements offshores géants (les blocs Venus et Graff) dans ses eaux profondes de l’Atlantique sud. Les annonces de TotalEnergies et Shell y ont fait naître l’euphorie : on parle de milliards de barils potentiels et d’un eldorado pétrolier qui pourrait transformer l’économie namibienne. Cependant, ici encore, l’optimisme est à nuancer par la réalité des défis techniques et temporels. Les réservoirs identifiés se trouvent à des profondeurs extrêmes, requérant des prouesses d’ingénierie et des infrastructures inexistantes dans le pays. L’échéance d’une production commerciale a déjà été repoussée de plusieurs années, et les investissements, bien qu’annoncés, avancent prudemment. La Namibie bénéficie du soutien de majors (et de partenaires financiers du Golfe, comme QatarEnergy qui a pris des participations), mais elle devra éviter l’écueil d’une gestion inadéquate qui ferait fuir ces soutiens. Pour l’heure, ce qui la sauve est sans doute sa stabilité politique et sa réputation de bonne gouvernance, gages importants aux yeux des bailleurs.
Autre région clé, l’Afrique de l’Est connaît elle aussi des fortunes diverses. Le Mozambique, détenteur de réserves gazières offshore gigantesques, a réussi à attirer dans les années 2010 plus de 20 milliards de dollars d’engagements pour développer des projets d’exportation de GNL. Cependant, l’embrasement d’une insurrection djihadiste dans la province de Cabo Delgado a mis un coup d’arrêt brutal au projet phare mené par TotalEnergies sur le site d’Afungi, aujourd’hui en sommeil. Seul un petit projet de liquéfaction flottante opéré par ENI a pu démarrer au large (Coral South FLNG), capitalisant sur le fait qu’il est éloigné des zones de conflit. La sécurité est devenue le talon d’Achille de l’investissement au Mozambique : tant que la stabilité ne sera pas rétablie dans le nord, les investisseurs resteront hésitants malgré le potentiel de rentabilité avéré. Néanmoins, Maputo conserve une carte maîtresse – l’ampleur de ses ressources – et collabore avec ses voisins et partenaires internationaux pour tenter de sécuriser la région et relancer les chantiers à terme.
Enfin, mentionnons le cas de pays comme l’Ouganda ou la Tanzanie, qui illustrent d’autres obstacles d’ordre financier et diplomatique. L’Ouganda, après la découverte de réserves de pétrole dans la région du lac Albert, s’est lancé dans un vaste projet intégré comprenant l’exploitation des champs et la construction d’un oléoduc chauffé de 1 400 km (le pipeline EACOP) à travers la Tanzanie jusqu’à l’océan Indien. Si ces deux pays ont réussi à s’associer à TotalEnergies et à la société chinoise CNOOC pour développer le projet, ils affrontent un défi de financement de taille : plusieurs banques occidentales, cédant aux campagnes d’ONG dénonçant les risques climatiques et sociaux, ont refusé de participer au financement de l’oléoduc. En conséquence, Kampala et Dodoma ont dû se tourner vers des prêteurs alternatifs (banques d’Asie, fonds souverains) pour combler le besoin de 5 milliards de dollars, retardant le calendrier initial. Cet exemple démontre qu’au-delà du simple potentiel géologique, l’acceptabilité internationale des projets et l’accès aux capitaux globaux sont devenus des facteurs tout aussi déterminants pour concrétiser les promesses pétrolières africaines.
Riyad et Abu Dhabi à la rescousse ? Un rôle géopolitique à double tranchant
Face au retrait partiel des investisseurs occidentaux traditionnels, seuls quelques acteurs majeurs continuent d’afficher un intérêt prononcé pour les hydrocarbures africains : au premier rang figurent l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Ces monarchies du Golfe, fortes de leurs énormes liquidités issues du pétrole, se positionnent de plus en plus en partenaires alternatifs pour les nations africaines en quête de financements. Leur intérêt n’est pas dénué d’arrière-pensées géopolitiques – il s’agit pour elles de sécuriser des approvisionnements, d’étendre leur influence sur de nouveaux gisements hors-OPEP, et de consolider des alliances stratégiques dans le monde musulman et au-delà. Déjà, on voit Abu Dhabi et Doha prendre des parts dans des blocs exploratoires prometteurs (par exemple, la compagnie qatarie QatarEnergy en Namibie ou en Afrique du Sud), tandis que Riyad multiplie les promesses d’investissements dans les infrastructures énergétiques (raffineries, pipelines, centrales électriques) sur le continent. Sur le papier, le Golfe pourrait devenir le mécène providentiel de la renaissance pétrolière africaine.
Pourtant, encore faut-il savoir convaincre ces bailleurs du Golfe de passer des intentions aux actes. Les capitaux saoudiens et émiratis, bien que moins contraints par les critères climatiques que les fonds occidentaux, n’en sont pas moins exigeants en termes de fiabilité des partenariats et de retombées stratégiques. Les pays africains désireux d’attirer ces investisseurs devront présenter des garanties solides : stabilité politique, environnement légal favorable, transparence dans la gestion des projets et, surtout, respect des engagements. À cet égard, les déconvenues comme celle d’Acwa Power au Sénégal servent d’avertissement. Pour séduire Riyad ou Abu Dhabi, un pays producteur doit au contraire bâtir une relation de confiance sur le long terme, en montrant sa capacité à mener à bien les projets sans imprévus et en offrant éventuellement des contreparties géopolitiques (accès à des marchés, alliances diplomatiques). L’Arabie saoudite et les Émirats ne manqueront pas d’utiliser leur position de sauveurs potentiels pour négocier dur : prêts concessionnels conditionnés, parts de production en échange de financements, voire présence militaire symbolique pour sécuriser les installations – leurs demandes pourraient aller au-delà du simple retour financier.
En définitive, l’avenir des hydrocarbures africains se jouera à la croisée de ces influences et défis. Si l’heure est à l’urgence pour nombre de pays producteurs en mal d’investisseurs, ceux-ci n’ont pas dit leur dernier mot. Une adaptation est en cours : réforme des cadres légaux (comme en RDC), diversification des partenariats vers l’Est ou le Golfe, efforts pour améliorer la sécurité et la gouvernance. L’Afrique possède indéniablement un potentiel énergétique immense qui, dans un monde toujours avide d’énergie, ne saurait rester indéfiniment ignoré. Mais pour convertir ce potentiel en projets viables, les États africains devront faire preuve de pragmatisme et de crédibilité. À court terme, cela implique d’accepter certaines concessions pour rassurer les bailleurs (qu’ils soient occidentaux, arabes ou asiatiques), tout en renforçant leurs propres capacités locales afin d’équilibrer progressivement les rapports de force. Le chemin est étroit entre valorisation de leurs atouts et préservation de leurs intérêts nationaux, mais il en va du décollage économique du continent. Pour l’heure, l’image de pays riches en hydrocarbures cherchant désespérément des investisseurs demeure une réalité dans bien des capitales africaines. Gageons qu’avec des approches renouvelées et une conjoncture mondiale plus favorable, cette image pourra s’estomper au profit d’un partenariat énergétique plus équilibré et fructueux entre l’Afrique et le reste du monde.